On a parfois tendance à l’oublier, mais avant Super Mario Bros., il y eut Mario Bros. Sorti sur arcade en 1983, le jeu mettait en scène les frères plombiers de Nintendo, chargés de débarrasser les égouts newyorkais de créatures préfigurant les Koopa Troopa. Rien d’étonnant cependant que cet épisode fut un peu oublié par l’Histoire, deux ans plus tard Super Mario Brosallait révolutionner le jeu vidéo, portant une nouvelle conception de son espace, qui à la place de l’enceinte close et fermée de Mario Broscentrait son déroulement sur les mouvements du joueur à l’écran. En faisant défiler l’écran horizontalement, une nouvelle logique du dehors remplaçait celle du dedans, comme une fenêtre ouvrant sur un monde à explorer sans que l’on ne sache quand il allait finir. A ce prix, il fallait cependant que le mode multijoueur original de Mario Bross’efface, et par la même Luigi, relégué à l’ombre de son frère propulsé comme icône phare d’un immense média en devenir.

 

De façon consciente ou non, Luigi’s Mansion 2 : Dark Moon s’inscrit dans cette histoire familiale en même temps qu’il marque le retour de Luigi sur le devant de la scène, dix ans après un premier épisode qui affirmait déjà cette scission des deux frères, selon un schéma qui rappelle un peu les deux frères de Grimm: Mario parti à l’aventure, Luigi était en effet resté à la maison. C’est avec ce casanier peureux, remplaçant son frère aventurier plein de courage, que Luigi’s Mansion marquait aussi un retour vers le dedans avec en pivot central la maison, entité fermée assignant toutes ses fonctions (on se souvient à l’inverse des immenses maisons au départ de Super Mario Galaxy ou de Mario 64, sans portes ni fenêtres, mais ouvertes versl’extérieur en leurs pièces). Un prisme domestique à travers lequel le jeu de Next Level Games déplie pour le deuxième épisode une formule variée qui repousse les limites du premier, tout en restant d’une cohérence implacable. Exit métamorphoses et champignons, Luigi embrasse ici les costumes d’homme de ménage, aspirant les fantômes et chassant les toiles d’araignées, jardinier en charge d’arroser des plantes, électricien rétablissant le courant et bien sur plombier modifiant la tuyauterie.

 

Puisque ce n’est plus Mario le centre de gravité du jeu mais la maison, il y a aussi dans Luigi’s Mansion 2 une rupture qui ramène à Mario Bros. L’enjeu n’y est plus le mouvement (il est impossible de sauter par exemple) mais le positionnement même du joueur au sein d’un espace clôturé, traduit dans le gameplay par des allers-retours incessants d’une pièce à l’autre, au gré des niveaux. A chercher une clé pour ouvrir telle porte, actionner tel mécanisme pour débloquer tel passage et explorer telle pièce,etc., le joueur se soumet à un enchaînement perpétuel qui révèle un jeu de carte et de résistance à la libre circulation, localement renforcé par ses affrontements ponctuels. Quand Luigi aspire les fantômes, il faut slalomer entre les meubles et objets de la maison. Autant d’éléments qui témoignent d’un remarquable souci du détail: en actionnant tel ventilateur, c’est toute la pièce qui s’anime, des feuilles entassées qui s’envolent, et des meubles qui vibrent au grée d’effets de lumière et de physique impressionnants. En scrutant au détail la maison et ses objets, le jeu de Next Level Games met en tension le désordre d’un monde qu’il charge à la fois de tempérer et d’entretenir dans sa fouille.

 

Conséquence, c’est tout le thème des tiroirs qui est omniprésent dans le jeu, et met en place une mécanique jouissive consistant à cacher sans cesse des choses dans le moins d’espace possible  (clés, cœurs, pièces, fantômes…). En cela, Luigi’s Mansion évoque, au-delà de l’Histoire du plombier italien,  tout ce qui fait le génie de Nintendo: cette manière de revenir vers l’enfance avec peu de choses. Comme ici un jeu de cache-cache soulignant le simple plaisir de chercher et débusquer le moindre trésor, niché dans l’armoire et ses rayons, le secrétaire et ses tiroirs, ou le coffre et son double fond. Ce que tous ces objets de la maison contiennent, en définitive, c’est une forme heureuse d’intimité qui sied bien au sidekickque sera toujours Luigi. Comme un message de bienvenue au joueur de jeu vidéo, logé lui-même au sein d’un monde sur petit écran.