L’autre jour, un collègue dont je tairais le nom essayait péniblement de me convaincre, entre deux chopes de mauvaises bières, que le shoot’em-up retrouvait peu à peu le chemin du succès populaire. Je restai perplexe. Je veux bien que le genre connaisse dernièrement un regain d’intérêt sommes toutes très relatif. Et que quelques game-designers résistants y trouvent un terreau encore fertile pour l’expérimentation et l’épanouissement. De là à s’attendre à ce qu’un Gradius, ou un R-type atteigne, dans un futur proche, les premières places des charts, il y a de la marge. Admettons : le « shmup » a peut-être encore de beaux jours devant lui, qu’il explore de nouvelles voies ludiques (Ikaruga), esthétiques (Panzer dragoon Orta), ou sensorielles (Rez)…

Va pour la renaissance du shoot’em-up… Mais quid de son cousin germain, le beat’em-all, genre plus concret, plus brutal, donc moins enclin à recueillir les faveurs de l’intello-branchitude ? Il vivote, s’épanouit sous sa forme la plus bâtarde, mix de baston et d’aventures popularisé par Devil may cry et sublimé par Ninja gaiden. Le beat’em-all pur et dur, descendant consanguin de Streets of rage, serait quant à lui sans doute considéré comme cliniquement mort s’il n’avait connu un retour fracassant sur le devant de la scène pour le moins inattendu : l’adaptation sauvage et réussie de la fresque tolkieno-jacksonnienne, Le Seigneur des anneaux. Le summum du jeu vidéo roots réanimé par le biais d’une entreprise aussi vile que l’exploitation de licence… Quelle ironie.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, sur ce retournement sémantique sans véritable portée. Mais Stormfront a voulu pousser l’expérience plus loin, au-delà du statut de produit-promo dérivé. Changement d’éditeur, licence moins porteuse (Donjons & dragons), le beat’em-all à la Stormfront fait peau neuve, en surface, et gagne en liberté artistique ce qu’il perd en attrait commercial. Dans les faits, Demon stone ne se démarque que très légèrement des Deux tours et du Retour du roi, conservant ce rapport très intime avec le cinéma. Demon stone n’est d’ailleurs rien d’autre qu’un immense cri d’amour de plus pour le grand spectacle hollywoodien, son faste, sa démesure, sa balourdise, auquel Stormfront ne concède qu’un territoire limité, contextuel, immersif, relégué en arrière-plan pour des raisons techniques évidentes. Les milliers d’orques et de gobelins qui s’entretuent, les forteresses qui s’effondrent, les éléments en furie, le coeur de la bataille reste en retrait, inaccessible, mais crédible. On y croit. Et c’est bien là l’essentiel.

De son côté, le gameplay peine à retranscrire la furie destructrice des combats. Demon stone est parfois un peu mou, et tombe de temps en temps dans la tentation du jeu total en flirtant avec le hack’n’slash, le shoot et l’infiltration. Peu importe. Le beat’em-all de Stormfront, tout en se pliant aux règles commerciales du moment, parvient à s’inscrire dans le sillon creusé par les grands classiques, et, en offrant la possibilité de jongler entre trois avatars complémentaires, paye un tribut plus ou moins conscient au légendaire Golden axe. Il fait un peu figure de résistant orphelin, privé de la licence qui lui assurait un minimum de visibilité auprès d’un large public et d’une ascendance récente réelle, mais qui assume sa force et ses faiblesses sans le moindre gramme de pathos. C’est un des rares héritiers flamboyants d’un genre en perdition… c’est le dernier des Mohicans.