La présence éclatante de la littérature portugaise au Salon du Livre a révélé certains débats sur la lusophonie (communauté de langue des peuples parlant le portugais) dont on souhaite que s’inspirent nos intellectuels et écrivains nationaux, bien silencieux sur les risques et les enjeux de la francophonie…

Au Salon du Livre cette année, une place d’honneur était réservée au Portugal. Deux ans après la célébration de la littérature brésilienne dans le même cadre, se posait la question de la lusophonie et, par extension, du destin de la langue coloniale au sein des anciens empires… C’est dans ce contexte qu’un article d’Antonio Tabucchi publié dans Le Monde du 18 mars 2000 devait susciter une polémique. Ayant décliné l’invitation du salon, l’écrivain italien, auteur de nombreux ouvrages critiques et de fiction autour de la culture portugaise, et de la personnalité de Fernando Pessoa en particulier, jugeait « suspect » le concept de lusophonie et mettait en garde contre les risques de banalisation d’une « véritable politique linguistique de type colonial » mise en oeuvre par le Portugal depuis quelques années dans ses anciennes provinces, du Brésil au Timor en passant par l’Afrique (Mozambique, Angola…).

Prompts à s’enflammer lorsque leur bateau est menacé, plusieurs écrivains ont profité de leurs interventions au salon pour proclamer haut et fort leur attachement à la langue portugaise, quelle que soit la région où on la parle, comme la Brésilienne Betty Milan qui rendit un vibrant hommage à sa « langue-patrie ». Certains revendiquaient clairement leur appartenance à la lusophonie, à une communauté linguistique et culturelle, comme Alice Machado, installée en France depuis une vingtaine d’années et auteur de La Couleur de l’absence (écrit en français, Editions Fernand Lanore, 1999), qui insistait sur l’ouverture de sa génération, la volonté de ne pas vivre et écrire en vase clos.

Quant à José Saramago, prix Nobel de littérature 1998, devenu depuis porte-voix national, il avait inventé un nouveau concept, destiné à clore le débat : le « transibérisme ». Le Portugal doit « descendre vers le sud », et donc se diriger encore plus vers ses anciennes colonies pour trouver son destin. Son prochain roman, La Caverne, d’après le mythe platonicien, devrait prolonger la réflexion, développée dans L’Aveuglement (Seuil, 1997), sur les erreurs de la société moderne.

Loin de ces lyriques envolées suscitées par l’article de Tabucchi, le Mozambicain Mia Couto rendait compte avec beaucoup de sagesse de sa propre conception de la langue. Son pays, indépendant depuis 1974, au terme d’une guerre dévastatrice de seize ans, et désormais dépendant économiquement de l’Afrique du Sud sa voisine, est actuellement dans une situation écologique et démographique désastreuse. Etant passé du journalisme à la littérature, Mia Couto lie étroitement son engagement politique à son œuvre. Ainsi, son dernier ouvrage, La Véranda au frangipanier (Albin Michel, 2000), voit s’affronter un asile de vieillards, isolé sur la côte du pays, aux militaires et politiciens véreux de Maputo, la capitale. Conteur des « va-et-vierrances » de ses personnages à la dérive, Mia Couto doit « déranger la langue pour rendre compte du monde qui est le sien ». Il s’oppose ainsi aux moules traditionnels européens de narration, en établissant des frontières floues entre la réalité et le rêve, les vivants et les morts. Il se définit d’ailleurs lui-même comme un « contrebandier » entre la tradition orale et la langue portugaise. La littérature orale mozambicaine est en effet marquée par la symbolique animale, et La Véranda… nous entraîne également dans un univers merveilleux dans lequel les écailles du pangolin (mammifère doté d’une carapace très souple) pleuvent sur terre pour annoncer les événements à venir et où les orages sont provoqués par des serpents mécontents.

Ce débat sur la lusophonie (ou la francophonie) semblait étrange à Mia Couto car cela signifierait que « l’on se construit à travers quelque chose d’extérieur » : « Je ne m’occupe pas de savoir quelle est la nationalité d’une littérature : c’est le problème des policiers et des douaniers », affirma-t-il avec un brin de provocation. D’ailleurs, en poésie, il écrivait en portugais « castiço » (du Portugal), mais dans ses romans il a dû changer de langue. Car en effet, « la langue ne suffit jamais » pour exprimer le monde qui nous entoure…

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