Aucun doute possible : Drakengard est le jeu le plus homérique et ambitieux édité par Square-Enix depuis Final fantasy XI. S’y succèdent phases de tir enragées (on pense à Panzer dragoon ou Ace combat, dont l’essentiel de l’équipe de développement a travaillé sur le jeu), sanglants combats terrestres avec des centaines voire des milliers d’ennemis (à la Dynasty warriors), et énormes champs de bataille fusionnant ces deux gameplay avec une admirable et haletante fluidité. Abattre le feu dément de son dragon sur les adversaires, plonger au centre de la bataille épée à la main, échapper aux hordes qui nous encerclent par des esquives, des parades, des enchaînements dévastateurs, lancer une invocation et regarder les corps tomber un à un avant de les achever… La sensation de puissance procurée par la maîtrise graduelle du système de combat et par l’amélioration des armes, magies et dragons est déjà prodigieuse ; le rythme déchaîné (on sent les heures de playtesting) et la puissance narrative et audiovisuelle du jeu l’élèvent à un niveau d’incandescence émotionnelle et cinétique qui n’a guère de précédents dans l’histoire du jeu vidéo (et qui rend négligeables la faible distance d’affichage des ennemis, la relative aridité graphique et les murs invisibles).

Impétueux maelström médiéval fantastique, évoquant notamment Le Seigneur des anneaux de Peter Jackson ou certaines séries animées japonaises (les colosses cyclopes ou le dragon d’Inuart sont d’évidents cousins des créatures d’Evangelion), Drakengard est irrigué par un souffle malade, une frénésie hypnotique, une hargne barbare sublimés par sa musique. Jouée par le Tokyo New City Symphonic Orchestra, dominée par des boucles obsédantes, des percussions, des violons, des chœurs et des cuivres rapides et agressifs, habitée, tendue, intense, stressante et épique, étonnamment dissonante, celle-ci rappelle davantage le Bernard Hermann de Psychose que les habituelles atmosphères douces-amères du RPG japonais mainstream. Associée à un scénario trouble, intelligemment structuré (histoires annexes, cinq ramifications finales), dont la noirceur, la folie apocalyptique et le triangle tragique (entre le héros, sa sœur et son ami d’enfance) renvoient sporadiquement au manga X de Clamp, elle produit des sentiments d’oppression, de fureur, de malaise qui s’impriment durablement et profondément dans le corps, l’imaginaire, et même l’âme. Le frisson si agréable qui nous parcourt l’échine se fait alors inquiétant, presque horrible. Au summum de la jouissance suscitée par les mécaniques de jeu, la soif de vengeance et de sang du héros est aussi la nôtre.