Radio 4 fait du punk qui danse. Original et sans frontière, ce groupe new-yorkais, qui sort Gotham, dépote. Entretien avec Anthony Roman, chanteur et bassiste de Radio 4.

Chronic’art : Après les commémorations du 11 septembre, que ressentez-vous en tant que new-yorkais ?

Anthony Roman : Tout le monde se rappelle se qui s’est passé. Les gens n’en parlent pas trop, c’est assez difficile à exprimer. Chacun a ressenti différemment ces événements. On ne peut pas ignorer ce qui s’est passé, mais beaucoup de gens essaient d’oublier.

Est-ce que vous voyez une différence à New York entre Giuliani et le nouveau maire, Bloomberg ?

Il n’y a pas trop de différence. Bloomberg semble plus discret et moins activiste que Giuliani dans sa volonté de changer la ville. Giuliani a vraiment essayé de nettoyer la ville, d’éradiquer le crime. Ce en quoi il a réussi en un sens. Mais il a aussi nettoyé New York de nombreuses scènes culturelles, il a fermé des clubs, des expositions, et les loyers ont beaucoup augmenté, obligeant les gens peu fortunés, et parmi eux beaucoup d’artistes, à quitter la ville.

Mais la scène new-yorkaise semble n’avoir jamais été si active ?

Oui, c’est une réaction, je pense. La musique, et le punk-rock en particulier n’est jamais aussi fort que quand il s’oppose à quelque chose. C’est une forme de résistance. L’émergence d’une scène punk n’est donc pas une coïncidence.

Tu t’occupes d’un magasin de disques à Brooklyn. Quel est ton investissement politique dans la ville ?

On fait pas mal de choses. On organise des concerts et des manifestations. Notamment pour protester contre la fermeture des clubs, et les lois prohibant les lieux de danse dans New York. Mais notre activité politique passe plus à travers notre disque, qui évoque tous ces problèmes. Et la sortie de l’album nous donne une visibilité dans la presse, qui nous permet de parler de tout ça, et de faire peut-être un peu bouger les mentalités. Je n’aurais jamais imaginé me voir parler de la situation new-yorkaise à des journalistes français, belges ou allemands. C’est fantastique.

Votre musique est punk, mais très dansante. Vous pensez que la danse peut être révolutionnaire ?

Ce n’est pas vraiment révolutionnaire, sauf quand les lois l’interdisent. C’est une célébration destinée à une communauté. La danse réunit les gens. Les new-yorkais sont déjà tellement individualistes, c’est scandaleux de vouloir leur interdire de se réunir pour danser. C’est même très mauvais psychologiquement pour chacun d’entre nous, comme une manière d’enfermer chacun chez soi. Notre message est positif, même si les révoltes, les actions plus violentes peuvent être également nécessaires, nous encourageons d’abord les gens à se réunir pour danser, être ensemble.

Votre musique est dansante, mais ce n’est pas non plus de la dance-music. Elle est produite avec des batteries, des guitares.

Nous aimons la musique électronique. Mais nous voulions faire du rock qui soit dansant. C’était l’idée. Et ça marche. Les gens dansent pendant les live. Et de plus en plus. Il y a un an, personne ne dansait pendant les concerts. C’était assez méprisé par le public indie-rock, comme ça l’a toujours été, en un sens. Et maintenant, les gens sont surpris pendant les concerts quand ça ne danse pas. Donc on a changé quelque chose dans les mentalités des new-yorkais. Pas seulement nous, mais tous ces groupes qui se sont impliqués dans ce mouvement. Je ne sais pas qui vous connaissez en France, à part Interpol ?
Les Yeah Yeah Yeahs, Liars, The Rapture, !!!, Black Dice, Outhud ?

Oui, ce sont les bons groupes à connaître à New York. Outhud est mon préféré. Tous ces groupes sont excellents. On se fréquente tous un peu. On vit dans le même quartier, on va aux mêmes concerts. Mais New York est tellement grand qu’on peut passer des mois sans se voir. D’autant plus que les groupes commencent à tourner pas mal.

Vous pensez qu’il y a une mode autour de tous ces groupes ?

Non, je ne pense pas. J’espère que l’intérêt porté à cette scène est légitime, parce que les groupes sont bons. Et puis, tous les groupes ne trouvent pas forcément des contrats avec les maisons de disques. Ce qui est plutôt révélateur, et une bonne chose. Le groupe le plus important en ce moment, c’est les Yeah Yeah Yeahs. Ils sont presque aussi connus que les Strokes.

Votre culture musicale est également new-yorkaise. Vous vous inspirez de ESG, sur Dance to the underground

Oui, c’est explicite. C’est un hommage. On est aussi inspirés par le hip-hop dans cette manière de citer ou d’emprunter à des musiques préexistantes. Beaucoup de groupes ont été très marqués par ESG. Les Liars ont utilisé la même ligne de basse que nous, à peu près au même moment, alors qu’on ne se connaissait pas du tout. A propos de notre disque, les gens ont beaucoup parlé d’influences anglaises, mais je pense qu’on est plus marqués par le rock new-yorkais : ESG, Liquid Liquid, Talking Head, plus que par The Clash ou Gang Of Four. Même si les Clash sont un groupe important pour moi depuis toujours. Parce qu’ils ont su mélanger plusieurs genres musicaux avec succès. Et j’appréciais aussi leur engagement politique, qui était sincère. Ils reflétaient le monde autour d’eux d’une manière positive, jamais nihiliste. Ce que nous essayons de faire aussi.

Le côté reggae dub de certains morceaux vient du Clash, du post-punk, ou vous écoutez vraiment du reggae ?

J’écoute énormément de reggae. J’ai découvert le reggae très jeune, à travers les Clash. Puis je me suis mis à écouter Lee Perrry, The Headtones, qui ont fait des chansons très sincères et très directes, et qui n’essayaient pas d’être plus malins que leurs voisins. Les musiciens jamaïcains des 70’s étaient très politisés aussi : leurs chansons parlaient de leur situation économique et sociale, et visaient à faire bouger les choses, mais d’une manière très simple et universelle. J’écoute beaucoup de reggae, j’en vends aussi beaucoup dans mon magasin. De vieux disques, que je suis très fier de vendre parce que c’est la musique que je préfère finalement.

Et vous fumez ?

Non. Je ne fume pas. Je suis un oiseau rare sur ce point.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Gotham