« He’s not a zombie », lâchait laconiquement Léon, héros de Resident evil 4, après avoir abattu son premier paysan espagnol enragé. A travers cette réplique, Shinji Mikami montrait, avec le quatrième épisode de sa série-survival, qu’il était possible pour lui d’opérer son 11-Septembre à l’échelle du genre qu’il a créé. D’ailleurs, le zombie, qui s’en soucie encore ? Les spectres de Project zero sont bien plus terrifiants. Et Silent Hill propose un bestiaire infiniment plus dérangeant, digne des oeuvres de Bosch et de Bacon. Le zombie allait-il finir raide et empaillé ? Pas si sûr : Keiichiro Toyama, réalisateur du premier Silent Hill, lui donnait une seconde chance avec Forbidden siren, jeu sans doute trop intello-punk, trop rugueux et plombé par une difficulté bête et méchante… A tel point qu’il est presque passé inaperçu. Ce deuxième épisode reprend avec obstination les mécanismes du premier, en essayant de les affiner. Il est toujours question de s’échapper d’une île dont la population s’est brusquement transformée en horde de morts-vivants assoiffés de sang. Mais son élément de gameplay central, le sight-jacking ( la capacité de voir à travers les yeux de ses ennemis) trouve ici de nouvelles variations que Toyama exploite pleinement pour multiplier les situations limites, inconfortables et flippantes, traumatisantes mais nécessaires.

A ce titre, les missions du malvoyant qui emprunte la vision de son chien pour se repérer constituent un grand moment de réalisme froid et d’exploit conceptuel. Le souffle court de l’animal, ses brusques mouvements de tête, rien ne manque à ces passages pour rendre compte de la fragilité de cet avatar quasi aveugle. Et si un enfant et une femme médium viennent, entre autres, compléter ce panel de personnalités diverse et variées, prises au piège de l’île de Yamijima, le regard le plus singulier et terrifiant reste celui du Shibito. Zombie increvable, patient et routinier, le Shibito est la véritable star de ce deuxième épisode. Un peu à cause de son folkorisme plouc et de ses occupations rustres (pratique du jardinage et de la maçonnerie nocturnes, ronde ponctuée d’inquiétants grognements…), mais surtout parce que sa vision est le dernier angle de vue d’où le joueur voudrait apercevoir son avatar. En somme, Forbidden siren 2 est bel et bien la réalisation des promesses arty-trash, presque vidéastes, de son ainé : multiplier les points de vue, croiser les regards, pour qu’ils convergent tous vers le même cauchemar.