Le problème avec les jeux d’action très contextualisés, c’est qu’ils font tout à votre place. Plus besoin de trimer comme un otak’ pour réussir des figures aussi spectaculaires qu’un triple salto arrière, un wall-run sur une dizaine de mètres, ou qu’une descente de rideau à la pointe de l’épée (si vous ne voyez pas à quoi cela peut ressembler, matez un bon vieux Douglas Fairbanks) : il suffit d’appuyer sur le bon bouton au bon moment. Evidemment, ça n’a pas que des inconvénients : la possibilité d’avoir l’air « cool  » sans trop d’efforts, ça n’a pas de prix. Ce sentiment de puissance à peu de frais, cette souplesse surréaliste à portée du pad, recquiert tout de même un minimum d’exigence. Pas du joueur, bien sûr, à ce niveau d’assistanat, c’est à peine s’il est censé se sentir concerné. Non, l’exigence doit bel et bien venir des concepteurs du jeu : un jeu d’action contextualisé ne souffre pas l’approximation. Et c’est ce qui nous mène justement tout naturellement au Prince of Persia d’Ubisoft.

Maniabilité brouillonne, gameplay mollasson, le PoP nouvelle génération se traîne, depuis ses débuts (Les Sables du temps), un gros problème d’équilibre, partagé entre des phases de « plates-formes assistées par ordinateur », pas toujours très précises mais souvent prodigieusement excitantes, et des phases beat’em-all qui voudraient atteindre le même degré d’automatisation et qui se heurtent toujours, malgré la multiplication des techniques et des combos, aux mêmes obstacles. On voudrait frapper à gauche, on se retrouve à frapper à droite ; on voudrait achever l’ennemi à terre d’un bon gros coup de poignard dans le sternum et on finit par rebondir sur le mur le plus proche pour atterrir quelques centaines de mètres plus bas au fin fond d’un ravin. On n’avait rien vu d’aussi frustant et d’agaçant depuis les « homing-attacks » kamikazes des Sonic 3D.

On radote ? La faute à Ubi qui nous sort un PoP par an comme s’il s’agissait d’une vulgaire update de FIFA ou de Need for speed. L’Ame du guerrier s’y est brisé les côtes, faisant à peu près toutes les erreurs caractéristiques du sequel en manque d’inspiration, tout ce qu’il ne fallait pas faire. Le Prince un peu chochotte des Sables du temps transformé en badass malodorant et barbu.Des garces aux formes généreuses, martyrisées par des strings ficelles en acier chromé. Du métal, du goth, du SM bon marché. Après tout, pourquoi pas, on se fiche un peu de l’ambiance très néo-colo des Sable du temps. Mechner était bien parvenu à nous faire accepter un Prince de Perse blond platine habillé d’un kimono blanc sur certains supports… Malheureusement, il y a plus grave : une progression beaucoup moins linéaire, favorisant le backtracking, et donc la répétition ad nauseam des galipettes -qui perdent toute justification au deuxième passage, une fois qu’on a déjà pigé le truc- et des combats -au secours. Pour faire oublier ce terrible faux-pas, il ne restait plus qu’une seule solution : tout effacer, tout reprendre depuis le commencement, faire comme si Les Sables du temps et L’Ame du guerrier n’avaient jamais existés. Rien de plus simple grâce à la dague du temps, l’item-pivot de la série, grâce auquel PoP a pu laisser tomber sa philosophie très sélective du « die-and-retry-depuis-le-début » pour un « don’t-die-mais-retry-quand-même » beaucoup plus accessible. La dague du temps qui conditionne le gameplay de PoP mais aussi son scénario à base de paradoxes temporels. A la fin de L’Ame du guerrier, le Prince était parvenu à remonter le temps juste avant qu’il ne découvre l’objet responsable de ses malheurs. Désormais propre comme un sou neuf, le Prince peut donc rentrer chez lui, avec l’espoir, sans doute, de passer les fêtes de fin d’année en famille, entouré de son papa calife et de ses cinquantes mamans… Hélas, lorsqu’il débarque sur le port de Babylone, ce ne sont pas la paix et la félicité qui l’attendent. Mais plutôt la guerre, le chaos, et les hurlements de frayeur d’une populace massacrée par des pillards.

Fort de ce retour à la case départ très astucieux, PoP peut enfin retrouver son équilibre et assumer pleinement la schizophrénie de son héros à deux visages, rasé de près et maniéré d’un côté, brutal et tatoué de l’autre lorsque, sous l’influence néfaste des sables du temps, le Prince se transforme en Dark Prince. Prince of Persia étant désormais un jeu « PoP-ulaire », il est finalement logique que Les Deux royaumes, opus de la réconciliation, soit un épisode qui gouverne un peu au centre, entre la naïveté un peu touchante des Sables du temps, et la prise de risque agressive de L’Ame du guerrier -après tout, on est censé les avoir oubliés. Est-ce la raison pour laquelle Les Deux royaumes peut prétendre au rang de meilleur opus de la trilogie ? Probablement : ce troisième épisode n’est finalement rien de plus qu’un recadrage, ce n’est pas l’accomplissement d’une formule qui conserve bon an mal an les mêmes limites, les mêmes défauts. Oui, les boss ne sont pas terribles, oui, les combats sont toujours aussi pourris, mais il est possible cette fois de les éviter, grâce à un système de stealth-kill à la Tenchu qui transforme le Prince en ninja moyen-oriental. Ce n’est ni très orthodoxe ni très original, voire un peu paresseux, mais l’optique infiltration fonctionne comme un pansement sur une plaie béante qui n’est jamais parvenue à se refermer. On fait avec, qu’on apprécie ou pas, parce que le jeu en sort grandi, plus équilibré. PoP 3, c’est le retour à la ligne droite, à un rythme plus équitable, joliment brisé par les traumatisantes courses contre la montre du Dark Prince qui exercent une pression comparable aux apparitions du terrifiant Dahaka de L’Ame du guerrier.

Accepter l’idée que Les Deux Royaumes n’est pas le troisième épisode mais le premier (assumé), c’est aussi accepter qu’un nouveau système se mette en place. Le vrai Prince, celui pour qui le moindre saut, le moindre affrontement, le moindre piège, soulevaient de terribles enjeux, n’est plus. La beauté fatale du geste, l’ascèse, appartiennent au passé, le temps est désormais à la clémence et à la seconde chance. La dague du temps comme élément constitutif du gameplay PoP ramollit indubitablement le joueur. Mais par certains côté, elle le libère aussi. Pour lui, la vie (éternelle) peut commencer.