« Ras le bol des jeux vidéos. Je me barre. Je vais aller construire des jardins pour enfants ». Voilà, grosso modo, en quels termes Keita Takahashi, le père rebelle de Katamari, nous avait légèrement planté. Nous laissant comme dernier souvenir l’impossible mission épilogue de We love Katamari (amasser un million de rose, presque une à une, un exercice sysyphien). Nous avions arrêté les compteur à 180 000 (quand même !) après plus de 6 heures de jeu (ou de travail acharné, on ne sait plus trop) en nous demandant jusqu’où le petit prince du gamedesign acidulé aurait pu aller s’il avait poussé plus avant cette logique dans laquelle le jeu vidéo pur et dur (score, obstacle, risque et récompense) se substitue à une activité oisive, poétique et, paradoxalement… harassante.

En un sens, Noby noby boy induit chez le joueur le même scepticisme sur la promesse de sa récompense, la rémunération effective de son effort, que cette mémorable dernière mission. D’ailleurs, dans les grandes lignes, Noby noby boy propose la même vision d’une proposition de jeu épurée que Katamari. Le premier jeu concept de Takahashi proposait au joueur de rouler dans un environnement urbain une boule dont la taille enfle à mesure qu’on la promène sur des objets qui s’y collent ? Noby noby boy propose d’étirer au maximum un petit quadrupède élastique sur plateaux au contenu généré aléatoirement (faune, flore, humains, objet du quotidien, habitation, etc.). Plus loin, les deux titres partagent ce qu’on peut désormais appeler la patte Takahashi ; comprendre : sa direction artistique graphique naïve, une maniabilité utilisant essentiellement sur les deux sticks analogiques (chaque stick contrôle une extrémité du personnage), le goût pour les monde inventaires (groupes socio pro, objet de consommation, clins d’oeil pop culturels et folklorique, zoologie et crypto zoologie), les bruitage débiles, les bandes son nonchalantes, les changements d’échelle et les scores prisonniers du système métrique.

Noby noby boy s’articule sur une proposition de jeu minimaliste et limpide donc : s’étendre sans se répandre. Attention ! A s’accrocher à l’hélice d’une éolienne, à se faire emporter par une petite voiture au bord tranchant, ou tout simplement à trop (se) tirer sur la nouille, le Boy aura vite fini coupé en deux. Contre toute attente, le métrage n’est jamais perdu. En fait, qu’il rétrécisse volontairement la taille de son Boy ou qu’il se le fasse sectionner, jamais le joueur ne perd-il le fruit de son étirement. Un parti pris étrange et anti-jeu s’il on omet d’avertir le joueur sur l’oecuménisme de principe animant Noby noby boy.

Non, Boy ne s’allonge pas pour la gloriole d’un concours de grosse teubs mais pour transmettre le fruit de sa détente à Girl (rires grivois), une entité femelle titanesque qui rêve de relier les planètes du système solaire. Concrètement, les mètres amassés de tous les joueurs de Noby noby boy sont additionnés en ligne et allongent d’autant la taille de Girl. L’intérêt ? Atteindre, grâce à l’effort de toute la communauté des joueurs, de nouveaux astres en partant de la terre (unique planète disponible à la sortie du jeu) ; autrement dit, de nouveaux niveaux sur lesquels interagir et étirer son Boy. De plus, chaque joueur peut ainsi connaître à tout moment sa contribution exacte en mètre, son classement mondial et la taille de Girl en temps réel. Ce principe participatif novateur a valu la fierté à 20 000 joueurs (nombre de client de Noby noby boy à son lancement) de franchir la distance séparant la Terre de la Lune (380 400 km quand même) en quatre jours.

La démarche s’avère louable à plus d’un titre. D’abord, force est de reconnaître le caractère ingénieux, imparable de la logique commerciale sous tendue par le principe ludique de Noby noby boy. Le jeu récompense la santé de ses ventes et la fréquence de sa pratique par l’addition de gameplay offert au joueur. En outre, le procédé permet à Takahashi Keita et ses équipes de se fixer des délais de développement variables en fonction de la motivation des joueurs (la vitesse de leur progression vers une nouvelle planète constituant le meilleur indicateur) et de modifier le contenu à l’envie en suivant les attentes de la communauté par le feedback du web. Ensuite, il faut saluer une démarche artistique féconde de faire participer des joueurs à une forme d’expérience sociale se jouant individuellement mais tournée vers un projet commun, comme un pendant ludique aux programmes de calcul distribué tel le projet Folding@home.

