Compte-rendu des Trans 2005 à Rennes par notre gonzo-chroniqueur Wilfried Paris, en mode vadrouille dans les hangars du Parc des Expos, mais aussi en mode glandouille à l’hôtel. Le tout en marge du méchant fight teufeurs / CRS vu à la télé, of course.
C’est la deuxième année consécutive que les Rencontres Transmusicales de Rennes se tiennent au Parc des Expositions en périphérie de la ville, dans de gigantesques hangars, les « halls », qu’on imagine à l’arrivée plus aptes à accueillir quelque salon de l’agriculture qu’une grand-messe rock. Pourtant, avec quelques efforts de décoration (gros ballons bleus, atmosphères colorées) les hangars ressemblent finalement assez chaleureusement aux lieux d’accueils des grandes raves des années 90 (n’y manquent que jongleurs et cracheurs de feu) et on appréciera bien cette ambiance festive. L’accès est cependant moins facile (navette, voiture, barrages de flics) et moins intime que lors des précédentes éditions en centre ville (on appréciait vraiment à l’époque pouvoir s’éclipser du festival « officiel » pour visiter les bars en transes ou goûter la galette locale dans quelque boui-boui de la rue de la Soif). Mais bon, les conditions de réception et d’écoute sont quand même bien meilleures aujourd’hui, et le bar presse-VIP est, pour le coup, immense (on retiendra l’open-bar du Havana Bar de 19h00 à 20h00 où deux jolies hôtesses nous servaient Pastis sur Pastis avec le sourire, sur fond de house latino : bon moyen de se mettre en jambes pour une nuit de défonce musicale).
Jeudi 08.12.05
Jeudi, après visite des lieux, réception du pass et trois Pastis de rigueur, je décide de mettre à profit le peu d’intérêt que je trouve personnellement aux têtes d’affiches (les Fugees, bah) pour aller voir Katerine à l’Aire Libre, salle de théâtre aux places assises, à quelques kilomètres de là. La bière Amstel y est à 1,60 € et Teyss, chanteur français signé chez Tigersushi (on attend l’album produit par Joakim), ouvre les amabilités avec un guitariste et un clavier. Guillaume Teyssier, cheveux longs, blouson de cuir et chemise qui pendouille du pantalon, est un peu emprunté sur une scène qu’il n’a visiblement pas l’habitude de côtoyer. Il introduit un morceau par « Et voilà encore un morceau gothico… ». Gothico-quoi ? On ne sait pas, et lui non plus, semble-t-il. En attendant, ses chansons, entre Polnareff (sa Tour de Nesles ressemble beaucoup au Bal des Lazes), Christophe (pour le phrasé et la poésie belle-bizarre) et Gene Vincent (je ne sais pas pourquoi) ne me font pas beaucoup d’effet, même si la maladresse-dandy du personnage est assez touchante (il a un air de « L’adolescent électrique » décrit par Jean-Jacques Schuhl dans Rose poussière). On attend donc Katerine au bar en visionnant le clip génial du Louxor (que vous pouvez télécharger ici). Enfin, acclamé par un public déjà acquis et très chaud ce soir, le meilleur chanteur français de la Terre arrive, chemise blanche et cravate rayée, avec sa « secte-machine », comme il dit, en fait les Little Rabbits au grand complet, déguisés en raëliens, avec toges écrues et colliers à boules autour du cou, et débute tout électrique avec le premier morceau (Etres humains) de son dernier album. Le passage de la groovebox au groupe rock fait merveille sur les morceaux rythmés et hypnotiques de Robots après tout, et Katerine s’en donne à coeur joie dans un registre qu’on ne l’avait jamais vu emprunter : criant sur scène, dansant, se roulant par terre (mention spéciale à un Borderline épileptique), faisant des blagues avec le public, riant, s’amusant comme un gosse, ou un idiot (très belle interprétation du Benêt, issu de L’Homme à trois mains), complètement libéré, très joueur. Ca fait plaisir à voir, et tout le public sourit stupidement et crie à la fin de chaque morceau comme pendant un gig des Stooges. A la moitié du concert, Katerine dit : « Pfff… il fait chaud, il n’y a que moi qui sue ici ? », et une spectatrice répond : « Bah oui, nous on est assis… ». Ce à quoi Katerine rétorque : « Mais qu’est-ce que c’est que ce public ? Vous n’avez qu’à vous lever ». Et tout le public de le prendre au mot… Une heure plus tard, tout le monde sera encore debout à taper des mains, pour trois rappels, dont un Jeannie Longo a cappella, qui vaudra à Katerine une réaction d’un spectateur qui fera rire tout le monde (« C’était plus énervé chez Drucker ») et une version folle, qui n’en finira plus, de Qu’est-ce qu’il y a derrière la porte ?, le morceau mystique de Boulette, avec le groupe revenu des coulisses en girls-band à la Vanessa Beecroft, comme sur la pochette de l’album : perruques blondes, sous-pulls nylon mauves et petites culottes blanches avec poutres apparentes -mention spéciale à Federico, qui tortillera du cul avec une belle simplicité, émoustillant tout le public féminin. Rétrospectivement, on dira que c’était le meilleur concert des Transmusicales et on vous recommande chaudement d’aller crier votre joie au prochain live de Katerine.
