Les dernières versions de Quake et autres Unreal Tournament ont eu raison des ultimes soubresauts de nos cortex dérangés. La transformation fut immédiate : les seuls plaisirs offerts à notre cerveau devenu reptilien étaient de patauger dans des mares de sang et de se repaître des potentielles victimes. Dans un cri de rage guttural, le hardcore gamer se jetait sur sa proie et la déchiquetait dans des giclées d’hémoglobine soutenues. Warren Spector, horrifié devant une telle animalité, a choisi un tout autre chemin et tente tant bien que mal de donner ses lettres de noblesse à un type de jeu souvent décrié. Deus Ex reste un FPS : vision subjective, arsenal d’armes diverses, et tuerie sanguinaire sont les ingrédients de base indispensables. Cependant, l’ajout de fonctionnalités aussi bien tirées du monde de la science-fiction que des jeux d’aventure change radicalement l’organisation du gameplay, traçant des lignes de fuite des plus intéressantes.

Entre Matrix, Half Life et Ghost in the Shell, l’univers de Deus Ex charrie un flot de références pointues. Dans un futur proche, la prolifération d’un virus mortel et le trafic de son antidote réservé à une élite financière a tôt fait de transformer la planète en un terrain de guerre totale. Le joueur incarne un des membres d’élite du corps anti-terroriste dont la mission est d’éradiquer toute résistance ennemie et d’assurer le maintien au pouvoir d’une ploutocratie. Cependant, mieux vaut réfléchir quelques instants avant de tirer sur tout ce qui bouge : la richesse et la subtilité du scénario brouillent rapidement les frontières simplistes entre bien et mal, « gentils » et « méchants ». Une dose de paranoïa aiguè est un plus certain, sous peine de se retrouver dans un sac en plastique des plus lugubres. Surveiller ses arrières et poser sa réflexion d’une manière anodine sur les tenants et aboutissants des ordres de mission sont des atouts nécessaires à une survie des plus aléatoires.

L’une des innovations majeures de Deus Ex est d’offrir de multiples interactions entre personnages secondaires et éléments du décor. A des années-lumière du distributeur de boissons d’Half Life ou des pissotières de Duke Nukem, chaque action apportera son lot de conséquences, qui, combinées à d’autres, feront évoluer le scénario vers l’une des nombreuses ramifications et l’une des trois fins imaginées. Au hasard, se rendre dans les toilettes des dames, ou forcer le bureau du commandant en chef d’une manière peu discrète risquent de faire tomber sur vous les foudres du quartier général. La prise en compte de toutes ces caractéristiques, d’un intérêt des plus jouissifs, se voit complétée par un système de compétences dans la plus pure veine du RPG. Grâce à des implants cybernétiques, le héros aura loisir d’améliorer ses capacités à manier les armes lourdes, hacker des comptes e-mails ou poser des bombes.

Cerise sur le gâteau, l’interface est simple et configurable à souhait. La gestion de l’inventaire se combine aux différentes touches de raccourcis pour une intervention rapide et précise au cours du jeu tandis que les nouveaux mouvements « se pencher » sont bien utiles, lorsque, caché derrière un rocher, il est nécessaire d’abattre un ennemi lointain.

Seules ombres au tableau : la partie graphique et l’intelligence artificielle ne sont pas à la hauteur du gameplay. L’emploi du moteur d’Unreal confine Deus Ex à des machines surboostées malgré des décors un peu ternes et souvent répétitifs qui cassent parfois l’atmosphère oppressante du scénario. De même, les ennemis, y compris en mode réaliste ont parfois des comportements bizarres : si certains s’amusent à recharger leurs armes devant vous, d’autres préfèrent faire la sourde oreille et continuer leurs conversations lors de votre passage pourtant peu discret.
Malgré ses quelques défauts, Deus Ex reste tout de même l’un des premiers jeux à offrir une alternative intéressante et complète à la tuerie préhistorique de masse.