Le rap a tout bousculé dans la jeunesse algérienne, apportant une bouffée d’air frais. Des quartiers populaires de la capitale, il est parti conquérir le pays. Aujourd’hui, il a acquis le droit de s’exprimer. Au début, l’enjeu n’était pas si simple. Notamment pour les groupes Intik et MBS, qui en sont devenus les porte-voix.

Le hip-hop fait rage en Algérie. Bien qu’il ait fallu délivrer des papiers à cette musique, au premier abord étrangère à la culture maghrébine, la mayonnaise a pris. Surgie des décombres, lors des émeutes de rues de la fin des années 80, elle a effectué lentement, mais sûrement, son parcours du combattant face aux puristes du patrimoine séculaire. Mieux, elle a su digérer le raï, le chaâbi, ainsi que d’autres influences devenues à la longue politiquement correctes (le reggae par exemple), pour finir par devenir l’expression la plus prisée de la jeunesse algérienne aujourd’hui. La recette n’a rien de secret : le mandole, le luth oriental, la flûte ou la derbouka rencontrent les beats saccadés du rap, l’arabe et le kabyle côtoient le français et l’anglais, le mélange sonore ambitionne l’ouverture sur le monde, tout en restant enraciné dans le bled… Et le tour est joué.

En France, il a fallu un concert au Zénith, en compagnie de quelques dinosaures de la scène franco-algérienne, pour arriver à déceler la tendance. Très vite, les majors s’y sont mis. MBS (Le Micro Brise le Silence) a sorti le premier sa galette chez Island. Le groupe fait partie des pionniers du genre et sa devise -« On algérianise le rap »- est sans équivoque. Le rap s’universalise. L’Algérie ne restera pas en rade. Avec des discours assez chauds pour tenir la dragée haute à leurs confrères internationaux, de la France aux Etats-Unis, en passant l’Asie, sans pour autant tomber dans la frime, genre je-suis-un-vrai-killer. Ici, le rap retrouve sa fureur d’antan. Celle qui lui a donné pignon sur rue, au sens strict de l’expression. Les mots ont du sens et racontent le quotidien douloureux, les galères de la génération sacrifiée : chômage, injustice, pouvoir policier, politique corrompue, etc.

Autre pionnier du hip-hop algérien en puissance, le groupe Intik, qui a signé chez Sony, est composé de quatre chevaliers inquisiteurs. Ils en veulent à ceux qui ont pourri leur pays. La musique, c’est d’abord pour eux une nécessité. Pour exister. Pour raconter leur hantise, leur désespoir, leurs angoisses dans la vie de tous les jours. Au départ, ils avaient tout contre eux. Pas de moyens, pas de soutien… mais beaucoup de persévérance. Contre la pénurie d’idées qui les entoure, contre la censure des modes de pensée, contre la guerre sourde que se livrent leurs compatriotes, la musique est devenue une sorte d’échappatoire pour les quatre d’Intik. A l’heure où l’on égorgeait en douce, quel que soit le camp où l’on se trouvait, la poésie devenait un refuge libérateur. « On dit ce qu’on subit, on dit ce que le peuple algérien subit et on dit ce qu’il faut faire pour ne plus subir. »

Poésie salvatrice ou militante qui va aussi à l’encontre des modèles établis dans la culture musicale algérienne. Un phénomène traduisant le besoin, pour cette jeunesse fraîchement rebelle, de s’accrocher à une chaîne rythmique qui réunit de plus en plus de gens dans le monde, au-delà de toutes les barrières. La musique ne peut que faire plaisir, surtout quand elle défonce les frontières. Et le rap, un peu à la manière de la techno partie jadis de Detroit, satisfait pleinement ce désir. Du Bronx aux faubourgs d’Alger, le voyage n’a pourtant pas été simple. Mais les paraboles et autres satellites, malgré les critiques acerbes des gardiens de la morale, ont transmis les images du rap occidental aux petits écrans de cette partie nord de l’Afrique. Et les adolescents, fatigués d’avoir à courir après leur propre jeunesse dans un système fermé qui les étouffe sans scrupules, s’en sont emparés. Pour Intik, MBS et les autres rappeurs algériens (plus d’une cinquantaine de groupes aujourd’hui dans tout le pays), se réapproprier le rap était un passage obligé vers une sensation de liberté possible. Seul point noir au tableau : enregistrer sur place, là-bas, est un défi permanent. Les moyens ne sont pas au rendez-vous. Les groupes, pour approcher le meilleur de ce qu’ils peuvent faire sont obligés de traverser la Méditerranée. Une autre galère en perspective…

MBS – « Le micro brise le silence » (Island / Universal)
Intik (Saint Georges / Sony Music)