Prince of Persia est un mythe, immuable, indéboulonnable, immortel. Un mythe tellement puissant qu’on a presque oublié que Prince of Persia a eu deux enfants : un fils honorable, propre sur lui, fidèle à son géniteur mais un poil trop baroque (Prince of Persia 2) ; un fils honteux, loser, le genre qu’on cache dans la cave et qu’on menotte à la chaudière (Prince of Persia 3D). C’est que l’opus séminal, qui s’est métastasé sur la quasi-totalité des supports vidéoludiques existants, ne s’embarrassait pas de fioritures, de coquetteries narratives ou d’enjoliveurs graphiques. C’était un jeu d’une absolue pureté : pas de scénario -ou si peu-, des décors minimalistes et un héros sans visage, donc universel. Le seul jeu vidéo récent qui soit parvenu à restituer cette rigueur aristocratique, cette abstraction janséniste, c’est Ico qui, en conservant son dénuement esthétique, reprenait à son compte la plupart des mécanismes ludiques du Prince pour les replacer dans un contexte moderne (moteur 3D, immersion, ambitions artistiques). Après Ico, était-il vraiment indispensable de sortir le prince de Perse de sa geôle ? Ubi Soft a jugé que oui. Apparemment, ils ont eu raison puisque leur Sands of time a indéniablement marqué cette fin d’année. Et pour cause, c’est un jeu « impressionnant ». Réalisé par le même studio qui a pondu le sublime Splinter cell, The Sands of time tente de respecter une partie de la charte Prince of Persia. Notamment au niveau des dominantes colorées bleues / jaunes, de cet orientalisme soft qui caractérisait le jeu de Jordan Mechner. Le décorum est sobre, joliment figé dans le temps par une luminosité blafarde et nocturne, et des brumes sablonneuses du plus bel effet. Un espace théorique, construit sans véritable logique si ce n’est celle du gameplay. Malheureusement, cet espace est habité… Par le héros, gaulé comme un beau gosse disneyen, souple comme un acteur HK dopé à la vitamine C. Par une princesse un peu garce qui, lasse de jouer les prisonnières passives, dégomme paresseusement des morts-vivants (!!!) récalcitrants avec son arc. Histoire de transcender les gimmicks machistes du jeu vidéo old-school ?

The Sands of time n’est pas la suite embarrassante qu’on pouvait craindre. Mais il reste trop sage, et, au final, presque obsolète dans son gameplay. Certes, le jeu d’Ubi Soft surfe sur la hype matrixienne, permet au joueur de manipuler le temps, de revenir en arrière au moindre faux pas, ce qui fera hurler les hardcore-gamers les plus masochistes. C’est un jeu qui se veut moderne en surface… C’est au final un grand jeu « impur », souvent magistral, parfois trop roublard et démonstratif. Beau techniquement mais esthétiquement bancal, trop attaché à son scénario prétexte, alourdi par des combats trop longs qui viennent parasiter les orgasmiques acrobaties du prince. Plus réussi que ses deux prédécesseurs, mais plus bâtard que l’épisode originel, The Sands of time s’inscrit sans trop d’effort dans le peloton de tête des jeux vidéo de l’année. Mais il faut peut-être y voir plus un signe des temps qu’un véritable tour de force vidéoludique.