En 1995, Smog composait sur « Wild love » un morceau intitulé « Prince alone in the studio ». La même année, Prince devient « l’Artiste ». En 2001, Smog décide de s’appeler (Smog). Nouvelle plaisanterie ? A l’occasion de la sortie de son dixième album, Rain on lens, réponse du premier intéressé, Bill Callahan, au cours d’un entretien par e-mails.Chronic’art : Pourquoi avez-vous ajouté ces parenthèses autour de (Smog) ? Et comment vous est venue l’idée de faire la promotion du nouvel album par l’internet ?

Bill Callahan : L’idée de rajouter des parenthèses m’est venue lorsque j’ai conçu la pochette de l’album. Je trouvais que le nom du groupe, étalé à la vue de tous, faisait de l’ombre au dessin de la pochette. J’ai donc mis des parenthèses autour du nom. Comment se fait-il qu’un nom puisse avoir ce pouvoir, conditionner par avance l’oreille de l’auditeur ? Comment un même nom peut-il produire cet effet, alors même qu’il est associé à des albums musicalement très différents ? Le titre de l’album est plus important. (Smog), c’est juste la lettre S, un emplacement chez le disquaire. Quant à la promotion de l’album par l’internet, je l’ai décidée pour casser la routine des interviews habituelles en face-à-face. L’univers des mots est bien différent de celui de la langue. J’ai donc pensé qu’il se dégagerait des choses nouvelles, à la fois pour l’interviewer et l’interviewé. Et puis, procéder ainsi est aussi une question de commodité. Ce qui est peut-être une mauvaise chose. Le confort est destructeur. Les ordinateurs conduisent les gens à rester chez eux et à les couper du monde, ce qui est aussi une mauvaise chose. Mais j’ai tout de même pensé que si je pouvais faire d’autres choses en même temps que les interviews, ça me permettrait d’utiliser mon temps plus judicieusement. C’est la raison principale pour laquelle j’ai décidé de faire la promotion par ordinateur.

Depuis voilà bientôt 10 ans, vous avez enregistré une petite dizaine d’albums. Où puisez-vous votre inspiration ? Es-ce plus fort que vous que d’être fourré dans un studio une fois par an ?

Je ne crois pas qu’une personne trouve l’inspiration : c’est l’inspiration qui trouve la personne. L’inspiration ne se contrôle pas. Si vous commencez à y penser trop souvent, l’inspiration se dérobe à vous. Il suffit donc de vaquer à ses occupations quotidiennes, d’écrire éventuellement quelque chose sur sa main lorsqu’on est dans le métro. Je pense qu’il ne faut jamais s’arrêter de ressentir les choses. Des gens disent que vous pouvez créer pour le reste de votre vie en vous basant uniquement sur les expériences que vous avez eues avant l’âge de sept ans. Je n’y crois pas. Il faut toujours sortir, regarder les visages, parler aux gens, observer comment un oiseau s’y prend lorsqu’il cherche à se nourrir, comment il procède lorsqu’il veut manger une croûte de pain posée par terre à côté des pieds de quelqu’un. Et puis j’adore être en studio, c’est pour cela que j’enregistre aussi souvent que je peux.
A ce que je sache, vous jouez rarement avec les mêmes musiciens en studio. Sur Rain on lens, les personnes qui sont créditées sur le livret sont une poignée de musiciens évoluant dans des groupes chicagoans (Bonnevil, Eleventh Dream Day, US Maple, etc.). Comment expliquez-vous ce besoin incessant de jouer avec de nouveaux musiciens ?

J’enregistre avec des gens différents parce que cela me stimule, me surprend, je me sens mis au défi. Lorsque je tire les idées de ma tête, le plus souvent, je les note soigneusement. Ce qui laisse encore de la place à la spontanéité. J’aime bien cette idée de rassembler des gens qui, en temps normal, ne joueraient pas ensemble, et de voir ce qui se produit. Je ne les laisse jamais entendre la musique au préalable. Ce qui produit une ambiance électrique dans le studio. Chacun est concentré au maximum.

Vous avez été fidèle à votre guitare. (Smog) sans guitare, cela serait-il encore du (Smog) ? Seriez-vous capable de composer dans un tout autre style, en adoptant par exemple des sons électroniques ?

