Groupe suédois mythique, Träd Gräs Och Stenar (traduire par « Arbres herbes et pierres ») a émergé dans les années 70 sous l’influence conjuguée des mouvances politiques anarchistes, de Terry Riley, du rock expérimental et des musiques ethniques. Leur musique se développe autour de longues improvisations expérimentales qui prennent toute leur ampleur en live. Les années passant, leur avant-rock psychédélique teinté de folk n’a rien perdu de sa densité et le quintet, à soixante ans de moyenne d’âge, continue d’irradier les scènes de leur énergie flamboyante. Aujourd’hui reconnus a la fois comme les parrains du krautrock, du punk et de la vague indie-folk actuelle, ils ont récemment joué aux côtés de NoNeck Blues Band, Thurston Moore, Jim O Rourke, Stephen Malkmus (qui les présente comme son groupe préféré) et tourné au Japon avec Acid Mothers Temple. A l’occasion de leur premier passage à Paris (septembre 2007), les piliers de ce groupe séminal, quoiqu’injustement méconnu, ont bien voulu nous accorder un long entretien. Bienvenue dans la Transe d’après !

Chronic’art : Il semble qu’une nouvelle génération découvre aujourd’hui votre musique, en particulier grâce aux rééditions sur Silence et de l’article paru dans Wire. Comment expliquez vous ce nouvel engouement ?

Jakob : Nous n’en avons pas la moindre idée. C’est sans doute nous qui sommes les plus surpris. C’est une période de chance qui nous apparaît comme une sorte de récompense pour toutes ces années pendant lesquelles personne ne s’est jamais intéressé à nous en dehors de la Suède. Nous avons quand même fini par obtenir une forme de reconnaissance !

Torbjörn : Je pense que cette jeune génération a grandi dans une tradition techno et hip-hop (et tous les sous-genres que cela englobe). Ils sont habitués a une musique répétitive comportant de lentes transitions et sont plus ouverts a l’expérimentation, ils sont donc plus facilement réceptifs a notre musique. A l’époque, notre musique était considérée comme extrêmement ardue, les gens se demandaient même parfois si c’était bien de la musique. J’ai remarqué que notre double CD Pärson Sound (réédité sur Subliminal Sounds, ndlr) a eu une importance capitale, de nombreuses personnes le mentionnent comme une référence. C’est étrange, ce sont nos tous premiers enregistrements !

Vous tournez à nouveau depuis 2000. Les enregistrements live ont un rôle crucial dans votre discographie et ont été précautionneusement enregistrés, chose rare à l’époque…

Jakob : Ils ont simplement été réalisés avec deux micros Sennheiser puis transférés sur un magnétophone à bandes Revox.

Torbjörn : Nous nous sommes plus précisément reformés en 1995, à la demande d’un nouveau public de jeunes, ce qui fut pour nous une grande surprise. Ca fait donc douze ans que nous tournons sans cesse, et nous avons fait au moins 200 concerts, davantage encore que dans les années 60-70.

Vous avez changé plusieurs fois de musiciens depuis votre première formation. Comment le groupe a-t-il évolué au fil du temps ?

Jakob : oui, le line-up s’est quelque peu modifié au fil du temps, mais pas tant que ça pour un groupe de 37 ans d’existence. Je dirais au contraire que le noyau dur est toujours resté le même. Nous sommes passés de International Harvester à Trad Gräs och Stenar, non seulement pour refléter notre intérêt pour la Nature mais aussi car nous devions trouver un nouveau nom lorsque Tidholm a décidé de quitter le groupe. Jakob nous a rejoint en 1970. Lorsque notre claviériste Arne s’est absenté la même année, notre formation était alors exactement la même que celle d’aujourd’hui.

Bo Anders : Jakob est le seul a avoir été un ‘rock n roll kid’ depuis le début. Tous les autres ont fait leurs gammes dans d’autres styles de musique, que ce soit le classique, la musique contemporaine ou le jazz. Torbjörn, le bassiste, et moi-même avions fondé un groupe au milieu des années 60 qu’on pourrait qualifier d’improvisation bruitiste. Nous avons rencontré par la suite Arne Ericsson qui devint le clavier du groupe. Nous avons également sympathisé avec le poète Thomas Tidholm, il eut une grande influence sur nous. Mais le groupe prit véritablement son envol dès le moment ou Thomas Mera Gartz, qui était déjà un batteur soul accompli, nous a rejoint.

Quelles étaient vos différentes méthodes d’enregistrement, entre le live et le studio ?

