Que reste-t-il à faire au commuter qui rentre éreinté après une longue journée de travail ? Si l’on en croit Level-5 (Professeur Layton, Ni no Kuni), il n’a d’autre envie que de rempiler pour un tour. C’est en tout cas ce que propose de faire Fantasy Life, hybride d’action-RPG gentillet et de simulation de vie à la Animal Crossing. Le jeu nous emmène dans le royaume bucolique de Rêvaria, où s’offrent à nous de nombreuses panoplies : paladin un jour, mineur le lendemain, cuisinier la semaine d’après, le joueur peut s’essayer à douze professions, qui ont chacune leur échelle de progression et leurs quêtes. Autant dire que l’on est partis pour jouer longtemps, et que pris dans le moulinage incessant du grind, notre usager des transports risque bien de rater son arrêt, si tant est qu’il accroche à la formule.

Pour s’en assurer, Level-5, habile faiseur pas toujours très à l’aise avec le game design, s’est une fois de plus entouré d’une équipe de rêve : les anciens de Secret of Mana pour la partie action-RPG, Nobuo Uematsu à la musique et Yoshitaka Amano au character design. Une fois de plus, la direction artistique est parfaite : kawaï juste comme il faut, la ligne claire et colorée de Fantasy Life enchante aussi bien les adultes que les plus jeunes. Déguisée en sorcière, en bûcheronne ou en mercenaire, c’est d’abord un réel plaisir de découvrir un royaume de poche peuplé de dragons paresseux, de brigands marrants et d’ours rondouillards. Le décor respire de vie et de bonne humeur, les personnages secondaires bavardent gentiment, et l’on aimerait pouvoir partager le sourire radieux de tout ce beau monde. Ca nous changerait de la grisaille et des transports.

Malheureusement, le gameplay rappelle un peu trop la vraie vie et ses trop réelles obligations pour emporter totalement la mise. On peut reconnaître que, passé un tutoriel un rien longuet, Fantasy Life nous lâche la bride. L’histoire principale, mignonne mais oubliable, constitue une sorte de distraction. Le cœur du jeu se trouve dans le système des professions, dans leurs interactions, dans l’exploration et l’exploitation progressive du monde. Fantasy Life s’apparente à ces offline-MMORPGs si populaires au Japon, mais qui  laissent le reste du monde un peu sceptique, quelque part entre un Dragon Quest IX en moins tactique et l’un des multiples épisodes de la série Atelier de Gust en plus accessible et sans le fanservice. Ou encore une version allégée et enfantine du Dark Cloud qui avait fait connaître Level-5 à l’époque de la PS2.

En pratique, le joueur, s’il veut progresser dans les différentes carrières qui s’offrent à lui, se doit de remplir une multitude de taches. Ramasser des carottes pour le fermier et des ingrédients pour l’alchimiste, rapporter les trésors au bureau d’enregistrement, abattre un certain nombre d’arbres… Il commence par farmer les moutons, puis les loups, puis les golems… Bref, le jeu nous occupe par le biais d’incessantes corvées. C’est parfait pour les petites sessions que l’on peut interrompre à volonté, d’autant qu’on peut assez facilement se téléporter d’un poste de travail à un autre, mais cela tient plus du passe-temps répétitif que d’autre chose. Il manque à Fantasy Life un zeste de fantaisie, justement, un peu de je ne sais quoi qui donnerait une âme au sourire radieux des donneurs de quête. Des combats plus palpitants auraient sans doute fait l’affaire, ou bien la possibilité d’être un poil plus créatif dans la manière de jouer à la maison de poupée. Ou peut-être encore un peu de la poésie étrange et parfois cynique dAnimal Crossing.

Fantasy Life est un bon élève propret, mignon comme un sou neuf, mais un peu ennuyeux avec sa manie de vouloir nous faire bûcher pour nous distraire. Certains se prendront assurément au jeu qui n’a rien de spécialement honteux, et dont le poli impressionne. Mais pour notre part nous ne pouvons pas nous empêcher de trouver l’utopie qu’il propose un rien inquiétante. Au pays de Rêvaria, la « liesse » est une monnaie qu’on accumule en accomplissant des petits boulots répétitif et monotones : pour être honnête, ce n’est pas tout à fait le genre de vie dont nous rêvons. Surtout après une longue journée de travail.