Journée promo de Doug McCombs dans un hôtel parisien. La cinquième roue du carrosse Tortoise porte chemise de bûcheron et décalage horaire pour défendre le nouvel album discrètement politisé du toujours meilleur groupe de Chicago.
Chronic’art : D’où vient le titre de l’album ?
Doug McCombs : Pour nous, la cohésion générale de l’album est très importante. La musique, la pochette, les titres de l’album et des morceaux sont d’égales importances. Quand nous avons réfléchi ensemble à quel titre nous pourrions donner, celui-là était le plus évident, comme la pochette. Sans être très précis, « It’s all around you », pour moi, signifie que regarder le monde aujourd’hui pour un Américain, c’est prendre conscience de la responsabilité qui pèse sur nous. C’est l’idée que si les Américains regardaient juste un peu autour d’eux, ils verraient que les problèmes ne viennent pas d’ailleurs, de l’étranger, mais bien de chez eux, juste à côté d’eux…
Entre « la lettre volée » et Elephant ?
Oui, mais nous essayons aussi de garder l’ambiguïté possible, de façon à ce que chacun y trouve ce qu’il veut.
Certains passages calmes dérivent vers des éléments inquiétants…
Oui, nous y avons pensé aussi en ces termes. Il devait y avoir quelque chose de spécial, d’indéterminé, qui devaient se dégager de ces morceaux et provoquer le désir d’en savoir plus chez l’auditeur, d’y revenir.
Comment avez-vous enregistré ce nouvel album ?
Depuis TNT, chacun vient au studio de John McEntire (SOMA) avec ses morceaux, que chacun met dans l’ordinateur. Ou bien nous répétons ensemble à trois ou plus, et essayons d’en tirer quelque chose. Nous n’improvisons pas vraiment, mais développons des séquences, cherchons des arrangements. Nous voulons que la chanson finie soit une vraie composition. Il y a juste une chanson, qui n’est pas sur l’album, qui est une improvisation, autour d’un thème, que nous gardons pour une sortie parallèle. C’est un travail collectif, de la composition jusqu’au mixage final. Nous voulons que chaque morceau maintienne l’intérêt de l’auditeur. Quand l’un d’entre nous pense qu’il y a trop d’élément sur un passage, ou que l’on s’ennuie, on modifie.
En même temps, on a l’impression d’une vision musicale cohérente, quasi subjective…
Oui, chacun a un rôle égal dans la composition d’un morceau. C’est comme un programme libre, démocratique, où chacun apporte sa pierre à l’édifice.
Vous avez beaucoup réfléchi au track-listing ? Il y a des passages entre les morceaux assez frappants, par exemple, le très exotica On the chin qui survient juste après un passage très bruyant, saturé…
On n’a pas de chanteur qui ferait le lien entre les chansons, et ce ne sont pas non plus des pop-songs. Le track-listing nous permet de faire de l’album un tout cohérent, de maintenir l’intérêt de l’auditeur, en variant les tempi et les intensités, en alternant les textures et les atmosphères.
Vous en parlez un peu à la manière d’un scientiste. Est-ce qu’il s’agit de manipuler des émotions ?
Oui, absolument. Chaque chanson est un feeling particulier, qui doit succéder à une autre émotion. Entre le morceau 5 et 6, nous voulions faire un seul titre des 5 et 6. A la fin du morceau 6, le volume augmente bruyamment et puis vient le titre 7.
On pense à des musiques de films pour cet album, plus que pour les précédents. A des gens comme Carpenter ou Goblin, pour le côté un peu effrayant de certains passages.
Goblin ! Wow. Mais je comprends ça… Nous ne voulons pas faire une musique gentille, agréable, confortable. Nous voulons garder une partie d’anxiété dans la musique. Je n’aime pas trop parler de la musique en termes scientifiques, car elle peut aussi manipuler dans le mauvais sens du terme… Mais notre angoisse dans le monde d’aujourd’hui doit être reflétée par notre musique. Il faut déjà que quelqu’un mette George Bush à la porte de la Maison Blanche, n’importe qui, et on verra après… Les gens se rendent compte qu’il y a une nécessité à faire de la politique, car les choses sont de pire en pire. Le problème, c’est que les démocrates ne valent pas beaucoup mieux que les républicains. Par ailleurs, les présidents sont tellement dressés pour le pouvoir qu’on se demande un peu quel genre de personnes humaines ils peuvent être…
Il y a une permanence chez Tortoise, qui continue depuis bientôt dix ans à creuser son sillon, à poursuivre sa recherche. Que pensez-vous de la musique actuelle ?
Il y a de bonnes choses, mais la meilleure musique se trouve toujours d’abord dans l’underground avant de faire partie du mainstream, quoiqu’on en dise. C’est mon avis. Personnellement, j’aime la musique qui donne le sentiment qu’il y a eu un investissement personnel de la part de l’artiste, qu’il a trouvé sa manière la plus personnelle de créer.
Vous avez fait partie des curateurs du récent All tomorrows parties. Vous avez choisi quels groupes ?
Les Boredoms, Broadcast, Mike Watt, Lungfish, un groupe de Baltimore post hardcore très doué, Azita, une chanteuse de Chicago et très grande pianiste, dont le songwriting ne ressemble à rien de connu, Lightning Bolt… Lightning Bolt est très intéressant également. Ils existent complètement à leur niveau, ils ont leur propre manière de créer, de jouer, de faire des concerts, ce que je trouve vraiment intéressant. C’est juste deux gars qui font de la musique chaotique, mais ils préfèrent jouer dans une fête chez quelqu’un, dans un loft, que dans une salle de concert. Ils sont autonomes, ils trimballent leur propre sono, et ils préfèrent jouer au milieu du public plutôt que sur une scène aménagée et à distance de l’auditoire.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de It’s all around you