Poussant la logique communautaire à bout, Noby noby boy inclus la possibilité de capturer les pérégrinations de son mou quadrupède en vidéo et de les exporter directement vers un compte YouTube. Une fonctionnalité qui non seulement permet à la communauté des boys de s’échanger des tips (toi aussi enlarge ton noby !), mais surtout constitue une base de donnée substantielle sur la façon dont le jeu est pratiqué. Le genre d’outil qui plairait sans doute à Miyamoto ouvertement plus intéressé dans son processus créatif par les réactions du public et sa façon de s’approprier le jeu que par l’orgueil légitime que peuvent lui fournir la paternité d’un concept ou d’un level design. En tous les cas, en incluant dans sa logique d’extension l’influence du web 2.0, Noby noby boy semble dépasser le cadre du simple jeu vidéo pour épouser la forme d’une expérience sociale idiote, gratuite et enthousiasmante. Au risque d’étaler son ludisme jusqu’à le réduire à un mince filet ?

C’est un peu le problème. Si on veut bien excuser sa direction artistique moins accrocheuse, plus terne, que celle de Katamari, la répétitivité de sa musique (néanmoins remplaçables par ses propres MP3) ou ses contrôles de caméras laborieux (pas moins de 4 commandes différentes pour une ergonomie encore très délicate), un constat plus terre à terre s’impose : l’intérêt que l’on peut porter et le fun que l’on peut ressentir en s’adonnant à Noby noby boy est tout relatif. Malgré les appels du pied de son moteur physique à essayer toute sortes de situations burlesques, l’ennui n’est jamais très loin. Là où Katamari imprimait une progression dans l’anarchie de son joyeux bordel (non seulement les niveaux étaient une représentation stylisée pop mais réaliste de la vie japonaise, mais le chaos produit par le joueur dans les niveaux était proportionnel à sa capacité à bien jouer); Noby noby boy offre d’emblée un monde chaotique dépossédant, hélas, le joueur de son rôle de fouteur de bordel. En sus, si son générateur aléatoire de niveaux est un maître dans l’art de servir des cadavres exquis il oublie d’y adjoindre des verbes. Vision merveilleuse et chaleureusement crétine que celles des kangourous et des salarymen gambadant dans des forêts d’écrous, mais la pauvreté de leur IA les présente comme un inventaire des objets à intégrer. De fait, au milieu de ce zoo volontiers surréaliste, la portée des actes du joueur (s’étendre et avaler tout ce qui se présente à lui) se trouve minimisé. A quelques interactions près, au lieu d’incarner un facteur de chaos, le joueur de Noby noby boy n’est plus qu’un enfant perdu avec quelques jouets dans un bac à sable trop étroit.

Alors bien sûr, ne pas trouver d’intérêt à mixer des humains et des espèces animales (une des possibilités du jeu) dans les intestins de son ver de terre avatar illustre sans doute chez le joueur rétif un cruel manque d’imagination. Mais à hauteur de jeu vidéo, c’est un point de vue tout à fait défendable. Par ailleurs, pensez-vous qu’il est amusant de s’allonger sur une pile de Donuts ou de sodomiser des nuages ? Trouver-vous drôle de faire faire un tour de grand huit sur votre dos à des rockeurs en plein headbang au milieu des chèvres ? Rougissez-vous d’aise à l’idée de dévorer votre cul pour le faire repousser à sa bonne place ? C’est précisément le genre de question déterminante pour sonder sa capacité à rentrer dans le trip Noby noby boy.

S’il demeure envisageable de considérer Noby noby boy comme un vrai jeu (au sens arcade old-school du terme, avec son unique et obsédant indicateur de score, à savoir le rang mondial du joueur et sa contribution en mètre), en réalité il constitue un post-game pour esprit curieux. Un divertissement poétique et digital bloqué au stade anal. Surréaliste et vain. Parfois très drôle. Ennuyeux, souvent, mais porteur d’une démonstration d’un humanisme valeureux : un geste individuellement répétitif peut trouver sa raison d’être dans un projet commun qui tend vers un bien supérieur. Qu’importe qu’il soit fictif ; tant mieux qu’il soit fictif. Parce qu’à l’heure où j’écris ces quelques lignes conclusives, la Lune atteinte, c’est désormais la planète Mars que les Boys essayent de raccrocher. Pour quelques mètres de plus ; pour la fierté du chemin parcouru ; pour Girl. Pour la beauté du geste.

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