Enregistré à Tucson avec le producteur Jim Waters (Jon Spencer Blues Explosion, The Little rabbits) , ROCKY, le troisième album des Married Monk marie song-writing et audaces electro-acoustiques. Rencontre avec Philippe Lebruman et Christian Quermalet.

Chronic’art : Quand avez-vous enregistré ce nouvel album ROCKY ?

Christian : En septembre 1999, on est parti trois semaines à Tucson avec Jim Waters et on a mixé l’album en février 2000 à Louvain, en Belgique. Comme on fait toujours, on est parti là-bas avec des ébauches de compositions, des structures de morceaux, des mélodies plus ou moins en place, et on a tout fini là-bas. La couleur des arrangements et certains textes ont été réalisés en Belgique.

Philippe : On arrive avec le minimum de matériel et on fait avec ce qu’il y a sur place. On a emprunté des instruments, d’autres musiciens que Jim Waters connaissait sont venus jouer avec nous.

Comment s’est passé la composition des morceaux ?

Philippe : On a monté les bases d’abord. On part de démos guitare-voix, que j’enregistre avec le moins de moyens possibles, pour qu’elle soit les plus pourries, le plus embryonnaires possibles. Je ne veux pas faire de la pré-prod sur seize pistes, mais au contraire monter des propositions de chansons, très succinctes, que tout le groupe va pouvoir travailler et enrichir ensuite. D’une part, cette méthode nous empêche de prendre le pli, de nous focaliser sur certaines idées, et d’autre part, elle nous permet une plus grande liberté ensuite, quitte à oublier les premières idées.

Philippe : Après, pour l’enregistrement, c’était différent sur chaque morceau. Pour certains titres, on a attaqué guitare-basse-batterie, en live, et on habillait ensuite. Ou alors, on construisait petit à petit .

Christian : On a enregistré 80 % de l’album sur ordinateur, avec Logic Audio. Ce qui nous a permis de travailler les arrangements.

Quel a été le rôle de Jim Waters ?

Philippe : Il a été à l’écoute. Il nous laissait tout essayer et en même temps, il allait très vite. On comprenait très vite avec lui si c’était ou non la peine de continuer dans telle ou telle direction.

Christian : C’est un très bon preneur de son, mais qui ne met jamais en avant sa technique, qui ne fait pas d’esbroufe avec son savoir-faire technologique, comme certains ingénieurs du son en France ou à Paris qui veulent toujours te brancher sur des supers compresseurs. Avec lui, tu dis que tu veux faire un orgue, et dix minutes après, tu es devant ton orgue avec un casque sur la tête, et tu peux jouer. Il privilégie la dimension artistique avant tout, même s’il maîtrise extrêmement bien la technologie, il ne le montre pas. Il est musicien avant tout. Il peut nous dire de jouer une octave plus haut ou plus bas. Il nous a aidé pour les ambiances et les couleurs.
Justement, au niveau des arrangements, le contraste est frappant avec The Jim side

Philippe : Sur The Jim side, il y avait souvent un lead de guitare folk qui formait l’ossature du morceau, et on jouait autour. Sur ROCKY, il y a moins de guitares.

Christian : The Jim side, c’est en quelque sorte un morceau décliné plusieurs fois. Pour ce nouveau disque, on avait envie d’être en phase avec notre manière d’appréhender la musique. Comme on écoute plein de choses très différentes, on voulait que cette diversité ressorte sur le disque, avec plein d’ingrédients différents, tout en essayant de garder une unité, une cohérence d’ensemble, ce qui a été un peu le défi de cet album. Mais le fait est que chaque chanson a une identité propre, du morceau disco à la ballade. Plus que les chansons en elles-mêmes, c’était ce qui nous excitait dans ce projet. On est aussi parti avec treize morceaux et on n’en a éliminé aucun. On n’a pas fait de tri. On aime bien travailler avec ce qu’on a.

Philippe : Les arrangements se sont faits sur le moment, on essayait des choses, et si ça plaisait au groupe, on gardait. A partir du moment où ça servait le morceau, que se soit un beuglement de vache ou un quatuor à cordes, si tout le monde était d’accord, ça passait. Les morceaux sont très ouverts au départ, ce sont des embryons de chansons. Donc, c’est très facile pour chacun d’y apporter sa touche. On ne vient pas en studio pour rabâcher une démo, avec un plus gros son.

Christian : C’est comme un atelier.

On a l’impression que vous vous êtes libérés sur cet album, qui est plus rock, plus agressif que les précédents. Et en concert, c’est encore plus frappant : le fait que Christian puisse crier sur certains morceaux semblait inimaginable à l’époque de The Jim side.

Philippe : Parce que les morceaux s’y prêtent.

Christian : Ce n’est pas une question de confiance qu’on aurait acquise. Parce qu’on aurait pu rester dans le même registre et gagner en confiance également. Ici, à mon avis, ça tient plus au fait qu’on a osé s’aventurer vers des choses inhabituelles. Sans que ce soit un style différent. C’est une question de courage qu’on a eu à ce moment précis. Pour le côté rock dont tu parles, on écoutait en fait plus de rock un peu violent à l’époque de The Jim side qu’aujourd’hui. On a toujours bien aimé les Ramones par exemple, mais on peut aussi écouter de la musique baroque ou n’importe quoi. On n’est pas limité à un genre, la lo-fi par exemple, chaque genre a ses qualités.

