A Fox Mc Cloud l’espace, à Falcon la course et à Mario tout le reste. Tandis que les grandes figures de la firme s’illustrent dans leur genre de prédilection, Kirby souffre d’un déficit d’image. Trop bizarre, trop sucrée, cette petite chose malléable s’essaie à tout sans s’imposer nulle part. On sentait pourtant du potentiel dans la création de Sakurai. En marge de la plate-forme ou du flipper, elle flirtait déjà avec l’expérimental dans des productions psychédéliques au rayonnement confidentiel, comme Kirby’s dream course et son golf sous acide. La DS attendait un jeu de plate-forme à la hauteur de son hardware, c’est désormais chose faite. Kirby : Le Pinceau du pouvoir représente l’aboutissement de titres brouillons comme Yoshi touch & go : une expérience qui exploite intelligemment les spécificités techniques du support, un jeu dont l’inventivité le dispute à la profondeur.

Oubliez les collections d’items interminables et l’avalanche de portes dérobées ou tuyaux interdimensionnels qui dominent habituellement les architectures Nintendo. Le monde de Kirby n’est pas de ces univers à tiroirs où l’on se perd à glaner tout ce qui nous tombe sous la main. Les passages secrets y sont plutôt rares et il n’y a pas grand-chose à récolter, hormis quelques médailles. D’une simplicité biblique, le titre propose de guider le personnage en dessinant son chemin à la pointe du stylet. A mi-chemin entre la plate-forme et le gribouillage, Le Pinceau du pouvoir joue de sa thématique avec bonheur : tout, du gameplay à la direction artistique, entretient ici un dialogue fructueux avec l’art pictural (effets d’empâtement, de couteau, compositions à la Mondrian). Pourtant, au premier coup d’œil, le joueur est en terrain connu. Chaque monde sacrifie à une thématique éculée et les obstacles n’ont rien de révolutionnaire (de la lave, de l’eau, des pics). Raison de plus pour se concentrer sur un gameplay à deux vitesses qui concrétise enfin les espoirs placés en la DS.

Dans un premier temps, Le Pinceau du pouvoir se dévoile en titre jouisseur. Les environnements y sont vastes, dépouillés, un univers cotonneux où l’on flotte en toute sécurité : le monde est une toile blanche jetée en pâture à nos désirs. Libre de laisser vagabonder la pointe de son stylet, le joueur se perd dans la contemplation des lignes arc-en-ciel. C’est un plaisir de jeu naïf et immédiat, totalement régressif, qu’on savoure comme on tremperait son doigt dans la peinture. Kirby est de ces jeux où l’on s’enivre de sa propre performance, une expérience comparable aux arabesques complexes du NiGHTS de Yûji Naka. Pourtant, rapidement, Le Pinceau du Pouvoir fricote avec le puzzle-game. La courbe de progression étant plutôt douce, il faudra attendre les trois-quarts du jeu pour voir le level-design terminer sa mue. Délaissant les plaisirs sûrs de NiGHTS, Kirby lorgne alors vers les tableaux implacables de Bubble ghost. L’étau se resserre autour de notre stylet, la marge de manoeuvre est de plus en plus restreinte et seul l’apprentissage par l’échec permettra au joueur de venir à bout des derniers niveaux. C’est aussi le moment que le titre choisi pour lâcher la bride à son concept et livrer ses meilleurs moments, notamment le « Spectacle Sidéral » du monde 7 qui s’affranchit de la gravité lors d’une formidable séquence en scrolling multidirectionnel.

Dépourvu d’une carte du monde qui donnerait un peu de sens à cet enchaînement de niveaux arbitraires, Kirby s’offre gratuitement, sans le moindre enjeu. Ses mini-boss ne sont pas liés à leur environnement : ils sont autant de respirations propres à tromper l’ennui, de petits bonus conçus sur le thème du dessin ou de la course. Tout à son obsession, il refuse de développer son univers ou ses personnages, fait fi de tout fil narratif. Difficile, dans ces circonstances, de jouer plus d’une heure sans succomber à la lassitude, d’autant que le jeu joue beaucoup sur le recyclage (de mondes, de puzzles, de boss). Reste le simple plaisir de jeu. Comme tous les titres concepts, Kirby empoigne une idée et ne la lâche pas. C’est sa force et sa limite. Au bout du compte, Le Pinceau du pouvoir ne tient qu’à un fil : celui des courbes inutiles que le joueur n’aura de cesse de tracer dans une contemplation béate.