Quand Melvin Van Peebles réalise Sweet sweetback’s bad asssss song en 1971, le choix du titre n’a rien d’anodin. Surtout pas le « badass », mot central, véritable bras d’honneur aux conventions résonnant alors avec les utopies révolutionnaires des années 60. Quand vingt ans plus tard, 3D Realms invente avec Duke nukem le héros le plus badass du jeu vidéo, le joueur peut encore prendre ça pour une révolution. Pas encore du gameplay, ce sera pour quelques années plus tard en donnant ses lettres d’or au FPS, mais comme manière de bousculer le monde souvent poli du jeu vidéo avec un brin de punk attitude. Aujourd’hui tout ça n’a plus aucune importance et Duke nukem forever est un malentendu. Ce n’est pas seulement le développement interminable qui est en cause, mais d’avoir cru qu’il fallait préserver l’esprit du jeu avant de penser son architecture (pas toujours déshonorante ni accidentellement incohérente cela dit). La culture badass sur laquelle le jeu a fondé sa réputation n’est aujourd’hui que le cache misère d’un titre évidemment bâclé (face à la concurrence) et rappelant qu’aucune subversion n’est possible dans l’espace vidéo ludique ; sinon en son propre centre, de la même façon que les oeuvres de Damien Hirst ou la dernière apparition de Lady Gaga bouleversent des codes qu’on a fait passer pour la seule réalité qui compte dans la nouvelle industrie culturelle, dont le jeu vidéo est le pont terminal. En ce sens, Duke nukem forever perpétue le souvenir de ce monde disparu qui était celui du vingtième siècle. Mais il le fait justement là (dans le jeu vidéo) où il n’y a jamais eu du monde, où depuis le début il a été liquidé.

Figure tardive du corps reaganien : colosses stéroïdés dont la masse body buildée annonce le nouvel homme cyborg, invincible et pensant/pansant les plaies du Vietnam dans une salle de fitness, Duke a toujours été un has been. Son pic de popularité arrive au moment où les carrières musculeuses de Schwarzenegger et Stallone déclinent pour laisser place au corps vulnérable de Bruce Willis, bientôt chassé par ceux sans pesanteur des Wachowski – sa structure fondatrice est donc une copie, il arrive après pour tirer profit. Ses innovations de gameplay mises à part et n’ayant alors que sa vulgarité à offrir dans un cadre peinant à se déniaiser, sa badass attitude ne pouvait être que le dernier twist postmoderne, moral et figuratif des années 80. La giclée ultime, frissonnante et réfléchie d’un mauvais goût régressif qui n’a que lui-même à viser et rien à faire céder. Duke nukem forever rend visible l’identité fondatrice de Duke nukem et une certaine essence du jeu vidéo comme matrice d’une nouvelle mondanité séparée de l’Histoire. Il n’est pas badass mais joue à l’être. C’est peut-être tout ce qu’on lui demande, mais aussi sa double mort. Son aveu d’impuissance, à faire du politiquement incorrect une règle sans possibilité d’excès. Un bras d’honneur dans le vide, face à l’écran qui nous regarde, affichant l’image de notre complaisance adolescente comme d’un horizon indépassable, un ricanement crétin. Mais comme Duke nukem forever est un four (critique surtout), la fin est peut-être plus proche qu’on ne le croit. Le jeu de s’apparenter alors, dans un dernier renversement idiosyncrasique, à une curiosité, un vestige du passé aux airs de sympathique anomalie. Du vintage malgré-lui.