En même temps que les L7 poussent une nouvelle gueulante, Sleater Kinney revient avec All hands on the bad one, un grand moment de jubilation rock’n’rollienne. Plus de doute possible, l’avenir du rock réside dans les porteuses du chromosome X.

Chronic’art : All hands… reprend la formule ébauchée sur The Hot rock ?

Janet Weiss : Oui, c’est vrai. On a beaucoup appris en enregistrant The Hot rock et, en écrivant ces chansons, on a réutilisé cette complexité, ces couches sonores, mais nous sommes parties dans une autre direction.

Cet album est très frais, tonique. Etait-ce une volonté de votre part ?

Corin Tucker : Non, ça s’est produit comme par magie. On écrivait des chansons pour se faire plaisir. Tout ce qui survenait spontanément nous embarquait dans une autre direction et on se laissait porter. On a composé très rapidement.

Que signifie l’expression « all hands on the bad one » ?

Carrie Brownstein : Ce n’en est pas une. Pas encore, en tout cas !

Corin : Je voulais dire qu’il y a une partie mauvaise en nous, que nous sommes tous connectés, d’une façon ou d’une autre, au mal. Nous devrions essayer de ne pas bannir ces forces, mais plutôt de les transformer en énergie positive. Je ne dis pas que je suis chrétienne, mais j’aime l’idée du pécheur qu’on doit aimer, penser qu’il faut se pardonner à soi-même et que l’humain le plus vil sera aimé par Jésus. C’est aussi le lien existant entre les chansons.

Dans le communiqué de presse annonçant la sortie de votre album j’ai lu que vous étiez, je cite, « prêtes à combattre le kid rock et le limp rock ».

Janet : Ces deux entités-là sont énormes aux USA. La musique pop est tombée très bas. C’est assez drôle d’envisager de botter les fesses de Kid Rock et Limp Bizkit. On est plutôt petites, voire insignifiantes, sur l’écran du radar pop comparées à eux. La rébellion et l’aspect théâtral liés au heavy metal tombent facilement dans le mauvais goût. C’est une ligne délicate à ne pas franchir. Et avant tout, il faut que la musique derrière soit vitale. Car quand la musique craint, il ne reste que ce qui pue : le sexisme, entre autres. Eux manquent définitivement de classe.

De l’autre côté il y a Britney Spears, qui ne vaut pas plus cher.

Carrie : J’ai de la peine pour les gamines qui grandissent en n’ayant comme modèles que Limp Bizkit et Britney Spears. Elles ont le choix entre un qui les déteste et une qui se déteste.

Corin : On espère que quelqu’un de coupé de ça aura accès à nous. On sait qu’on est petites, mais on a plus facilement accès à la presse que d’autres groupes.

On regrette Courtney Love…

Janet : Au moins, elle a une grande gueule.

Corin : En grandissant dans les années 80, j’étais contente que Madonna existe, même si musicalement, ce n’était pas terrible. Elle choquait, elle était réelle, bien humaine, intéressante.

Janet : A cette époque, il y avait une foule de filles excentriques, sortant des rangs. Chrissie Hynde ou Cyndi Lauper étaient différentes, dotées de fortes personnalités. Qu’on aime ou non leur musique, ces filles représentaient une alternative au tout-venant.
Corin : (elle prend une voix de mamie) Ouais, de mon temps, c’était mieux !

Produirez-vous un jour vos albums ?

Janet : Non, jamais. Nous avons besoin d’un regard extérieur. John Goodmanson est à peine extérieur, il fait pour ainsi dire partie du groupe. Il est très compréhensif, il a toujours bossé avec nous. On pourrait produire nous-mêmes, ce n’est pas un manque de capacités.

Corin : Il nous faut un guide. Nous possédons de très fortes personnalités et la présence d’un médiateur, en quelque sorte, est nécessaire en studio. Sinon, il y a trois forces qui tirent chacune dans son sens.

Janet : C’est important qu’une personne puisse nous demander de recommencer telle ou telle partie. Gentiment.

Corin : Nous n’arrivons pas à nous critiquer mutuellement.

Des bagarres ?

Corin : Oui, mais pas tant que ça. Nous sommes proches les unes des autres. On essaye d’être productives, de progresser.

Quel est le sens caché de la chanson Male model ?

Corin : On joue sur les mots. Il s’agit du modèle parfait, du moule à utiliser pour fabriquer une rock star. Une personne parfaite, intacte, comme un mannequin. J’avais plusieurs modèles en tête en écrivant la chanson et je faisais comme si je ne parvenais pas à me débarrasser de leur image.

Des noms.

Corin : Je dirais Steven Malkmus, de Pavement, en premier lieu. Oui, je sais, c’est bizarre. Steven Tyler, aussi. Tous les dieux du rock. J’essayais de recréer ce moment où, en grandissant, tu as envie de jouer de la guitare comme Jimmy Page ou Keith Richards. Ce n’est pas une chanson vindicative. Je ne critique pas ces stars, je les présente comme des icônes. Et j’ajoute qu’on a le droit de considérer d’autres modèles qu’eux. Je ne jouerai jamais de guitare comme Page, mais je suis une songwriter intéressante. Et j’espère que les gens apprécient ça, comme ils l’ont fait pour Joan Baez ou Joni Mitchell, qui ont fini par obtenir une reconnaissance largement méritée.

Pourquoi les femmes voudraient-elles jouer comme Page, d’abord ?

Corin : On ne veut pas vraiment copier les mecs pour faire du rock.

Janet : Mais il faudrait changer les définitions et les standards.

Carrie : Actuellement, la terminologie est incomplète pour décrire certains aspects de la musique, sa variété notamment. La plupart du vocabulaire ne s’applique pas aux femmes, on ne leur donne aucun crédit.

Vous êtes-vous déjà imaginées en rock stars riches et puissantes ?

Corin : Je crois qu’on serait ridicules. Et nous aurions trop d’impôts à payer !

Janet : On ne cherche pas les gratifications qu’apporte le statut de star. Nous voulons seulement que notre musique soit entendue, passe à la radio, mais les grandes baraques et les bagnoles, non merci. Bruce Springsteen a eu une grosse influence sur moi, quand j’étais adolescente. Il parlait toujours de conserver les pieds sur terre, disait que gagner plus d’argent causait plus de problèmes. Neil Young aussi a connu un succès énorme, mais il est resté la même personne.

Les élections présidentielles vous inquiètent-elles ?

Corin : Al Gore n’a aucune personnalité, ce qui laisse toutes ses chances à Bush.

Carrie : J’ai peur que les choses se dégradent vraiment.

Janet : Dire qu’on a eu Bush et Reagan si longtemps et qu’ils reviennent. Le pire chez Bush Jr, c’est qu’il est intelligent, plus que ces autres candidats sans imagination. Que peut-on faire à part voter du bon côté ? Heureusement que le président est moins puissant qu’il en a l’air.

Propos recueillis par

Lire notre critique de All hands on the bad one de Sleater Kinney
Les Sleater Kinney n’ont rien de surfeuses forcenées. Interrogées à propos de leurs sites préférés, elles ont avoué se connecter à Internet le temps de lire le courrier (Janet), de consulter la météo (Corin) ou d’acheter des billets d’avion (Carrie).