Ceci fait, on repart vers le Parc des Expos retrouver les copains et El Pres!dente dans le Hall 5, le moins grand et le plus rock. L’écossais Dante Gizzi « a recruté ses musiciens sur leur style vestimentaire et sur leur charisme autant que sur la maîtrise de leurs instruments », et ça se voit : look total ringard, costumes et cravates blancs sur chemises noires, Raybans 80’s, jolies nanas à la batterie et aux claviers, le groupe fait un peu pitié dans ses excès de style et ses effets de manches, même si il y a assez d’énergie et pas mal de mélodies pour qu’on s’accroche un peu. On se dit que tous ces groupes cravatés sont à la fois touchants et pathétiques, qu’ils ont l’air un peu perdus dans leurs costumes cheap et rock, et qu’il y aurait matière à théoriser un de ces jours le complexe de la star de rock (les considérer finalement comme des victimes, des gens perdus, des étoiles mortes qui brillent encore, pour lesquelles on a cette affection réservée aux objets de sacrifice -je me dis que les groupies sont admirables parce qu’elles essaient, tout simplement, avec leurs petits moyens à elles, désespérés, de les sauver). Bref, El Pres!dente, qui n’est donc pas un groupe mexicain, reprend en beauté le Raspberry beret de Prince, à la note près, et c’est assez jouissif, on remue le train arrière, et on se casse au moment de la claque. On a décidé de rester jusqu’au matin pour voir Joakim, co-fondateur de Tigersushi, qui doit clore la soirée. Parce qu’on aime bien son album Fantômes, paru chez Versatile l’année dernière. D’ailleurs, Katerine (dont c’est l’anniversaire -d’où bringue monumentale jusqu’au petit matin) et ses petits lapins sont revenus sur le site rien que pour ça eux aussi. En attendant, on boit des « Vodka-Burn » (mélange de vodka et d’une boisson énergétique qui n’est pas du Redbull, à la couleur rouge-grenadine-vitamine -bizarre impression d’avaler un médicament effervescent) avec Nicolas Cuinier du Nouveau Casino et Jiess du Café de la Danse, qui me confirme avec joie ma future prestation (le 13 février 2006) au Café, en première partie de HandOverHead, le projet commun de Don Nino, Manuel Bienvenu et Bed. Ne voyez pas dans cette info le symptôme d’un conflit d’intérêt, je revendique tout à fait ma double identité : le caractère « partiel » et complémentaire de mes activités de journaliste et de musicien (je crois qu’on écrit mieux sur la musique quand on en fait soi-même, et vice-versa, on fait mieux de la musique quand on sait aussi en parler). On apprend que les Fugees auraient touché 150 000 € de cachet, qu’ils ont commencé par deux reprises de Bob Marley, et que la plupart des copains sont partis après ça, et que Iz, le groupe chinois dans le Hall 4 était passionnant (bio : « ce groupe est le fruit de la rencontre de quatre chinois dont l’un est issu de la minorité kazakhe. N’utilisant que des instruments traditionnels (guitare, dombras, viole à deux cordes, chertur, flûte vietnamienne et diverses percussions), ils créent une musique finalement intemporelle qui trace dans nos esprits les contours des paysages traversés par les nomades des steppes d’Asie Centrale. Le rythme hypnotique qu’ils installent, renforcé par des voix graves et des chœurs étourdissants, nous emmène sereinement à la croisée de la transe et de la méditation. Une musique d’une telle beauté qu’à son écoute, le temps semble s’arrêter ».) Bref, tout bourrés, nous voilà devant Joakim et sa formation synthé / basse / batterie, qui produit un rock discoïde et pas mal expérimental, à la limite du suicide commercial. Après un pot pourri post-rock-disco qui le verra