La publicité télévisée vantant les mérites de Dino crisis montre un type devant un verrou de porte. Il hésite… Doit-il le fermer ou le laisser ouvert ? Finalement, il s’empresse de verrouiller le cadenas et court se plaquer contre le mur d’en face manifestement transi de trouille… On ne saurait mieux résumer l’esprit du genre initié par Capcom. La réussite d’un bon survival horror ne tient pas uniquement qu’à une atmosphère glauque et angoissante. Si c’était vraiment le cas, alors Dino crisis serait un échec relatif. Resident evil (RE) était un « grand jeu malade », pour paraphraser qui de droit, sombre et dérangeant. Son petit frère saurien, réalisé par la même équipe, est nettement plus sain et débarrassé de toute notion de pourriture et de chaos. Peut-être est-ce dû aux modifications technologiques : les décors, autrefois précalculés, sont désormais en 3D temps réel, donc moins détaillés. D’où une certaine froideur stérile à mille lieux de l’atmosphère de corruption de RE, mais qui offre d’étranges similitudes avec l’univers techno-guerrier de Metal gear solid du concurrent Konami… Non, l’essence même du genre, c’est le choix constant qu’il faut faire entre confrontation ou non-confrontation avec l' »autre », l’adversaire… Solitude contre multitude, peu de munitions et beaucoup d’ennemis, la situation est plutôt déséquilibrée. Ce qui génère une tension quasi permanente, une angoisse subséquente à votre propre survie, CQFD.

Or ici, on ne parle plus de morts-vivants décérébrés et peu vindicatifs. Regina, la bombe rousse que vous pilotez, doit infiltrer une base secrète afin de récupérer un jeune savant génial mais cinglé ayant simulé sa propre mort pour mieux continuer ses expériences sur de nouvelles formes d’énergie… Malheureusement, la base en question est infiltrée de dinosaures vicieux. C’est donc bien de gros lézards en général, et de vélociraptors, en majorité, dont il s’agit, et ceux-ci ont vraiment dû être traumatisés par une rouquine durant leur prime enfance, parce qu’ils vous en veulent sérieusement. Ces sales bestioles vous poursuivent en permanence, ils savent franchir les portes, et une fois que vous en rencontrez un, il ne s’arrêtera pas tant qu’il aura reçu sa dose de plomb dans sa petite cervelle. Contrairement aux zombies de RE, ils sont vifs et peuvent effectuer des bonds de trois mètres. Comme le harcèlement est perpétuel, qu’il faut une quinzaine de balles pour les achever et qu’il y a très peu de munitions, la question de survie devient primordiale, plus importante même que l’accomplissement de l’aventure. La tension qui en résulte frôle parfois l’insupportable, d’autant que la difficulté de la version européenne a été vue à la hausse par rapport à la japonaise d’origine.

Et c’est là qu’intervient le premier point discutable du jeu. Franchement, c’est dur, trop peut-être. Progression de la difficulté ? Connaît pas. Dino crisis ne s’adresse pas aux débutants mais aux hardcore gamers qui ont fini RE1 et les deux scénarios de RE2 en mode difficile. C’est le principe même du survival horror me direz-vous, mais poussé dans ses plus lointains retranchements, la recette périclite, et le plaisir de jouer s’en ressent. Certes, il y a un système de « continues » limités, mais une fois que votre chargeur est vide, vous n’êtes rien de plus qu’un poulet rôti sur pattes, quel que soit le nombre de « continues » restant.
Il y a peut-être aussi une forme de lassitude face au genre lui-même. Allers-retours sans fin pour récupérer la clef X de la porte Y, puis pour rejoindre les rares zones de sauvegarde, sont inévitables. Dino crisis est nettement plus fluide, donc plus rapide et moins fastidieux que ses deux prédécesseurs, mais d’un autre côté, dans RE, une zone pacifiée le restait, au minimum pour un bon moment. Contrairement aux imprévisibles vélociraptors qui reviennent sans arrêt. Un simple retour sur ses pas peut donc se révéler fatal.

Le scénario n’est qu’une énième resucée moderne du mythe de Prométhée, reprenant évidemment le pitch des deux Jurassic Park de Spielberg et Crichton. On connaît la chanson : « la science c’est pas sympa quand l’homme se prend pour Dieu ». On regrettera donc amèrement que Capcom n’ait pas tiré de leçons de l’admirable intrigue de Silent hill. Une trame maigrelette, pas assez d’espèces différentes de dinosaures -4 ou 5 au total et une prédominance exagérée des vélociraptors-, un système de jeu qui sent le réchauffé, Dino crisis n’apporte grand chose de neuf au genre si ce n’est… Si ce n’est le « tout-3D » évidemment ! Une mini-révolution qui ne pouvait être appliquée au futur troisième opus de RE, Nemesis, sous peine de clivage esthétique trop marqué. Dino crisis pourrait donc passer pour une récréation technique, un challenge purement formel, plus qu’un jeu en soi. Une crainte qui se confirme dès les premières minutes. La 3D en temps réel n’est rien de plus qu’un gadget qui n’apporte qu’une mutation de surface. Shinji Mikami, le gourou responsable des 2 RE et de Dino crisis est sans doute un réalisateur frustré, et force est de constater qu’il s’en donne à cœur joie en multipliant travellings, zooms et plongées de toutes sortes. Hélas, le choix des caméras est complètement précalculé, il vous sera donc impossible d’observer les alentours grâce à une vision simili-subjective, comme c’était le cas dans Silent hill. Résultat : il est parfois impossible de « voir » l’adversaire même s’il se trouve juste en face de vous. Ca n’empêche pas le moteur d’être parmi ce qui s’est fait de mieux sur PlayStation, mais il n’influe en aucune sorte sur la qualité du gameplay.

C’est vrai, Dino crisis est impeccablement réalisé. Les dinosaures sont ultra-réalistes et les effets de lumières saisissants. Et il faut reconnaître que le jeu est particulièrement éprouvant -à ce titre, la première rencontre avec le T-Rex est vraiment traumatisante. Mais la politique du « toujours plus » montre les limites du survival horror, un genre nettement plus subtil qu’il n’y paraît et qui ne supporte pas la facilité. Dino crisis est donc un amuse-gueule fort honorable mais un peu décevant, en attendant Nemesis et Code Veronica, rien de plus qu’un RE avec des dinosaures. Pire : ce n’est qu’un ERSATZ de RE, avec des dinosaures.