Elle joue actuellement Le gars de Marina Tsvetaeva, à la Maison de la poésie, jusqu’au 26 octobre (voir numéro précédent).
Nous l’avons rencontrée dans un petit café proche de Beaubourg, comme cela, naturellement et le plus simplement du monde. Cette jeune femme qui interprète de façon éblouissante ce conte russe nous a totalement séduits. Elle se livre peu, n’aime pas parler d’elle, parce qu’elle trouve que ce n’est pas intéressant…
Elle est timide, introvertie.
Et puis par instants, au détour d’une question qui la nargue, elle se dévoile un peu plus.

Tête de l’art : Quelle aventure représente pour vous Le gars ? Pourquoi ce texte ? Et votre rencontre avec Edith Scob ?

Raphaëlle Gitlis : J’ai fait la découverte de cette poétesse russe, Marina Tsvetaeva, notamment grâce à sa correspondance avec Rilke et avec Pasternak. J’ai aimé son travail sur la langue française puisqu’elle a elle-même traduit son texte du russe au français. Elle l’a plutôt réécrit. Sa conquête des mots m’a séduite, sa volonté de se réapproprier ce texte pour en faire un autre m’a plu. Et puis surtout je crois que j’ai voulu éprouver cet texte. C’est un poème avec lequel j’aime vivre. Je le sens physiquement. C’est un objet à part entière, par ses mots, par ses sonorités. Ce texte raisonne. Il est chaotique, rocailleux et en même temps très poétique.
En réalité, ma rencontre avec Edith Scob date de plus de deux ans. Je lui ai parlé de ce texte qui l’a également enthousiasmée.

Je lui ai demandé qu’elle soit une sorte de « regard extérieur », et qu’elle me mette plus ou moins en scène. Nous l’avons travaillé à deux, afin de le rendre plus ludique et plus vivant. Et puis finalement cela fonctionnait très bien et nous avons décidé de continuer ainsi. Nous avons introduit des textes pour rendre le conte plus lisible et plus compréhensible. Nous n’incarnons pas des personnages, mais deux personnes qui racontent une histoire.

La première étape de ce travail a été une version radiophonique. Nous l’avons joué ensuite au festival d’Avignon, dans un café-théâtre et maintenant à la Maison de la poésie.
Mais finalement je crois que c’est un texte que l’on peut jouer n’importe où, et pas forcément dans un espace théâtral. J’ai envie de continuer à le jouer.

Quel a été votre parcours théâtral jusqu’à présent ?

J’ai reçu ma formation professionnelle à l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg. J’ai également effectué un certain nombre de stages. Celui au Théâtre du Campagnol, où j’ai rencontré Jean-Claude Penchenat et Marie Déa qui m’a également transmis beaucoup de choses, notamment parce qu’elle faisait preuve d’une attention totale. Nous nous sommes engagées dans un travail de précision sur l’alexandrin.

Et puis il y a les rencontres. Dominique Boissel, qui travaille actuellement au Théâtre de la Tempête, a constitué également pour moi une rencontre importante. C’est une personne qui ouvre l’imagination sur la possibilité de tester d’autres angles de vue pour le spectateur. J’ai aussi travaillé avec Jean-Marie Villégier, qui a mis en scène Phèdre, de Racine, dans laquelle j’avais le rôle principal. Jouer Phèdre, comme d’autres rôles féminins du répertoire, est tout simplement une aventure inoubliable.

J’ai eu une expérience très enrichissante avec Lukas Hemleb. Nous avons monté un texte contemporain de Daniel Danis, Cendres de cailloux. C’était en Belgique, à Charleroi, au Théâtre de l’Ancre. Il y a eu un rapport très fort entre la ville et notre spectacle. Ce texte évoquait la violence, le chômage, et c’était un peu l’histoire de leur ville.

C’est important pour vous la proximité ?

Oui, très important. La responsabilité aussi.

Qu’est-ce-qui vous a poussée vers le théâtre ?

Une envie de dire les mots que je lis. Je suis attirée par la parole, et aussi par le chant. J’aime ce rapport du chant à la parole, le souffle, le rapport au corps. Et puis c’est un don de soi, aux comédiens, et au public. J’aime cette proximité, ce rapport à l’humain. Pour moi, il est important de toucher une personne, une sensibilité. Et que le public ne se sente pas trop loin de la scène.

Qu’aimez-vous voir au théâtre ?

Bien des choses. Je pense au Hamlet de Bob Wilson, dans lequel il jouait. Sa présence physique, presque « animale », alliée avec un travail merveilleux sur le son et la lumière m’ont beaucoup impressionnée. Je suis curieuse du mélange des disciplines : le théâtre, la danse et la musique. Je trouve que c’est important que le spectateur soit surpris. Quand je vais au théâtre, j’ai envie de me dire : que vais-je voir ?

Quels sont vos projets ?

Je suis fascinée par les textes issus des traditions orales, et par la façon dont ils ont été transmis au cours des générations. Et notamment par les textes chamaniques comme Le chant de la folie, qui a une fonction thérapeutique en guérissant les indiens du Panama de leur folie. Ces chants me donnent des axes de recherches. Notamment sur la notion de voyage. Dans cette langue un même mot signifie chant et chemin. C’est énigmatique et attirant.
Je vais jouer dans « Lilas », de Marie Vermillart.

De quoi avez-vous envie ?

Je suis curieuse du voyage et du travail de collaboration avec des amis peintres, musiciens ou danseurs, sur les textes dont je viens de vous parler. Je m’intéresse également à l’image, au son, à l’écriture.

En quoi consiste pour vous l’engagement de l’artiste ?

Pour moi c’est aussi difficile de répondre à cette question que de savoir quel est l’engagement d’une personne humaine. Pour moi l’artiste peut donner la joie et la confiance. Ce serait bien si on pouvait avoir une fonction d’éveil…

Propos recueillis par