Canis canem edit sonne l’heure de la revanche du cancre. Le doigt tendu du mauvais élève en direction de ses pairs les plus exigeants : les grands savants du jeu d’action / aventure à la japonaise -Nintendo et le modèle Ocarina of time en tête, sa structure comme sa maniabilité. Seulement cette fois, Rockstar laisse de côté les effets de style violents et les thématiques « adultes ». Pas de meurtres, ni de courses-poursuites en voiture. Pas même une goutte de sang. En racontant les aventures d’un écolier bagarreur, mis en pension dans une école où les élèves passent leurs plus belles années à collectionner les bleus, Rockstar peut se concentrer sur l’essentiel : l’équilibre du gameplay, qui épouse enfin son contexte. Une précieuse leçon, les grands jeux reposent souvent sur l’évidence de quelques gestes simples : le tonnerre étouffé du galop d’Agro dans Shadow of the colossus, la visée tendue et légèrement tremblotante de Resident evil 4 ou la coupe claire et franche du glaive de Link sur les touffes d’herbes de Zelda. Qu’on ne s’y méprenne pas : ce n’est pas qu’une question de réalisme. Ce qui fait la réussite de ces trois exemples, c’est le sentiment d’immersion et d’appartenance au jeu qu’ils transmettent au joueur, la définition sensible de son rapport au monde. Et c’est précisément sur ce rapport là que Canis canem edit excelle. Traverser les rues à vélo et se surprendre à souffler en arrivant sur la plage. Insulter un caïd, puis accélérer le pas et tourner la tête, en signe de connivence, vers la douce Pinky. Et puis bien sûr, courir : se précipiter vers la brute qui martyrise un camarade chétif, fuir le couple de retraités dont on a aspergé la voiture de boules puantes, se mettre à l’abri du regard des flics dans les toilettes du parc. Rarement, dans un jeu occidental, le fait de courir n’aura transmis autant d’élan. Le plaisir pur du rush.

Plus largement, on pourrait dresser l’inventaire complet des actions de Jimmy Hopkins et sans y trouver ce qui le ferait à peine sortir de son rôle. Ce qui pourrait détourner le joueur de cet ado mal dégrossi qui, avec ses poings, ses bombes à eau et ses baisers volés, ne cherche finalement que la paix et le respect. Un gameplay cohérent à la sensibilité adolescente qui lorgne plus du côté de Sa Majesté des mouches que celui des conseils de la copine Dolto. Et qui embrasse, avec grâce, l’autre grande réussite de Canis canem edit : son ambiance. Bien entendu, les références aux teenage movies (Le Cercles des poètes disparus, Breakfast club, The Faculty, etc.) se bousculent. Pourtant, et c’est la force du jeu de Rockstar, cette galerie de portraits dépasse cette impression de déjà-vu et impose un univers cohérent que n’aurait pas renié le Stephen King de Stand by me ou l’Alice Cooper de Steven. Inutile pourtant de chercher dans Canis canem edit le moindre génie narratif : la linéarité de l’aventure principale est presque exemplaire et garantie sans surprise. Si la justesse des personnages et le côté crû des situations assurent l’immersion, l’histoire est simplement nulle et complètement convenue. Peu importe : à l’instar de Zelda, Canis canem edit n’a pas besoin d’une intrigue complexe. C’est grâce aux accents elfmaniens / burtoniens de son inquiétant thème principal qu’il fait revivre au joueur nostalgique le véritable frisson de l’adolescence : ce joyeux sentiment d’urgence qui exulte. Qui se moque du pire à venir, toujours prêt à lui casser la gueule ou à le fuir, hilare et à toutes jambes.