enchaîner I need a freak de Sexual Harrassment, White horse de Laid Back et autres joyeusetés très groovy, Joakim enchaîne sur un long morceau instrumental planant et soporifique (il est 3h00 du matin), où il martèle un piano à queue tandis que son groupe en rajoute dans les montées et les descentes tout à fait frustrantes. Il revient au vocoder, tripote son laptop, produit quelques pyrotechnies IDM avant de s’éteindre doucement. C’était très bien, très original, mais il ne reste plus qu’une petite centaine de spectateur, ce gig en dents de scie ayant fait fuir tous les autres. Je décide aussi de rentrer à l’hôtel Angelina me coucher, histoire d’être levé à 10h30 pour ne pas louper le petit déjeuner offert. Vu mon degré de descente d’alcools divers et variés, il faut que j’économise sur la bouffe.
Vendredi 09.12.05
Au matin donc, super petit buffet (j’adore les céréales Smacks une fois tous les trois ans) devant LCI qui sert la soupe à Muriel Robin, qui doit avoir des actions chez Bouygues c’est pas possible. Je récapitule cramoisi tout ce que j’ai loupé le premier soir des Trans et m’engage à essayer de voir plus de trois concerts aujourd’hui. Je déjeune, remonte me coucher et comate toute la journée devant le câble (Kill Bill 2 et The Fortress, ce super nanard un peu gore avec Christopher Lambert qui joue vraiment comme une savate), à tel point que j’en ai un torticolis : les télés dans les chambres d’hôtel sont placées exagérément en hauteur. A 19h00, je me pointe à l’open bar de l’Havana, fait un câlin à Etienne Greib de Magic qui vient d’arriver, check mes mails sur un poste du partenaire Wanadoo, et me retrouve à 22h00 devant Juliette And The Licks sur la grande scène de la grande salle (Hall 9). Là, las, j’assiste à un joli moment de vulgarité : Juliette Lewis, en justaucorps moulant rouge, en fait des tonnes sur scène dans un registre Iggy Pop-Courtney Love-Natural Born Killeuse, se pavane avec obscénité, remue du cul comme un dindon épileptique, secoue sa tignasse comme une vieille hardeuse, se fout à genou devant ses guitaristes-héros qui brandissent leur membre guitaristique comme une mitraillette machiste, bref, fait le show, mais à l’aide de tous les plus vieux clichés de l’histoire du rock, les plus sexistes, les plus cathartiques, les plus caricaturaux.
Tout cela sent le périmé moisi (Chrissie Hynde, Patti Smith, les Stooges, pompés sans une seule bonne ligne mélodique) et je supporte mal cette débauche d’attitudes creuses, ces formes (elle est assez bonne pour que la majorité du public masculin continue de la regarder se contorsionner stupidement) sans fond. Je me casse direction Hall 4 voir le folk-rock psyché de Anton Newcombe et de son Brian Jonestown Massacre. Boris, qui a accompagné ce vieux fou, nous raconte avoir fait office de barman ininterrompu toute la journée, et pourtant, Newcombe semble relativement sobre, peu disert, se contentant de chanter et d’engueuler un peu tout le monde (le public, les musiciens, l’ingénieur du son). Après quinze ans de service, quatorze albums et une soixantaine de qui sont passés par son groupe, le héros du film DiG ! ressemble presque à Mark E. Smith dans ses manières très sympa. N’empêche, son rock psychédélique, à base de guitares claires Byrds, de drones Spacemen 3 et de mélodies beatlesiennes est tout à fait honorable, très musical, agréable. C’est assez planant et en même temps très mélodique, unique en son genre. Mais tout le monde semble être venu voir la bête de foire que représente désormais Newcombe, avec ses vieux tatouages et son éternelle gueule de bois, et c’est un peu pathétique.
