Capcom n’est plus un éditeur, c’est un cas d’école, déployant des trésors d’inventivité et de créativité pour décliner ad nauseam deux ou trois concepts. Ils ont néanmoins trouvé un moyen imparable de déstabiliser toute critique en assumant pleinement leur politique de redite. Car en effet, comment reprocher quoi que ce soit à ce Resident evil (a.k.a. « REbirth », pour la hype) sur GameCube ? Plutôt que de tomber dans la facilité du portage feignant -sort réservé aux autres épisodes de la série, du 2 à Code Veronica-, Capcom s’est fendu en quatre pour relifter entièrement ce premier épisode mythique. C’est en effet, peut-être, le premier véritable remake de l’histoire des jeux vidéo. Sur le papier, on ne sait pas si on doit se réjouir de voir l’industrie se complaire dans la madeleine proustienne à court terme. Mais une fois le pad en main, il faut bien l’admettre, on oublie très rapidement l’indéniable putasserie du concept. REbirth est, à n’en point douter, aussi passionnant à jouer qu’à analyser. Car, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, il est d’autant plus fascinant si on a déjà touché à l’original sur PlayStation. Après un départ qui mise sur le décalque pur et simple, REbirth s’amuse à déstabiliser le vétéran, à grands renforts de subtils changements, de nouveaux pièges et de nouvelles salles. Et peu à peu, les certitudes, le pire ennemi de tout jeu reposant sur l’angoisse, s’effondrent. Ce qu’on « sait » et ce qu’on n’a pas oublié perd toute sa valeur, le jeu pouvant à la fois respecter un canevas éprouvé ou changer complètement la donne.

REbirth ne prend donc toute sa dimension que parce que c’est un remake. C’est son premier paradoxe. D’ailleurs, vu l’extrême difficulté du jeu -il faut dire que l’original était déjà l’un des plus ardus de la saga qui a, par la suite, mis beaucoup d’eau dans son vin-, on douterait presque qu’il s’adresse à un quelconque novice du genre. Cette fois, on ne rigole VRAIMENT plus dans le vieux manoir de Racoon City. Les zombis, déjà plus résistants, ressuscitent éternellement, à moins de les arroser d’essence et de les réduire en cendres. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils n’apprécient que moyennement d’être envoyés -temporairement- ad patres. Hystériques, rapides et indestructibles, la mort leur donne une forme du feu de dieu. Sachant qui plus est que les personnages sont encore plus vulnérables -deux morsures et au lit-, on mesurera pleinement l’étendue de la situation : jamais survival-horror n’aura autant mérité son appellation.

Le deuxième paradoxe de REbirth est encore plus inattendu : il aura en effet fallu attendre un remake pour que la série, qui s’enlisait de plus en plus dans la répétition de schémas trop prévisibles, trouve un second souffle. On relèvera notamment l’excellente trouvaille des « objets de défense » qui permettent de se débarrasser rapidement de monstres un peu trop collants. Mais c’est véritablement au niveau de l’ambiance que la série prend un sacré coup de jeune. Pas de repompage opportuniste de la concurrence. RE ne surfe pas sur le trash pipi-caca-décomposition éprouvant des Silent Hill. La recette est même plutôt classique : faible luminosité, orage menaçant à l’extérieur, la quintessence d’une peur primitive et irrationnelle, bientôt confirmée par l’attirail habituelle de monstruosités gores. Mort et cannibalisme sont les deux mamelles des RE, et c’est amplement suffisant pour transpirer à grosses gouttes. Même si la force de l’habitude fait qu’on met la pédale douce sur les hurlements. Evidemment, tous ces chamboulements trouveront leur véritable justification avec les épisodes inédits à venir. Resident evil 0 s’annonce d’ores et déjà grandiose, encore plus bluffant, abandonnant la solitude pour miser sur la coopération entre les deux protagonistes habituellement séparés. On souhaite en tous cas qu’il saura corriger les quelques défauts de ce brouillon deluxe. Une réalisation finalement inégale (pixellisation des personnages, quelques saccades lors des cinématiques, rien de bien grave) mais surtout une maniabilité limite atroce, peu compatible avec le pad si particulier du GameCube malgré les trois configurations disponibles.

Finalement, Capcom semblait un peu donner le bâton pour se faire battre. Même si on regrette toujours son agaçante propension à ne pas essayer de se renouveler sur des terrains moins balisés, il faut bien s’incliner. Ce REbirth ne se contente pas de lancer quelques belles promesses d’avenir ; c ‘est aussi -et toujours- un des meilleurs survivals jamais créés. Le remake d’un chef-d’oeuvre peut-il pour autant donner naissance à un nouveau chef-d’oeuvre ? Rien n’est moins sûr mais ce Resident NGC a au moins le mérité de poser le débat.