Sean O’Hagan, arrangeur pop de génie, est aussi affable qu’érudit. Pas toujours compris par la presse pop et rock, on sent chez lui le besoin de mettre un peu les choses au point. Rencontre à l’occasion de la sortie de Beet, maize and corn.

Sean O’Hagan : J’ai tourné pendant près d’un an sur la côte Est, dans des cafés, des petites salles avec juste une guitare nylon. Je n’aime pas les guitares folk acoustiques, j’ai essayé d’arrêter de composer au piano, mais plus à la guitare, à la manière des compositeurs brésiliens, comme Jorge Ben, ou de musiciens français. On découvre de nouvelles possibilités harmoniques avec la guitare seulement. J’ai aimé tourner comme ça, en me retrouvant proche des gens : il faut meubler entre les morceaux, apporter beaucoup plus de soi, quand les concerts en groupe sont très protecteurs, mettent le public à distance. J’ai trop fait ça : avec des visuels dans le fond, aucun silence véritable… Comme tous ces groupes psychédéliques, Spirtualized, etc. Je trouve ça « crap » maintenant. L’idée derrière tout ça est de créer une expérience pour le spectateur. Je trouve ça un peu cliché aujourd’hui. Je reviens à des choses plus humaines, qui engagent plus d’humanité, de communication… Je me sens plus détendu…

Chronic’art : C’est l’envie de réhabiliter la chanson avant les arrangements ?

Oui, j’aimerais pouvoir dire que si la chanson est assez forte en elle-même, alors elle n’a pas besoin d’arrangements. Et pourtant, une bonne chanson, une belle mélodie suscite aussi l’envie de la colorer, elle inspire des contrepoints, des arrangements. Je n’aime pas trop l’idée de « songwriter », Bob Dylan me met un peu mal à l’aise. Je préfère l’idée de « troubadour », quelqu’un comme Jacques Brel peut-être, ou les brésiliens qui faisaient leurs chansons avec ou sans arrangements. La guitare nylon a un langage complètement différent de tous les instruments : plus doux, plus lumineux…

En composant les morceaux, tu les penses comme un tout organique ? Ou ce sont des constructions ?

D’abord, je compose les mélodies, généralement au piano. Les lyrics arrivent après la musique. Parfois, six mois après. Ils répondent à la musique. Je compose les arrangements à partir de la mélodie de départ. J’entends les instruments qui doivent s’ajouter… C’est effectivement une construction.

Le morceau Porter dimi semble monter progressivement, et me fait penser à Stairway to paradise de Harper’s Bizarre…

Le début ressemble à une chanson traditionnelle, avec des lyrics un peu country : les garçons chantent un couplet, les filles chantent un couplet, et les deux se répondent. Et puis le morceau évolue en distinguant les parties respectives des filles et des garçons, en accélérant l’alternance : chacun dit la moitié du couplet, puis de la phrase et ainsi de suite la moitié de la moitié de la moitié…
La fin est inspirée par les travaux de Charles Ives ou Benjamin Britten. Je voulais faire un disque qui ne soit pas influencé par la musique populaire actuelle, mais qui s’inspire de l’impressionnisme anglais et français, Ravel et Debussy notamment, et aussi des 50’s américaines : Frankie Avalon, Bobby Darrin, et le producteur Jack Nietsche. En mélangeant ces deux références musicales, je me disais que je pourrais créer quelque chose d’original, d’un peu nouveau. Je voulais aussi n’utiliser aucun élément électronique, car même si j’adore ça, et si j’en ai fait beaucoup par le passé, l’électronique me semble s’être trop vulgarisé désormais : j’en entends partout, même chez les boys bands anglais, et je ne veux pas en rajouter dans ma musique. Je préfère utiliser les cuivres ou les cordes de manière inhabituelle, en profitant de leurs qualités acoustiques, leurs timbres…

Tu enregistres sur ordinateur pourtant ?

Oui, mais parce que l’enregistrement analogique est extrêmement cher. J’enregistre dans un petit studio, sur ordinateur. Sauf pour les cordes : ça se passe dans un studio pendant trois jours. Mais j’aime bien faire du montage aussi, et utiliser les possibilités complètes d’un ordinateur pour créer une musique qui sonne « ancienne ». La machine permet un véritable travail de coloriste, c’est très intuitif.

C’est un peu cliché, mais considères-tu un morceau de musique comme une sorte de peinture ?

Non, ce n’est pas un cliché. On parle de « composition » autant pour la musique que pour la peinture. Les musiques populaires des 40 dernières années ont toutes un « backbeat ». C’est une signature temporelle, prévisible et attendue par l’auditeur : on attend le un, le deux, le trois, le quatre. J’ai essayé sur cet album de ne pas permettre à l’auditeur de compter le beat, de ne pas pouvoir le prévoir. Ce n’est pas une musique carrée et prévisible, du moins je l’espère. Je ne suis pas réactionnaire pour autant, j’aime bien les beats. Je veux que ma musique soit plus spatiale que temporelle. Sans tomber dans le cliché ambient. Mais plus à la manière de la musique chorale, Benjamin Britten. Ou même Carla Bley, qui fait une musique très étrange.

En même temps, on peut dire que tu fais toujours de la musique pop ?

Oui, mais ce n’est pas si simple. Récemment, un chroniqueur américain a écrit : « Les High Llamas font généralement deux sortes de musique : une inspirée par les Beach Boys, et une autre inspirée par Burt Bacharach. Ce nouvel album est plus Burt Bacharach que Beach Boys. En même temps, ce disque n’est pas pop. Or, la grande chose que nous a enseigné Burt, c’est qu’il ne faut jamais oublier la dimension pop de la musique. » Difficile, après ce genre d’article, d’avoir envie d’innover et de faire des recherches musicales ? Je ne renie pas ces influences, mais je suis très triste d’être réduit à ça.

D’où l’intérêt de rencontrer les journalistes…

Exactement.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Beet, maize and corn