Fabrice Blin, auteur du making-of du film, décrypte pour Chronic’art les tenants et aboutissants de cet ovni virtuel qu’est Renaissance.

Chronic’art : Depuis quand vous penchez-vous sur le cas du film Renaissance ?

Fabrice Blin : Des années. Je suis réalisateur de court métrage en 2D et journaliste pour Animeland, un magazine et un site spécialisés dans l’animation. Depuis que ce projet de film d’animation pour adultes est annoncé, je tanne mon rédacteur en chef pour y consacrer un dossier. C’est par son biais que Casterman m’a contacté pour pondre un making-of du film. Je l’ai bouclé en mois et un demi. Le réalisateur Christian Volckman l’a validé et y a mis une touche finale. Dans un format à l’italienne, façon cinémascope, le livre retrace la genèse du film. De la création chez Onyx Films d’un studio entièrement dédié à la production jusqu’aux coulisses du montage, je dévoile cette aventure sur un ton didactique, en m’appuyant sur une série d’entretiens avec les piliers de l’équipe.

Qui sont-ils ?

Avant tout des trentenaires passionnés. Volckman est sorti de l’Ecole supérieure des arts graphiques en 1994. Ses deux scénaristes, Alexandre de la Patellière et Matthieu Delaporte, sont aussi jeunes. Le producteur Aton Soumache a créé Onyx Films à 25 ans. Marc Miance, producteur exécutif de la 3D, est l’homme par qui tout est arrivé. Il a inventé le concept visuel du film en réalisant les premiers tests d’animation qui produisent un rendu graphique 2D. Je me suis aussi entretenu avec Rémi Brun, pionnier de la capture de mouvement.

Où en est cette technique d’animation ?

La Motion Capture (ou Mocap) permet d’enregistrer l’intégralité des mouvements d’un acteur pour les transposer sur un personnage virtuel en 3D. Ultra pointue, elle en est encore aux balbutiements. L’équipe de Renaissance en a essuyé les plâtres. Mais elle a transcendé la problématique technologique en optant pour le noir et blanc. Un parti pris audacieux qui fait que le film ne vieillira pas aussi vite que Shrek ou Final fantasy, démodés à peine un an après leur sortie. Renaissance échappe au phénomène de vieillissement anticipé et joue la carte de l’intemporalité. Son processus de fabrication passe par la 3D, mais aboutit à un rendu graphique 2D très dépouillé. De fait, le défi technique s’efface au profit du récit et de l’atmosphère du film. L’outil n’y est pas une fin en soi. Tout le contraire de Pôle express de Robert Zemeckis, également tourné en Mocap, mais qui n’a d’autre mérite que d’en foutre plein la vue. Renaissance marquera plus les esprits en tant que film de SF en noir et blanc qu’en tant que film de synthèse. Réussir à aller au delà de l’animation est son premier point fort. Entre film live et film d’animation, il ouvre une troisième voie, celle de l' »animafiction », telle que la dénomme Marc Miance.

Quel est son second point fort ?

Son côté franc-tireur. Renaissance est à quasi 100% français. Boucler un tel film était pourtant loin d’être gagné d’avance. On a pris Volckman pour un fou quand il exposait son projet. Cinq ans après, le film sort en salle. Ce défi est gonflé, atypique et possède de surcroît un charme cocorico. Au lieu de délocaliser la chaîne de fabrication en Corée, Attitude Studio l’a contrôlée de A à Z et respecté un cahier des charges. Un gros effort a été fourni à chaque étape, alors que nombre de films d’animation pêchent par leur pauvreté de cadrage ou de bande son.
Le noir et blanc ne risque-t-il pas d’en rebuter plus d’un ?

Passé les dix premières minutes, on s’y fait et on entre dans la danse hypnotique du film. Le noir et blanc aurait pu être un handicap, mais il est compensé par la simplicité d’un scénario prenant et accessible à tous. Tout en volumes, tâches et encre de chine, l’univers de Renaissance est sous influence expressionniste. Dans Maaz, premier court métrage nominé aux Oscars et récompensé par une trentaine de prix d’animation, Volckman nourrissait déjà, comme Caro et Jeunet, cette profonde tendresse à l’égard de chefs-d’oeuvres comme M le Maudit ou Métropolis de Fritz Lang. Une filiation explicite dans le jeu sur les clair-obscur et le maniement des valeurs opposées. Résultat, on a parfois un écran saturé de noir, où un pinceau révèle le détail d’un visage ou d’une scène surgissant à l’extrême droite du champ. De par son classicisme, ce polar rend hommage aux films noir des années 50. Il associe cette veine à l’univers d’anticipation SF de Philip K. Dick. Les références de Volckman proviennent plus du cinéma live que du cinéma d’animation. Il aime Ghost in the shell, Akira mais surtout Alien et Blade runner. Visuellement, le résultat est aussi très proche du travail en noir et blanc du géant des comics Frank Miller. Pour couronner le tout, le film prend Paris pour décor. Ce qui, à l’exception des films d’Enki Bilal, s’est encore rarement fait. En mettant de côté la dimension romantique de la capitale, Volckman traite ce cadre narratif à la croisée de Jules Verne et du Gotham City de Batman. Cette dominante rétro-futuriste projette Paris dans un futur proche tout en étant rêvé, fantasmé.