Fin du concert, le temps d’avaler un sandwich bio poulet-pommes-de-terre délectable et on continue dans le psychédélisme électrique avec Primal Scream devant 10 000 personnes. Primal Scream n’a pas vraiment d’actu, ils sont là pour le cachet ou le plaisir de jouer, on ne sait pas trop. En tout cas, je ne sais pas si c’est le sandwich bio ou quoi, mais je me sens vite pris par une grande vague d’amour pour mon prochain, en l’occurrence une bande de jeunes désorganisés qui pogotent à tout va sur les saillies électrifiés de Gillespie et de ses musiciens (parmi eux, le bedonnant Kevin Shields, de My Bloody Valentine, qui ne fait pas grand chose avec sa guitare). Et en même temps, je me dis que le rock est quand même fondamentalement une musique extrêmement violente, agressive, et que les meilleures drogues pour la pratiquer sont les amphètes et la cocaïne, ça semble évident. Bobby Gillespie, d’ailleurs, est très maigre, les yeux vides, il lève haut dans le ciel son pied de micro puis le fait retomber par terre avec une molle conviction, et ça fait « boum » dans les enceintes. Ils jouent quelques nouveaux morceaux dans la lignée des derniers albums : entre Stooges et Rolling Stones, mélanges de soul et de fuzz, énervés, puis un des jeunes qui pogotent lance une bouteille d’eau sur le chanteur, qui le fixe d’un oeil très méchant et lui dit en substance quelque chose comme : « You little fucker bastard, I will kill you if you try that again ». Il fait finalement mine de vouloir lancer son pied de micro dans la fosse, puis décide de laisser tomber, et ils s’en vont, me laissant avec mes frissons glacés dans les os, tandis que ma peau, bizarrement, est toute suante. On se dit que c’était bien quand même, même s’ils n’ont pas joué Loaded, on ne regrette pas d’être venu, on est un peu bête devant nos idoles d’adolescence, on leur pardonne tout, même leur tiédeur manifeste.
Maintenant, devant les Undertones, nos bouches exhalent de la buée, on a les yeux grands ouverts et tout le monde est un ami potentiel. Les Undertones sont venus d’Irlande du Nord sans leur chanteur mythique et fondateur Feargal Sharkey, mais avec une doublure de remplacement un brin pathétique : un vieux type au cheveux gris courts, avec un ventre qui sort régulièrement d’un tee-shirt trop petit, qui prend des poses glamour de vieille tante tout à fait ridicules. Dès qu’il dit une phrase, un des deux frères O’Neil (le bassiste) le reprend ou le traduit, souhaitant visiblement assumer seul le rôle de leader du groupe, même s’il n’en est pas le chanteur. Ces petites luttes d’ego ne respirent pas la bonne ambiance au sein du band, mais peu importe, les morceaux sont là, identiques, originels, speedés, fulgurants d’évidence spontanée. Tous les tubes pieds au plancher (Here comes the summer, Teenage kicks) joués par ces préretraités nous font penser que rien d’équivalent n’a été produit ces dix dernières années (derniers sursauts en date, les Pixies et Nirvana). Le rock est mort, et les festivals n’accueillent plus que des quinquagénaires (ainsi demain, on ira voir Gang Of Four)… Pour enfoncer le clou, d’ailleurs, la soirée se poursuit doucement avec Hayseed Dixie : « originaire d’une vallée isolée dans les Appalaches, Hayseed Dixie est un trio spécialisé dans le bluegrass. Ce style de country inventé par Bill Monroe dans les années 1930, et récemment réhabilité par les frères Cohen dans le film O Brother, est traditionnellement joué par des solistes virtuoses de la guitare, du violon, du banjo, de la mandoline et, pourquoi pas, de la guimbarde. Avec son rythme rapide et enjoué, le bluegrass est sans doute la musique folklorique américaine la plus festive. Il y a cinq ans, ces trois musiciens décident d’enregistrer un album de reprises d’AC/DC version bluegrass. Ils enchaînent ensuite sur d’autres albums tels que le savoureux Tribute to Kiss (oui, le groupe de rockers maquillés…). » Les vieux sudistes en salopettes qui squattent la scène sont évidemment des virtuoses, mais sans doute pas plus que la plupart des groupes de pub qui tournent dans les Appalaches. C’est marrant cinq minutes, mais quand le chanteur commence à faire des jeux de mots sur George Bush et le « bush » (buisson) de la femme, ça commence à tourner aigre, et on se casse.