Jakob: La situation est souvent plus détendue en live, devant un public, car on oublie alors qu’un enregistrement est en cours. Pour nous, la musique est vraiment liée à l’instant présent. Quand tu es dans un studio, tu commences à te poser trop de questions sur ce que tu es en train de jouer. Trop réfléchir fait disparaître l’élan du moment.
Torbjörn: Tous les morceaux instrumentaux du CD Ajn Schvajn sont de pures improvisations, juste dans l’instant – aucune discussion, aucun plan, aucune structure préalables. Ils ont été enregistré au cours d’une longue période et à diverses occasions – pas d’enregistrement coûteux en studio, pas de producteur derrière notre dos qui attende le produit fini. Nous avions des tonnes d’enregistrements, il n’y avait qu’à faire le tri. C’était vraiment satisfaisant de réaliser qu’on pouvait faire de la musique sans avoir besoin d’un public. D’habitude, le public est pour nous une part importante du processus de création.

Quelle musique avez vous écouté durant votre jeunesse ? Comment avez vous été exposés à la contre-culture et à l’avant-garde de l’époque ?

Jakob: En ce qui me concerne, c’était Elvis Presley et Little Richard dans les années 50, ensuite ce fut l’époque de la pop et du rock. Mes plus grandes influences resteront à jamais Jimi Hendrix et le Velvet Underground.

Bo Anders : Comme je disais, Jakob est le seul à avoir été un ‘rock n roll kid’ dès le départ. Pour ma part, ma principale influence fut le compositeur minimaliste américain Terry Riley. Je l’ai rencontré à Stockholm en 1967, ce qui m’a amené jouer dans la première représentation suédoise de sa composition « in C ». Cela a eu un impact énorme sur moi. Je me demande même si j’aurais persévéré dans la musique sans cela…

Torbjörn : Pour moi, la musique anglo-saxonne n’était qu’une petite part d’un ensemble beaucoup plus large d’influences. J’écoutais des musiques de toutes sortes d’origines: de la musique européenne très ancienne, de la musique d’Inde, du Japon, de Chine, de Java, du free jazz, de la musique arty contemporaine, etc. Si nous ne devions retenir qu’un nom, ce serait sans hésiter Terry Riley, qui fut initialement l’un de nos principaux gourous.

Pouvez vous nous parler de vos groupes antérieurs Pärson Sound et International Harvester ?

Jakob : C’est Bo Anders qui forma Pärson Sound en 1967 avec notre bassiste Torbjorn. Mera notre batteur les rejoignit la même année. Plus tard, un certain Thomas Tidholm prit part au groupe qui devint International Harvester. Ils firent un seul album intitulé Sov Gott Rosmarie (« Dors bien Rosemarie »), puis ils durent abréger leur nom en Harvester, suite aux poursuites judiciaires de la compagnie de camions homonyme. Ils enregistrèrent un nouvel album avant que Thomas ne quitte le groupe, qui devint alors Träd Gräs Och Stenar. J’ai commencé à jouer avec eux en 1970.

Torbjörn : En fait, tout s’est passé très vite entre nos tâtonnements noise du printemps 1967 durant trois sessions improvisées (Bo Anders, Urban Yman, Arne Ericsson et moi sommes à l’origine de Pärson Sound / International Harvester) et la formation subite d’un groupe à proprement parler en juillet / août de la même année.

Quel était le contexte politique en Suède à ce moment là ? Vous sembliez évoluer dans un milieu libertaire très engagé au delà de la musique…

Jakob : C’est peut-être juste une intuition, mais il me semble que l’état d’esprit en Suède était plus proche de celui de la France que de celui des Etats-Unis.

Torbjörn : Nous faisions partie de la mouvance gauchiste en Suède, mais sans jamais faire partie d’un groupe établi ni militer dans un parti. Nous étions bien trop anarchistes pour accepter le dogmatisme des groupuscules de gauche suédois du début des années 70. Et nous le sommes toujours… Mais les débats politiques au sein du groupe étaient sans fin, nos tournées ressemblaient à un séminaire continuel. Nous avons souvent participé à des manifestations et des marches, plus particulièrement quand il s’agissait d’arriver à un but concret.

Il existe un film où vous apparaissez au sein d’une communauté mixte, au sommet d’une colline, devant une banderole sur laquelle sont peints les portraits de Foucault, Mao, etc.

Bo Anders : Cette banderole avait été réalisée par Thomas Tidholm, il voulait que cela reflète le spectre de nos influences dans toute sa largeur. Si je me souviens bien, Terry Riley y figure aussi !

Torbjörn : Désolé, pas le temps de rentrer dans les détails, c’est un sujet bien trop large. Pour faire bref, notre ambition était de combiner toutes les forces positives, communautaristes et progressistes, ce qui explique la large variété de ces sources d’influences. Mais c’est tellement embarrassant rétrospectivement – pas une seule femme parmi ces personnalités !

