C’est l’histoire d’un tueur à gages qui s’appelle 47. Accessoirement, c’est aussi un clone créé par un savant sans doute un peu fou, pour des raisons qui nous échappent un peu mais ça n’a pas vraiment d’importance. C’est la raison pour laquelle un énorme code barre est tatoué sur sa nuque, juste en dessous de son crâne chauve, ce qui fait de 47 le tueur à gages le moins discret de la planète. C’est un peu comme les goggles ultra-lumineux de Sam Fischer ou Solid Snake et sa… mulette (?) : dans les jeux vidéo, les pros de l’infiltration sont généralement de véritables arbres de Noël qui doivent leur salut à des adversaires pas franchement regardants ou tatillons. Recruté par une mystérieuse agence, 47 est envoyé aux quatre coins du monde pour faire la peau de personnalités pas très nettes, voire de franches ordures, pédophiles, pornocrates, trafiquants de drogues, d’armes, critiques ciné, etc.

Avec un background pareil, Hitman aurait pu, en toute logique et au bout de quatre épisodes, devenir une grande saga vidéoludique sombre, torturée et complexe à base de plot-twists, meurtres, trahisons… En fait, non. S’il y a bien quelque chose que les créateurs d’Hitman ne sont jamais parvenus à faire, c’est d’inscrire leur concept génial de simulateur de tueurs à gages dans une narration digne de ce nom. On entend bien parler, dans Blood money, quatrième opus déjà, d’agence concurrente, de tueurs albinos, de complots, de choses qui pourraient rendre l’histoire de 47 passionnante à suivre au gré des épisodes qui s’accumulent. Le fait que la plupart des cinématiques faisant la liaison entre deux missions ne se limitent qu’à quelques minutes de parlote entre un journaliste qui se fade une véritable sale tête de collabo et un ancien dirigeant de la CIA encore plus amoché que Franck Ribéry, n’aide pas vraiment à se mettre dans le bain.

Maintenant, regardons les choses en face : a-t-on vraiment envie de voir 47 comme le héros d’une histoire épique, aux multiples rebondissements, de le voir sauver le Monde et déjouer les plans d’hypothétiques supers-vilains. Non, bien sûr. 47 n’est pas un super-héros, il n’a pas de super-pouvoirs, si ce n’est celui de savoir grimper aux gouttières, ce qui est déjà énorme. C’est un petit artisan du crime syndiqué et le principal intérêt de se glisser dans son petit costume trois-pièces ou dans les déguisements plus ou moins ridicules qu’il est contraint d’endosser pour approcher ses proies, c’est de vivre un maximum de situations diverses et variées, dans des environnements toujours plus exotiques. Hitman n’a pas d’intrigue-fil-rouge qui vaille la peine parce que chaque épisode se construit comme une succession de petits courts-métrages, souvent teintés d’humour potache qui désamorce plus ou moins la violence du concept, dans lesquels le joueur joue le rôle d’acteur, de scénariste et de metteur en scène.

Il s’agit en effet de ne pas se tromper : Hitman a beau se voir ranger dans la catégorie « infiltration », il se rapproche en fait beaucoup plus du jeu d’aventure à résolutions multiples. Les phases pures d’infiltration ayant de toutes façons toujours plus ou moins laissé transparaître une certaine forme d’amateurisme dans leur exécution. Hitman n’a jamais été un jeu particulièrement centré sur une maniabilité aux petits oignons, ce qui pouvait être excusé par une sensation très forte de liberté laissée au joueur d’atteindre sa ou ses cibles. Méthode « boucher » pour les plus feignants, en laissant un bon paquet de cadavres derrière son passage. Méthode « virtuose » pour les plus patients, ou comment faire passer un meurtre pour un accident, sans laisser la moindre trace. On laissera deviner à ceux qui ne connaissent pas la série laquelle de ces deux méthodes est la mieux récompensée à la fin d’une mission. Il y a un réel plaisir à repérer les lieux, chercher le déguisement idéal qui permet d’accéder aux zones les plus surveillées, étudier le déroulement des événements jusqu’à trouver la faille qui sera fatale à votre cible. Quitte à se perdre dans de multiples et vaines tentatives. Une mission parfaitement exécutée peut se boucler en quelques minutes. Mais il vous faudra des heures pour trouver la méthode idéale. Les joueurs les plus fous iront même jusqu’à s’essayer aux modes de difficulté les plus hauts, dans lesquels les possibilités de sauvegardes de plus en plus restreintes donnent l’enivrante impression de réaliser une très longue scène en plan séquence.

Ce plaisir du jeu de pistes qui ressemblerait presque à une enquête de détective à rebours, atteint son paroxysme avec ce quatrième opus. Si on oublie le premier niveau-tutorial bêtement dirigiste -et donc trompeur sur la véritable philosophie du titre-, et les quelques nouveautés encore sous-exploitées (la renommée), Hitman n’a jamais été aussi bien équilibré, grâce à une meilleure gestion de l’espace, des déroulements plus évidents, une indiscutable constance dans la qualité des sous-intrigues et des environnements proposés. Evidemment, il manque toujours ce « petit plus » qui permettrait à Hitman de s’imposer comme une grande licence et de s’affranchir de son côté « jeu à sketchs » sans perdre de sa singularité. Quoique… Le temps d’un générique de fin audacieux, crépusculaire et inattendu, Hitman parvient à se hisser au-dessus de son propre train-train et à trouver un second souffle, plus épique et moins routinier. Tout en laissant au joueur une toute dernière liberté : celle de choisir sa propre conclusion.