Pur euphémisme : Alan Wake a su alimenter son buzz. Pas moins de 5 ans ont été nécessaires au studio Remedy pour engendrer une descendance alternative à l’illustre Max payne. 5 ans de fausses couches et de remise en question pour Microsoft, qui ont souvent fait craindre l’avortement désabusé. Mais l’enfant prodigue est enfin là et une question devance la tension de l’attente : tient-t-on là le digne héritier d’Alone in the dark, voire un challenger à Silent hill ?
Alan Wake, un romancier à succès, émule pixélisé de Stephen King (cité dès le premier plan pour dissiper toute autre influence), qui se voit soudain affligé du syndrome de la page blanche. Bien décidé à se ressourcer, l’écrivain embarque sa femme en retraite, loin de New York, dans une bourgade montagnarde et lacustre nommée Bright Falls. Hic : l’endroit s’avère hanté par une force maléfique, qui kidnappe sa femme et réduit les habitants de la ville à des ombres meurtrières. Comme issu d’une de ses sagas horrifiques, le Mal somme Wake de devenir la muse de ses propres inventions. Au gré de l’aventure, l’homme tombe les pages d’un manuscrit inachevé, dont le dénouement restera à écrire par le joueur. Sauf qu’il n’est plus question de bullet-time ni d’exploits surhumains : Wake n’a qu’une lampe torche, une petite forme physique (on ne peut courir plus de 30 secondes, gage de difficulté oblige) et un arsenal modeste.
Le soft en avait fait salivé plus d’un par la promesse de son gameplay : la dynamique d’une dialectique constante entre ombre et lumière. Le héros, pour se défendre contre ses ennemis, doit d’abord les éclairer pour les rendre vulnérables aux munitions conventionnelles.
Mais la dualité empoisonne aussi le décor : le cadre de Bright Falls, aux charmes pittoresque de l’americana bûcheronne (un écho à Twin Peaks), se dédouble la nuit tombée, grâce aux performances d’un moteur graphique magistral, en labyrinthe gothique. Intégralement dans l’obscurité, ayant pour guide le simple faisceau d’une lumière, la perception passe, sans effet de manche, du havre de paix au calvaire ténébreux et c’est tout une jouabilité qui s’en retrouve affectée, au grand bonheur d’une angoisse croissante.
Malgré ses prouesses esthétiques, il faut néanmoins concéder une douleur : Alan Wake ne s’imposera pas comme une table rase du thriller horrifique. La linéarité avec laquelle s’enchaînent les phases de jeu domine malheureusement les effets spectaculaires qui s’échinent à la masquer. Les combats, malgré leur intensité nerveuse (belle transmission de Max Payne, effet bourrin en moins) et leur intelligence tactique, ne s’alternent que trop sommairement avec les cinématiques dialoguées. A l’heure des open world comme horizon conceptuel d’un nouveau divertissement (le merveilleux Red dead redemption et sa nouvelle conquête de l’Ouest), les décors de Bright Falls, malgré leur cachet, peinent à occulter leur fonction primaire de couloir numériques.
Pour autant, il serait injuste d’enterrer trop hâtivement le soft, sous grief d’avoir joué les arlésiennes. Car Alan Wake, à défaut de se révéler révolutionnaire, s’avère finalement grand orfèvre d’une efficacité immersive. La fluidité avec laquelle s’enchaînent les chapitres, selon un découpage de série TV des plus finauds, redonnerait foi en l’écriture de King à n’importe quel sceptique de l’easy-reading. Mais le génie de cette addiction au récit ne se niche pas forcément dans sa scénographie principale (cinématiques et autres effets de mise en scène), mais davantage dans les détails disséminés sur la route du héros : pages d’un manuscrit qui anticipe ou résume l’action, messages radiophoniques, parodie d’émission de science fiction sur les TV, autant d’interactions qui retiennent la hâte d’en découdre avec l’intrigue principale pour mieux jouir des à-côtés d’une immersion dans un monde fantastique à l’harmonie confondante de logique.
Mais, là où finalement le français Heavy rain s’est quelque peu contenté de louvoyer, la véritable attraction du titre réside dans cette projection de soi envers son avatar. Une beauté réside dans cette compassion pour ce personnage des plus ordinaires, condamné d’avoir joué les démiurges et sommé de s’improviser sauveur. Nécessité est finalement de redevenir le créateur, grâce à la belle métonymie d’une lampe torche comme arme principale contre les méandres de l’obscurantisme : la proposition de Remedy fait indubitablement mouche.
Mais l’identification passe aussi par la somme de référence aux cultures parallèles dont le jeu fait usage. Les déambulations d’Alan Wake dessinent en creux le jeu de piste de tout un pan de l’Histoire de la culture fantastique (ici : un plan de hache comme dans Shining, là : des oiseaux frondeurs comme chez Hitchcock, etc.) à travers le balisage d’environnement ultra-référencés (la forêt brumeuse, le labyrinthe végétal…). En invoquant cette mémoire de notre éducation geek, la fusion avec un créateur en panne d’inspiration se scelle justement par cette illusion de remodeler sa propre culture. Refaire un monde pour sauver sa compagne des griffes de son propre psychisme : le défi s’avère haletant sur une dizaine d’heure et occulte rapidement les quelques embûches de production. Certes, oui : la jouabilité laisse parfois à désirer, la raideur du personnage et de ses mouvements crispe, tout cela ne dure pas bien longtemps (excellente nouvelle cependant : trois DLC sont déjà prévus et le premier sera gratuit). Mais, quand un jeu vidéo propose l’audace d’une alliance entre maniérisme pop et romantisme épuré, il serait dommage de s’en abstenir pour de simples défauts techniques.