Parlez nous de vos connections avec la scène artistique suédoise de l’époque… Vous avez notamment été proches du philosophe et historien d’art Pontus Hulten (alors à la tête du Musée National d’Art Moderne), de l’artiste Öyvind Fahlström, de la poésie concrète, du happening…

Torbjörn : Oh, c’est une longue histoire… Nous avons réalisé la bande-son d’un film d’Öyvind Fahlström en 1969, et nous avons également bénéficié du soutien de Pontus Hulten, qui nous invita à plusieurs reprises à jouer au Musée d’Art Moderne.

Boanders : J’étais sidéré d’apprendre que Pontus était, en quelque sorte, un fan de tout ce que nous produisions ! Nous faisions d’un certain côté partie de cette scène, mais nous cherchions d’autre part à ce que notre musique soit plus folk, qu’elle puisse s’adresser à tout le monde.
Aviez vous des accointances avec des compositeurs tels que Folke Rabe? Quelles sont vos connections avec la scène musicale électro-acoustique (les Studios SEM de Stockholm, le centre multimedia Fylkingen…) ? Y avait-il d’autres groupes desquels vous vous sentiez proches, avec lesquels vous partagiez les memes idées ?

Bo Anders : Oh, des groupes proches, il y en avait pleins! Nationalteatern, Älgarnas Trädgård, Flesh Quartet, je ne me souviens pas de tous! En ce qui concerne le côté plus arty, j’ai fait un album avec Folke Rabe sur le label allemand Wergo: Proteinimprialism / Was. Ces deux pièces sonores doivent beaucoup à Terry Riley et furent produites au studio EMS.

Torbjörn : Folke Rabe est un ami à nous, il est très proche de Bo Anders. Nous étions (et sommes toujours) amis de Fläsket Brinner, Kebnekaise, Samla Mammas Manna et de tout un tas d’autres groupes. Le milieu musical suédois n’était pas si large que ça, tout le monde se connaissait.

Vous avez joué à la même affiche que des groupes pop séminaux, comme les Doors, les Mothers of Invention ou le Velvet Underground. Les considériez vous comme des influences ?

Bo Anders : Nous avons ouvert pour les Doors en 1967 au Stockholm Concert Hall, c’est tout ce dont je me souviens. Ils étaient défoncés et arrogants comme peuvent l’être les Américains, c’était évidemment assez intimidant pour nous. Mais une influence, non !

Torbjörn : J’imaginais qu’ils seraient curieux de connaître notre groupe, mais ils s’en foutaient, ils nous ont tout juste dit « bonjour ». Bien sûr nous écoutions la musique de tous ces groupes mais je ne pense pas qu’ils nous aient influencés tant que ça.

Lequel d’entre vous a participé au concert de Terry Riley Oslo III, sa pièce jouée par des enfants ?

Bo Anders : Aucun d’entre nous ! J’étais juste spectateur, cela dégageait une impression très spéciale, assez chaotique, d’aussi loin que je me souvienne.

Torbjörn : Bo Anders était très proche de Terry Riley durant toutes ces années. Pour ma part, je ne l’ai rencontré que quelques fois. Nous étions tous les deux présents au concert de Olson III mais nous n’y avons pas participé. Tous les instruments étaient joués par des enfants.

Quelles étaient les réactions du public lors de vos premiers concerts ?

Bo Anders : Notre musique ne se serait jamais développée sans le soutien du public de Stockholm. L’engouement des jeunes pour notre musique nous a beaucoup surpris.

Torbjörn : Nous fantasmions sur l’idée que le public prenne part à la musique, mais au final, nous nous retrouvions dans la situation classique groupe-public. C’est à partir du printemps 1969 que nous avons expérimenté de nouvelles formes, en faisant de la musique avec des instruments basiques que n’importe qui aurait pu jouer, le concept de « Spela själv » était né (difficile à traduire, mais cela équivaut un peu à « Do It Yourself »). Cette notion constitua bientôt un véritable mouvement – des groupes qui fabriquaient leurs propres instruments à l’aide de matériaux recyclés, se mirent à faire le tour de la Suède, jouant une musique minimaliste aux structures simples. C’était un peu comme la révélation d’une nouvelle tradition musicale démocratique; Nous n’étions pas les seuls inventeurs de ce mouvement, nous y prenions part dans le même temps. Ce concept modifia la manière de jouer de la musique live tout en posant de temps en temps problème – les affiches de nos concerts mentionnaient « apporter vos propres instruments », mais lorsque quelqu’un prenait cela très au sérieux et montait nous rejoindre sur scène, ça ne fonctionnait pas toujours si bien que cela. C’était l’exemple parfait du fossé qu’il existe entre la théorie et la pratique. En fait, pendant ces années d’expérimentation, nous refusions de jouer sur des scènes trop hautes, nous préférions nous installer au niveau du sol, le long du mur de la salle, de manière à être le plus prêt possible du public. Nous avons toujours été très sensibles aux réactions du public, nous cherchions à refléter l’ambiance de la salle, ce qui pouvait être parfois un peu dangereux les fois où l’on ressentait de l’anxiété ou de l’hésitation dans l’air.