On ne rêverait pourtant pas d’y habiter…

C’est sûr. Le film nous plonge dans une société froide, ultra-fliquée, parano et violente. C’est du Orwell ! L’astuce du scénario consiste à faire de Paris une ville à deux vitesses. En son centre, une ville-musée ultra-propre, fière de son passé et où s’élève le temple d’Avalon. En périphérie, par delà les douves et remparts moyenâgeux, la population pauvre subit un phénomène récemment à l’oeuvre à New York. Sans tomber dans la satire politique, Volckman part d’une réalité actuelle et la démultiplie par dix. Une idée pas si folle que cela, qui a le mérite d’être exploitée jusqu’au bout. Rien de surprenant pour les fans de SF hardcore. Mais pour les novices, ce versant dark et oppressant peut surprendre. Tout le monde n’est pas fan de SF et de graphisme. Je pense au public féminin notamment. Des amies ont vu le film à Bruxelles et l’ont apprécié. Leur grand public peut y piocher ce qu’il veut. Si chacun peut y trouver son compte, c’est que le film est dense et cohérent.

Pour les fans de Blade runner, que peut apporter de plus ce film ?

Un bol d’air… Beaucoup de trentenaires ont bouffé du Métal Hurlant, du Moebius et du Miyazaki. Ils en ont marre des films d’animation calibrés pour les enfants. Pour ce type de spectateur, découvrir un film conçu par des réalisateurs bercés par les mêmes influences qu’eux et qui réussissent enfin à se lâcher dans un long-métrage, ça fait du bien ! D’autant que le résultat est plus proche de Ghost in the shell que de Kirikou. Face aux gros calibres de l’animation japonaise, le film est moins révolutionnaire, mais il ouvre de nouvelles portes en France. Même s’il ne fait pas un carton plein, il restera dans les annales. Il y aura un avant et un après Renaissance. Je dis cela sans prétention, en toute liberté d’esprit car je ne dépend pas du staff du film.
Le film marque une césure et va décomplexer une jeune génération de fans ou d’étudiants en animation qui débutent en voyant qu’un tel projet peut trouver preneur et qu’il n’y pas que Kirikou, les Triplettes de Belleville ou Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault dans la vie.

Et face aux films de René Laloux, dont vous êtes fan, que vaut Renaissance ?

J’aime les films de Laloux pour ce qu’ils représentent. Avec très peu de moyens, il a réussi à concevoir des films aussi attachants que La Planète sauvage. Renaissance enfonce des portes que Laloux n’a pu ouvrir. La volonté de faire un film radicalement nouveau était depuis longtemps en germe en France. Restait à se mouiller pour faire pousser la plante. Désormais, on pourra y prélever de nouvelles graines et y cueillir de meilleurs fruits. Si Laloux ou Topor avaient vu le film, je suis sûr qu’ils auraient aimé. Si des dessinateurs comme Moebius ou Caza vont le voir, ils aimeront aussi ! D’autant que Moebius a depuis longtemps sous le coude un projet de long métrage en 3D. Cette génération de dessinateurs voit enfin leurs descendants reprendre le flambeau à l’écran. Un relais s’est amorcé. J’espère que Renaissance prendra moins de temps que Blade runner pour conquérir son public. Ce dernier film avait fait un bide à sa sortie. Les spectateurs ne voulaient pas d’un film déprimant, où il pleut tout le temps. Il a fallu dix ans pour que le grand public le digère. Comme Ridley Scott avec Los Angeles, Volckman a fait un gros travail sur la poésie des atmosphères parisiennes. Les preneurs de son ont escaladé les toits pour enregistrer les rumeurs de la ville. D’autres ont écumé les ruelles pour capter des sons fidèles à la réalité. Ce travail d’orfèvre est tout à leur honneur. Les deux graphistes ont aussi préparé des centaines de dessins, dont certains sont d’une minutie architecturale époustouflante.

Pourquoi une telle campagne de promotion autour du film ?

Et pourquoi pas ? Quitte à faire un film original, autant y mettre les moyens. Les auteurs de Renaissance tentent le tout pour le tout. A l’américaine, ils ont même déjà conçu des figurines à l’effigie du film. Ils ont raison. Cette ambition a commencé dès la création du studio dédié. En aval, le marketing doit être à la hauteur des efforts déployés en amont depuis cinq ans. Renaissance brise le complexe des français face à la promotion des films d’animation. Tant mieux car il est absurde. D’autant plus si l’on sait que Disney, qui participe au financement du film, le considère outre-Atlantique comme un petit film d’auteur français. Tout le monde s’y retrouve. D’un côté, Disney garde un oeil sur cet ovni qu’ils n’auraient pas produit chez eux et ajoute à son tableau de chasse un film pour son public cinéphile et francophile. De l’autre, le long métrage a profité de moyens supplémentaires.

Propos recueillis par

A lire : Renaissance, le making-of, par Fabrice Blin (Casterman).
Lire notre chronique du film.
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