Il faut se faire une raison : on ne verra jamais dans une hypothétique adaptation cinématographique la quête de la Triforce, ni celle des artefacts Chozo, pas même l’abattage des seize colosses de Shadow of the colossus. Et l’inexplicable et menaçante main-mise de Uwe Boll sur le concept de l’adaptation ciné de jeu vidéo n’y est (pour une fois) pour rien. On ne le filmera pas parce qu’il faut bien l’avouer : c’est juste super chiant. Il existe une tradition très Nintendo qui consiste de refuser le prima du motif (l’histoire, le scénario) pour miser tout sur le geste (la proposition de jeu, le gameplay). Un dogme qu’on a cru éternel et dont découle cette règle gravée dans le marbre : exposer au joueur, dès la première heure, les objectifs de la longue quête principale. Un dogme au regard duquel Metroid prime 3 se place directement en rupture : Samus et trois autres chasseurs de primes sont convoqués par la fédération galactique pour remettre en état les unités Aurora (entités mi-informatiques mi-organiques) brutalement infectés par le Phazon, cette source d’énergie qui dure plus longtemps que les piles classiques. Après un incident qui plonge Samus dans le coma et l’expose aux radiations malignes du minerai, la voilà chargée d’enquêter sur la chute d’étranges météorites et la disparition des autres chasseurs de primes. Ce choix d’un scénario plus cinématographique transforme l’expérience Metroid prime de façon radicale : le sentiment d’isolement et la pratique de la lecture se voient concurrencés par le rythme effréné des événements conclusifs de cette trilogie du Phazon.

Cette source d’énergie corruptible ne peut, dans l’univers un brin gigerien de Metroid, faire l’économie d’envahir le corps de l’héroïne : le premier Metroid prime fonctionnait sur le binôme action / analyse ; Echoes enrichissait la formule en scindant son univers en deux (light world / dark world, à la Legend of Zelda : a link to the past) ; Corruption, quant à lui, inscrit le thème de la dualité dans la chair même de son héroïne, par le biais d’une pénétration douloureuse par le Phazon. Infectée par le minerai radioactif, Samus peut désormais passer en mode « berserk », aussi vital contre les imposants Boss que létal en cas d’abus. Ce gameplay du self-control épouse une esthétique SF sublime, tour à tour enchanteresse et venimeuse, minérale et végétale, plastique et métallique. A ce titre, la navigation libre, de planète en planète, empruntée à l’épisode DS (Metroid prime hunters), défait le sentiment d’un overworld limité et renforce l’identité visuelle et architecturale de chaque planète. Terminée donc la map façon « 4 saisons » sur laquelle il faut faire tenir la plus grande variété de décors pour éviter l’ennui du joueur. Il suffit de parcourir la planète des Pirates et ses kilomètres de couloirs cyberpunks ou Celestius, la cité volante steampunk, pour mesurer l’exigence maniaque de la direction artistique de Metroid prime 3. Une rigueur inspirée qui se répercute jusque dans les passages en morph-ball plus nombreux, variés et esthétiquement soignés que dans les épisodes précédents. Par ailleurs, ce souci exacerbé du détail est sans doute à l’origine du cockpit de Samus. Alors que le premier Metroid prime introduisait dans le genre FPS la vision subjective à l’intérieur du casque, Metroid prime 3 ajoute une couche d’interface supplémentaire en offrant pour la première fois la possibilité d’être en interaction avec l’intérieur du vaisseau de Samus. En soi, le vaisseau de Samus ne sert qu’à se déplacer. Toutes ses autres fonctions sont purement décoratives. Du beep angoissant de son tableau de bord, à la radio spatiale au fonctionnement ésotérique en passant par les tests médicaux mesurant le taux de contamination au phazon, le vaisseau de Samus est un pur gadget de geek. Un dispositif de bouton et de commande futuriste aussi futile au gameplay que généreusement offert à l’imagination du joueur. Et peut être la meilleure illustration d’un épisode qui n’économise jamais ses effets pour envoyer le joueur au paradis.

Au-delà du rythme et de son sens du détail, difficile de comprendre pourquoi ce Metroid prime terminal est aussi important. Est-ce parce qu’il apporte la preuve la plus efficace de la validité ludique de la Wiimote ? Ou parce qu’il s’impose comme le meilleur épisode de la saga ? Les deux, mais pas seulement. Corruption est avant tout une oeuvre qui puise sa force au coeur du plaisir de la science-fiction tel que l’entendait Philip K. Dick : « La science fiction trouve sa véritable origine dans les romans du XVIIe siècle qui parlaient de l’exploration de terres fabuleuses ». Samus, fille farouche, pionnière des âges à venir, rongée par le rush du shoot… Les yeux renversés, perdus vers le ciel.