Par rapport à l’électronique, la guitare est plus simple d’emploi, plus simple pour composer des chansons, dans la mesure où une guitare est plus dynamique et que l’interaction entre la dynamique de la voix et celle de la guitare est essentielle pour parvenir à faire tenir debout une chanson. Bien sûr, je sais bien qu’il est possible de rendre les instruments électroniques dynamiques également, mais je n’ai pas la patience pour comprendre ces trucs électroniques. Moi, je préfère prendre une guitare, après c’est juste une question de physique : il suffit de presser davantage les cordes si tu veux avoir un son plus fort.

Depuis Knock knock, j’ai l’impression que votre musique a pris un virage. Qu’elle « s’élargit », qu’elle épouse un « genre » plus vaste, qui a ses racines dans une sorte de tradition musicale, comme si votre musique se déconnectait peu à peu du temps présent. Qu’en pensez-vous ?

Je ne pense ni en termes de genres, ni en termes de tradition. Désolé.

Si l’on aborde certains thèmes de ce nouvel album (la religion, Dieu, le christianisme), j’ai eu l’impression, sur Keep on steady friends around, que le refrain était chanté par les voix de ces « amis » que vous évoquez : comment imaginez-vous le Jugement dernier ?

Pour moi, le Jugement dernier, c’est chaque jour de notre vie.

Connaissez-vous cette phrase de Nietzsche :  » Mes meilleurs amis sont mes pires ennemis » ?

J’ai toujours pensé que Nietzsche écrivait comme un enfant gâté qui essaie d’attirer l’attention sur lui, qui se donne des airs. Ce qui est à la rigueur concevable pour écrire une chanson, un roman ou monter un spectacle, mais pour faire de la philosophie, je ne crois pas, non.
On trouve aussi la récurrence d’un certain sentiment de paranoïa, de « fin du monde » : si vous vivez « as if someone were always watching you » (comme si quelqu’un vous épiait toujours), ne pensez-vous pas que vous seriez plus sensible à chaque détail important qui vous entoure ? Quelqu’un qui vous regarde continuellement : n’est-ce pas cela le Jugement dernier ? Ou bien l’obligation d’ouvrir toujours les yeux ?

Voilà, c’est exactement cela. Etre sensible à ce qui vous entoure, comme un œil sans paupière.

Dirty pants et Lazy rain sonnent comme si elles venaient d’un monde à venir, d’un avenir incertain. Comment imaginez-vous votre avenir ? Vos derniers jours ? Et que pensez-vous des événements récents de New York ?

Je ne pense pas vraiment à mon avenir, simplement parce que ce n’est pas dans ma nature, même si je me suis posé quelques questions dernièrement, avec ce qui s’est passé le 11 septembre. Les Américains vivent dans un tel sentiment d’insularité. Nous pouvons infliger des horreurs à d’autres pays dont l’opinion publique américaine n’a même pas vent, parce qu’elle est maintenue à l’écart de tout cela. Au quotidien, la vie des Américains ne s’en trouve pas vraiment bouleversée. Ce n’est pas comme dans un pays plus petit qui ressentirait chaque coup porté par les vagues, ou comme dans un pays moins stable qui sombre toujours un peu plus sous le poids croissant des événements. Je suis vraiment curieux de voir ce qu’il adviendra de tout cela. J’étais en Australie lorsque cela s’est produit, je voyageais, et je suis revenu aux Etats-Unis une semaine après le drame. Le dispositif de sécurité de l’aéroport que j’ai pris en Australie était dix fois meilleur que celui aux Etats-Unis. Comme si ce qui s’est passé était davantage pris à cœur par les Australiens que par les Américains. Ici, aux Etats-Unis, on a encore cette impression d’être protégé. Je me pose des questions quant à notre liberté individuelle. Ce ne sont pas les gros richards qui ont souffert de l’attaque. La plupart des gens qui sont morts étaient des employés de bureau, des gardiens, des pompiers, etc. Je m’inquiète de l’avenir de notre vie privée et de ces lois que des politiciens, qui saisissent cette atrocité comme un prétexte pour développer leurs idées sécuritaires, passeront encore.

Propos recueillis par et

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