On va donc se finir sur Champion, le groupe du montréalais Maxime Morin, qui est assez amusant mais pas très intéressant. Morin est debout derrière un laptop et lance des boucles de house merdique tandis que cinq jeunes armés de guitares et de basses suivent du regard ses instructions (des gestes sommaires : 1,2,3,4,5 avec les doigts) pour jouer eux-mêmes des boucles de guitares distordues, telles des marionnettes du beat décervelées. Le dispositif est assez fascinant à regarder, mais la musique pêche par lourdeur, sorte de Rinocérose mal dégrossi, qui fait bien danser à 120 bpm les derniers types bourrés en place, mais ne fait pas long feu la fatigue aidant. Direction, donc, le petit hôtel.
Samedi 10.12.05
Ouf, troisième jour de compète, levé à 14h00, mangé au resto du lapin avec un gratin tout à fait délicieux, avant de faire la sieste devant la télé (joli documentaire sur Gregory Coupé sur Canal) jusqu’aux premiers concerts. On commence fort avec Jackson And His Computer Band (en fait de computer band, c’est bien un petit laptop qui trône sur la table du musicien), dans la grande salle. Autant on adore positivement l’album Smash du petit prodige parisien signé chez Warp, autant son IDM fractale et déstructurée peine à soulever le public clairsemé arrivé à 21h00. Ca aurait pu le faire à 4h00 du matin, où l’on peut vraiment danser sur n’importe quoi, mais en ouverture de bal, en pleine période de dégrisage de la veille, ça donne plutôt mal au cuir chevelu, d’autant que la version scénique semble n’apporter rien de beaucoup plus que la version CD (on aurait bien vu de jeunes beautés grecques en toges blanches chanter en choeur Utopia, mais non). On n’insiste donc pas et nous voilà devant Who Made Who, jeune groupe du label allemand Gomma, qui remporte un beau succès, à tel point qu’ils n’en semblent pas revenir eux-mêmes, avec un rock très groovy, déclinaison électrique (en power trio guitare / basse / batterie) d’un album plutôt electro qui nous avait un peu barbé sur la longueur, mais qui révèle ici tout son potentiel mélodique, ses belles structures accrocheuses, originales, et ses progressions efficaces. Après Munk l’année dernière, Gomma est décidément le label à suivre en matière d’electro mutante, hybride rock. Après un rappel mérité, le sourire aux lèvres, on retrouve Marion et Camille du Batofar, au bar. Les coquines ont réussi à faire passer des bières en douce et à la barbe d’un service de sécurité qui a le bon goût de ne pas trop la ramener (à la différence de celui de la Route du Rock cet été, secondé par des flics à tous les carrefours, qui nous avait donné quelques frissons et l’impression désagréable d’être sans cesse pris pour des ados attardés -à 30 ans passés !!). D’ailleurs, en parlant de sécurité, il paraît que ça chauffe à Rennes, m’a-t-on dit, apeuré, au téléphone depuis Paris. Hé bien que les téléspectateurs du journal de 20h00 (celui qui vous donne chaque jour rendez-vous avec la peur) sachent que nous on n’a rien vu, rien entendu, que les punks à chiens ici sont plutôt gentils et que la préfète, elle n’avait qu’à leur laisser faire leur rave tranquillement, c’est pas étonnant qu’elle ait des emmerdes après la sarkozienne ! Bref, je vais voir ces bons vieux Coldcult qui font leur show en vieux routiers, maniant l’extrait de vieux film de la Hammer avec autant de dextérité qu’un sample de James Brown, pour une furia psychédélique et débreakée de sons et d’images tout à fait réjouissante. Ce kaléidoscope sans fin de jazz, hip-hop, house, rock et breakbeats ressemble à une proposition libertaire et utopiste d’une musique multiculturelle et transfrontalière. On apprécie ce petit côté cyber-hippie, même si Jonathan More, Matt Black et leurs copains donnent plutôt l’impression d’appuyer sur « Start » que de produire un vrai live. Heureusement qu’il y a un Dj et un Mc pour ranimer tout ça de temps en temps. Au bout d’un moment cependant, le puzzle a du mal à se remettre en place et je commence à confondre mon voisin de droite avec un hologramme de Z6PO. Je décide donc d’aller faire un tour voir Clap Your Hands Say Yeah (l’affiche de ce soir est énorme, vous ne trouvez pas ?) pour me détendre les pupilles. Le quintet américain a bien mérité la réputation qui l’a précédé : entre Talking Heads et Arcade Fire, il propose un rock épique et mélodique, pop et exubérant, sans esbroufe mais avec une belle simplicité et une réelle intelligence de songwriting. Certains titres évoquent les périodes électriques de Yo La Tengo, tandis que le phrasé aigu et plaintif du chanteur rappelle parfois les premiers Palace. Comme ces derniers, on se doute que CYHSY va avoir une belle et longue carrière, que ce n’est pas un groupe kleenex pop de plus, mais une réelle entité rock, au songwriting travaillé et au jeu maîtrisé. Par ailleurs, au moins trois des membres du groupe ont des fronts immenses, limite hydrocéphales, ce qui leur donne l’air plus intelligent que Liam Gallagher, à n’en pas douter.
