Il suffit juste d’une brutale déflagration lumineuse prise en pleine face pour voir apparaître furtivement, en filigrane sur l’écran, le reflet des deux beaux yeux féminins de Samus Aran. Samus Aran, c’est moi (?). Cette magnifique jeune femme au regard si langoureux, c’est moi (?). Troublant. Et pourtant, l’identité réelle du fameux chasseur de primes intergalactique n’est plus un secret pour personne depuis longtemps. Ce qui n’empêche pas Samus Aran de continuer à préserver ses charmes. C’est une femme de l’ombre, le stade extrême du super-héros qui se dérobe au regard des autres pour mieux exercer sa fonction de justicier-vengeur. On ne saura donc jamais si notre héroïne mène une vie bien rangée en dehors de ses virées intergalactiques, s’il lui arrive de sortir les poubelles en peignoir de bain ou de s’abandonner aux affres du spleen métaphysique. Non, rien qui puisse apporter ne serait-ce qu’un semblant de consistance à ce tas de ferraille. Samus Aran est sans doute, aussi, l’une des seules bimbos du jeu vidéo à refuser de jouer avec son physique de blonde sculpturale, c’est tout à son honneur. Elle préfère ressembler à cette espèce de mecha-pénis ambulant qui lui tient lieu d’armure, affublé de deux énormes testicules en fonte plaqués sur les épaules, avec un sens du sacrifice qui force l’admiration. Son armure, c’est son boudoir… et désormais celui du joueur qu’elle absorbe définitivement pour s’effacer un peu plus, depuis que Metroid est devenu un jeu à la première personne. Retro Studios fait tout ce qu’il peut pour nous rappeler qui est derrière l’armure, profitant de la moindre cut-scene pour s’attarder avec complaisance sur une visière semi-opaque qui laisse deviner la présence d’une entité féminine sous la carcasse orangée du tueur implacable et mécanique… En vain : Samus Aran reste Samus Aran. Eternelle beauté défigurée par le métal dont on pouvait penser qu’un nouvel épisode, plus sombre, plus glauque, constituerait le théâtre des opérations idéal.

L’héritage de Zelda… Quelqu’un y a sans doute pensé avant moi, mais tant pis : la série Metroid entretient avec cette autre légende made in Nintendo un rapport très intime, comme une fontaine d’idées dans laquelle elle viendrait occasionnellement se ressourcer. Dans son système de progression, parcours du combattant qui va du dénuement le plus total à l’acquisition d’un véritable arsenal de guerre… Dans une partie de son gameplay –le lock emprunté à Ocarina of timeMetroid suit les traces de Link, autre réceptacle anonyme. Il n’est donc pas si surprenant que Metroid prime 2 : Echoes reprenne à son compte le dispositif du troisième Zelda, A Link to the past, celui des deux mondes parallèles, l’un lumineux, l’autre ténébreux, terrain privilégié pour un level-design tortueux et dichotomique. Mais c’est surtout la problématique posée à l’époque par Majora’s mask qui vient squatter l’esprit : celle de succéder à un jeu pionnier, historique, insurpassable. Après le fabuleux Metroid prime, Retro Studios a dû se sentir à peu près aussi désemparé qu’Eiji Aonuma, le disciple de Miyamoto, face à un Ocarina of time qui posait les bases d’un gameplay moderne, adapté à l’émergence de la 3D. Problématique similaire, même solution pour sortir de l’impasse. Comment succéder à Metroid prime ? En hyper-conceptualisant sa suite, plus de confrontation directe avec le mythe. Majora’s mask se défaussait avec sa gestion toute particulière du déroulement du temps, Echoes, de son côté, mise tout sur l’opposition dark / light. Généreux, Retro Studios nous offre donc deux jeux en un, ou plutôt deux suites en une, qui s’opposent, se complètent, et offrent au joueur la possibilité de se sentir d’abord en confiance, puis complètement désarçonné. Une suite lumineuse, classique, à peine remaniée, inévitablement déceptive. Une suite ténébreuse, plus tordue, plus discutable, mais aussi, peut-être, plus intéressante.