Est-ce que cette agressivité plus visible aujourd’hui relevait d’une sorte d’esprit de revanche, d’une envie d’en découdre ? Par rapport peut-être à l’accueil confidentiel des premiers albums ?

Philippe : Non, le disque n’a pas été fait dans cet état d’esprit-là…

Christian : Dans ce cas, ça commencerait à être du calcul. On ne travaille pas comme ça, on est dans une bulle, nous, en studio, on est vraiment coupé de l’extérieur et c’est pas plus mal. Après, la différence que tu peux ressentir entre cet album et le précédent tient plus au fait qu’on a voulu montrer une facette différente de ce qu’on était. C’est vrai que ça peut dérouter certaines personnes.

Philippe : Et puis, avant de créer les Married Monk, on faisait de la musique beaucoup plus violente sous d’autres formations. Christian avec les Tétines noires, moi avec Swam Julian Swam. Ca valait ce que ça valait, mais on envoyait la sauce. On était plus punk-rock avant les Married Monk. Dans Swam Julian Swam, il manquait peut-être une qualité d’écriture qu’on a pu mettre en place au sein des Married Monk. Mettre la chanson et le texte en avant.

Avec ROCKY, vous avez réussi à marier le songwriting avec une musicalité, mais peut-être au détriment d’une certaine joliesse. Il y a des dissonances, les arrangements de Yann Tiersen peuvent être oppressants…

Christian : Sur Holidays, Yann a essayé plein de choses pendant des heures jusqu’à ce qu’on lui dise : « Ca c’est bien ». On lui donnait des indications d’ambiance plus que de jeu, et on lui a demandé d’essayer de faire un truc un peu froid, inquiétant.

Philippe : Pour ne pas abonder dans le sens du morceau original, qui est entraînant, enjoué. On a pris le contre-pied.

Philippe : Mais il y a des jolis morceaux aussi sur l’album. Si un texte ou une mélodie a besoin d’un peu de « Monsieur sale » comme dit Christian, dans ce cas, on salit un peu, mais dans l’intérêt de notre vision du morceau.

Christian : On voit toujours où est la limite de toute façon. On sait quand c’est trop chargé, quand il y a trop de pathos, de redondance. Et puis on s’écoute beaucoup les uns les autres, on se concerte. Mais ça va vite, on est assez rapide pour décider de ce qui est bon pour le morceau ou pas.
En écoutant le morceau Rome Amor, on a eu l’impression que ça parlait de Pasolini. Vous confirmez ?

Christian : C’est venu d’un texte, un descriptif du corps de Pasolini tel qu’on l’a retrouvé sur une plage d’Ostie. Ca m’a donné envie d’en faire une chanson, en faisant attention à ne pas tomber dans l’adoration… Tous les textes en italien sont de Fabio, ceux que je chante sont de moi. Les textes sont toujours basés sur des choses qui me sont arrivés ou dont j’ai été témoin, mais transformées. Je peux mélanger un événement arrivé il y a dix ans avec quelque chose qui s’est passé récemment. La multiplicité des personnages et des voix nous permet de ne pas être trop ancré dans une ambiance ou une identité figée.

Les arrangements, le côté foisonnant du disque apportent un côté psychédélique…

Christian : Certaines ambiances peuvent avoir un côté psychédélique, mais plutôt dans le sens de la musique de Mercury Rev par exemple. Le côté baba, hallucinogène du psychédélisme m’a toujours rebuté.

Philippe : L’étrangeté de certaines sonorités viendrait plus de la musique contemporaine à mon avis. Ligeti, Nono, des trucs qu’on écoute aussi. Ou des choses plus grand public, comme Bernard Hermann.

Comment est né le morceau disco ?

Philippe : C’était une boucle dont on ne savait pas trop quoi faire. On a essayé des sons, des rythmiques, et on a proposé à Clifton Taylor, un ami de Joey Burns, de faire le texte. Ca nous a plu, on l’a gardé comme ça. Ca s’est construit en deux jours.

Au niveau des sonorités, des structures, c’est un album qui me semble plus abstrait que les précédents…

Christian : Je ne sais pas. Ca s’est fait en fonction des moyens dont on disposait là-bas. Si on avait enregistré à Dakar, on aurait utilisé des instruments africains.

Philippe : C’est un peu dû au hasard aussi. Par exemple, on avait loué un piano, et c’est un piano complètement pourri, mal accordé, avec des touches qui ne marchaient pas, qui est arrivé. On en a commandé un autre, mais on a aussi gardé le premier et on s’est servi des deux. Pour créer certaines ambiances, ce piano bastringue a été très utile.

Christian : Pour éviter aussi de donner un côté bateau ou pompier à certaines lignes de piano. Presque comme du piano préparé…

Propos recueillis par

Lire la chronique de R/O/C/K/Y