On les a surnommé les « Quatre Fantastiques ». Quatre jeux Capcom destinés au GameCube de Nintendo, victimes de cette dangereuse manie qu’a l’industrie du jeu vidéo de vouloir créer artificiellement du mythe -avec l’aide plus ou moins consciente d’un certain public de gamers un peu trop enthousiastes et qui adorent gober les petites légendes commerciales qu’on veut bien leur construire, afin de rompre la mécanique monotonie des plannings de sortie. Parmi eux, un petit shoot qui ne payait pas de mine et qui n’a manifestement pas convaincu grand monde, P.N.Ø3, création malade de Shinji Mikami, l’auteur / cloneur un peu feignasse des Resident evil. Oeuvre d’art d’un faiseur, petit objet ludique sans prétentions, le jeu tiendrait presque de la rédemption de la part de son créateur. A l’instar d’un salaryman désabusé qui irait se retirer dans un monastère, Mikami met la pédale douce sur ses grosses productions bourgeoises pour se complaire dans le dénuement le plus total. P.N.Ø3 n’a même pas de vrai titre. « Product number Ø3 », ça ne veut rien dire, rien de plus qu’un nom de code interne. Ca fait un peu cheap, inachevé -allez, presque underground. Et pour cause, c’est exactement ce qu’est P.N.Ø3. Un jeu « mal fini », sans fioritures, un shoot basique, dans lequel on dirige une Ulala (Space channel 5) frigide au patronyme délicatement teutonique, gambadant joyeusement dans un univers clinique en battant la mesure de son joli fessier sur des beats electro. Presque indifférente, en tous cas franchement décalée de la furie destructrice qui l’absorbe. Les salles dans lesquelles notre mercenaire poseuse casse du mecha buggé se ressemblent toutes, tout est monochrome, atone, sans la moindre particule de personnalité. L’héroïne serait presque aussi transparente si elle n’arborait pas de kitschissimes lunettes de soleil techno… qu’on ne distingue de toutes façons que lors de cut-scenes minimalistes et dénuées de toute tentative de mise en scène.

A ce niveau de degré zéro absolu, on ne peut pas penser une seule seconde que Mikami n’ait pas volontairement forcé le trait au-delà du raisonnable. Et, a priori, il n’a pas eu tort. Parce que malgré ses quelques défauts -l’utilisation houleuse de la croix directionnelle pour les attaques spéciales, une progression de la difficulté trop brutale sur la fin-, P.N.Ø3 apparaît finalement beaucoup plus aimable que Resident evil et sa petite troupe de mauvais clones. On prend même un certain plaisir à assimiler cette maniabilité hachée qui force le joueur à décomposer ses mouvements, à alterner, à grands renforts d’acrobaties disproportionnées, mitraillage compulsif et esquives gracieuses. Avant-gardiste, magistralement dépouillé, perfectible mais addictif, P.N.Ø3 est un séduisant sacerdoce, pour son créateur repenti et pour le joueur maso.