Heureux, on boit des coups au bar VIP avec Etienne Greib avant d’aller voir les vieux Gang Of Four. On est content de revoir sur scène un groupe qui a tellement été pillé ces trois dernières années (réécoutez Bloc Party, The Rapture ou LCD Soundsystem à l’aune de leur album de 1979, Entertainment). Opportunément reformés cette année (sur une compilation de morceaux réenregistrés assez dispensable), les quatre membres du Gang font sur scène belle impression : très classes, en costumes sombres, les visages sobres et fermés, ils assènent les standards post-punk avec une énergie sèche et acide qui fait bondir la fosse dans tous les coin. « Une guitare acérée arbitre la lutte engagée entre une batterie toute en ruptures et une basse au groove funky », on ne saurait mieux dire. Il n’empêche, le chanteur est assez inquiétant, faisant les cents pas le long de la scène pendant les parties instrumentales comme un loup en cage, se frottant le visage comme une héroïnomane, fixant d’un regard de psychopathe le public déchaîné, c’est assez beau, assez punk, assez post-punk. Là-dessus, Tiga enchaîne direct avec un remix à tomber des Franz Ferdinand, qui soulève tout le Hall 9 comme une vulgaire botte de foin et nous voilà tous partis pour danser sur de l’electro, de l’electro-clash, de l’electro-disco pendant une heure et demie, la majorité du public ayant les pupilles étrangement complètement noires, ce qui fait peur, ou rire. On ira quand même se déhancher sur les surf-garage-rock des russes Messer Chups, accompagnés par la virtuose Lydia Kavina au theremin, qui n’est autre que la petite-nièce de Leon Theremin, le génial inventeur de cet instrument, et qui utilise son instrument comme Yma Sumac utilisait ses cordes vocales. Leurs rockabilly, sur fond de projections de films de vampires ou de Russ Meyer, clôt en beauté la sélection rock du festival.
Enfin, la soirée n’est pas tout à fait terminée : on va encore se triturer les cervicales sur la jungle de Marky pendant une bonne heure (bio : « première moitié des années 1990, Marky travaille dans un magasin de disques de Sao Paulo. C’est là qu’il voit arriver les tout premiers maxis de jungle en provenance d’Angleterre. Le choc est immédiat et il milite alors pour que cette musique se développe au Brésil. Presque quinze ans plus tard, la scène drum’n’bass est l’une des plus foisonnantes du pays. Pour ne rien gâcher, Dj Marky en est devenu l’un des Dj’s et producteurs les plus respectés. Grand amateur d’un son drum’n’bass fluide, mélodique et gorgé de soul, Marky sera exceptionnellement accompagné par Dynamite Mc avec qui il a déjà collaboré le temps d’un maxi explosif »). En fermant les yeux, on verra toutes sortes de petites lumières rouges, bleues, vertes, blanches, parfaitement synchronisées avec les breaks fous, les basses vrombissantes, les cris du Mc et les mouvements de nos corps. On reviendra de Rennes avec un sérieux lumbago. Vivement l’année prochaine.