Dans la lumière : Ether. Nouvelle planète-jeu à laquelle incombe la lourde tâche de prendre la suite de Tallon IV. Nettement moins aboutie au niveau de sa géographie, Ether ne semble exister qu’en tant que réminiscence atrophiée du monde de Metroid prime 1. Le Désert d’Agon et le Marais de Torvus évoquent respectivement les Ruines Chozo et la Surface de Tallon. Les deux autres sous-mondes, les Terres du Temple et la Forteresse du Sanctuaire paraissent déjà moins familiers. Le premier grâce à ses immenses canyons délicatement recouverts de larges tentures rouges. Le second flirtant avec l’abstraction visuelle et « fildeférique » chère au Rez de Sega, toujours à la limite de la faute de goût sans y tomber complètement. Mais rien qui puisse nous faire oublier les vallées enneigées de Phendrana, ou les grottes volcaniques de Magmoor. Ether ne fait qu’émuler Tallon IV, sans la surpasser, ni même l’égaler, incapable de reproduire cet extraordinaire mélange d’architecture contextuelle et de dispositif purement ludique, qui atteignait son apogée lors d’une virée nocturne et palpitante dans le laboratoire des Pirates de l’espace, ou lors de la traversée sous haute tension des Mines de Phazon. Relativement similaire dans sa progression, Echoes ne peut compter pour se démarquer que sur un démarrage quasi-blasphématoire au cours duquel Samus va découvrir –et notamment à travers une cinématique très hollywoodienne, en totale rupture avec la narration très littéraire et déconstruite de l’épisode précédent- ce qui est arrivé à un commando de « starship troopers » décimé par des aliens insectoïdes. Ce manquement à la sacro-sainte règle de l’intrigue soumise à l’utilisation du scan ne constitue qu’un début. Le retour à cette implacable mécanique de jeu qui caractérise Metroid ne se fait pas vraiment attendre. Elle fonctionne toujours, bien sûr, mais juste un cran au-dessous.

Dans les ténèbres : Ether sombre. Planète-jeu parallèle, Ether sombre occupe une place à part dans la hiérarchie des niveaux de Metroid prime 2. A la fois monde-miroir global et sous-monde clone déviant. C’est un endroit sombre, surplombé d’un ciel menaçant et violacé à l’esthétique relativement indigeste. Pollué par une atmosphère hautement toxique, Ether sombre est un monde où la progression se fait par à-coups, le joueur devant repérer des bulles de lumière régénératrices au sein desquelles Samus ne perd plus d’énergie et en regagne petit à petit. Je n’aime pas Ether sombre. Trop… sombre. Trop laid, trop ingrat. Inapte à la contemplation. La faute à un système de progression poussif qui contraint parfois le joueur à rester d’interminables minutes sous une bulle de lumière, sans rien faire, pour se refaire une santé. D’un autre côté, c’est sans doute cette arythmie qui permet à Ether sombre de justifier son existence, de se poser comme l’unique alternative réelle face à la quasi-perfection de Tallon IV. Sans cette atmosphère toxique, Ether sombre n’est plus rien, juste un sous-niveau qui ne parvient même pas à créer une belle ambiance anxiogène. Ce n’est plus qu’un non-sens esthétique qui fait un peu honte à l’indéniable plus-value artistique de la série et de son univers. C’est incroyable mais l’équilibre même d’Echoes ne tient qu’à si peu de choses : plus d’Ether sombre et c’est le jeu qui s’écroule. Retro Studios n’attend d’ailleurs que la toute fin du jeu pour offrir à Samus une immunité totale à son poison. Retarder au maximum le moment où Echoes devra souffrir de la comparaison. Ether sombre est une mise en abyme, un autre jeu dans le jeu, qui repose sur un déroulement plus structuré -retrouver dans chaque sous-monde ténébreux trois clés ouvrant les portes de leurs temples respectifs. Le dispositif, plus mécanique, moins complexe que celui de Metroid prime 1, plus proche d’un Zelda, peut paraître un peu scolaire, un peu systématique. Mais c’est le prix à payer pour assumer sa différence. Puisque Ether sombre est le point central d’Echoes, sa plus grande force mais aussi sa plus grande faiblesse.

1 + 1 = Metroid prime 2. La rencontre de deux visions, l’une classique, l’autre plus expérimentale. Les interconnexions que ce mélange finit par créer sont souvent révélatrices d’une indiscutable intelligence du jeu de la part de Retro Studios. Finalement, Echoes aurait donc presque pu s’appeler « Metroid fusion ». Un titre qui lui va comme un gant, et qui traduit bien mieux son complexe d’infériorité face à son aîné, nettement plus abordable, tellement plus évident. A-t-il ce qu’il faut pour être le Majora de Metroid prime ? On en doute. Face à un tel jeu, on est fatalement condamné à l’impuissance critique, au jeu du ni-oui-ni-non. Oui, Echoes est un jeu immersif, addictif, c’est sa part de lumière. Non, Echoes ne réussit pas à se hisser au niveau des ambitions de son prédécesseur, c’est sa part d’ombre. Episode décevant, âpre, amer, tantôt arrogant, tantôt modeste, Echoes présente tous les symptômes du syndrome de la suite, sans parvenir à les soigner totalement. C’est un jeu-placebo, qui donne l’illusion de grandeur, mais qui masque pudiquement un terrible handicap dans les recoins les plus sombre de son monde-miroir ténébreux : celui d’être obligé de se contenter d’une place relativement disgracieuse d’éternel second.