Avez vous fait beaucoup de concerts hors de Suède ?

Jakob : Nous avons joué une seule fois en Norvège et une fois ou deux en Finlande, et aussi quelques tournées plus longues au Danemark. Partir jouer au Danemark à cette époque était un grand soulagement pour nous.
Bo Anders : Plus récemment, nous avons fait une tournée aux Etats-Unis et au Japon.

Vous êtes souvent considérés comme un équivalent suédois du krautrock. Connaissiez vous des groupes allemands tels que Aamon Duul, Can, Faust, etc. ?

Jakob : Non, nous connaissions juste la scène anglo-saxonne à l’époque. Mais nous écoutions aussi beaucoup de musique ethnique – de la musique indienne, de la musique de gamelan, de la musique africaine, de la musique amérindienne – mais pas de rock européen.

Bo Anders : Je dois admettre que j’étais ignorant, je n’écoute encore que rarement des disques. Mais tous ces courants « alternatifs » semblent s’être déclenchés intuitivement vers 1970 un peu partout en Europe. Il y a peut-être une chance pour que de telles choses se produisent à nouveau.

Torbjörn : Tu sais, c’était bien des années avant Internet, on ne communiquait pas aussi facilement d’un pays à l’autre. Nous en avons entendu parler environ dix ans plus tard.

Quelles étaient vos activités entre 1974 et 2000 ? Travailliez-vous en dehors de la musique ?

Bo Anders : Notre batteur Mera a toujours été un musicien, ce n’est que tardivement qu’il s’est résolu à avoir un « vrai job ». Mais tous les autres avaient des boulots alimentaires, chacun d’entre nous a une famille et des enfants, certains d’entre nous ont même des petits enfants. Ce qui me différencie, c’est qu’il m’a fallu plus de temps pour trouver une compagne. Sans doute parce que j’ai toujours vécu à la campagne, à essayer de faire pousser mes légumes.

Torbjörn : Nous avons tous eu une vie civile, en particulier pendant les années 80. Nous avons joué dans d’autres groupes, travaillé comme enseignants entre autres occupations. C’était plus facile dans les années 70 de gagner sa vie en tant que musicien. Après 1980, le coût de la vie a augmenté. Nous sommes obligés depuis 1995 de combiner les tournées avec notre vie professionnelle, ce n’est pas toujours facile.

J’ai entendu dire que votre morceau I’m a punk rocker est un pastiche de I’m a rapper… De quoi parle exactement cette chanson ?

Bo Anders : C’est la jolie petite histoire d’un garçon, d’une fille bourrée et d’une voiture!

Et, oui, de « Punk attitude ». C’est la reprise d’un autre groupe, ils voulaient entendre notre propre version. En voici les paroles :

You see me driving in my car
it´s just not looking good
I’ve got both hands off the wheel
I get you running
You can see me laughing to myself
But you can’t hear the music in my head
Cause I´m a punk-rocker I am
yes I´m a punk-rocker I am

I see you standing in the street
You’re just not looking good
Sure You dress up like a queen
but you can´t stay on your feet
You can see me laughing to myself
But you can´t hear the music in my head
Cause I´m a punk-rocker I am
Yes I´m a punk-rocker I am

Les hommes, les femmes et les voitures, ca représente un truc énorme qui cause beaucoup de dégâts partout dans le monde. La mort de la vie sur terre et dans la mer par exemple. La cause de flux migratoires en raison des changements climatiques. Je considère donc cette chanson comme une chanson primesautière sur un sujet sinistre. J’aime bien la chanter sans que je sache vraiment pourquoi. La version rap serait en tout cas sûrement intéressante.

Torbjörn : Ce n’est pas vraiment un pastiche en fait. Cette chanson a été « relayée » d’un groupe à un autre. Plusieurs groupes / artistes tous genres confondus l’ont enregistré. Pour nous, c’est le fruit d’une coïncidence. Il y a quelques années, nous avons eu l’opportunité de reprendre la chanson d’un groupe au choix, nous avons opté pour un morceau du groupe rock suédois Caesar’s Palace, nous l’avons téléchargé et fait une répétition par mail interposé. Ils nous ont en quelque sorte passé le « relais ».

Avez vous un nouvel album en prévision ?

Jakob : Oui, nous travaillons sur un nouvel album mais nous avons toujours été un peu long à la détente. Ca prend énormément de temps. Mais nous espérons qu’il sortira l’an prochain.

Bo Anders : Je me fous un peu des disques, mais j’espère que nous ferons encore pleins de bons concerts, comme celui de Paris à venir.

Propos recueillis par

Plus d’infos :
www.myspace.com/sowiesogigs
www.myspace.com/tradgrasochstenar
www.tgs.nu