Marseille et Massilia Sound System…. Connue pour son stade Vélodrome, sa boisson anisée, son vieux port, sa Canebière, la cité phocéenne est aussi connue pour ses musiques populaires, qui traduisent non seulement une envie de fête, mais aussi une dimension sociale que défendent avec bonheur Tatoo et Gary, deux des membres de la tribu du Massilia Sound System, avec qui nous nous sommes entretenus. Massilia… un groupe déterminé dans sa lutte depuis de très longues années pour la reconnaissance de la culture occitane, qui apporte aussi souvent que possible son accent du midi à son raggamuffin surchauffé d’aïoli.


Chronic’art : Parlez-nous de Marseille. Car on a l’impression que si cette ville n’avait pas existé, avec son identité multiple, sa diversité, son hospitalité, sa tradition d’accueil, votre reggae à la sauce aïoli n’aurait pas eu autant de force, de générosité et d’ouverture vers le monde ?

Massilia Sound System : Peut-être… Mais dans la réalité des choses, si ça marche… Marseille… si effectivement, c’est devenu un modèle d’intégration qui inspire, c’est parce que la culture occitane, cette culture marseillaise que nous défendons, contrairement à la culture française, étant donné qu’elle n’est pas portée par un État, pousse d’une certaine manière à la création, parce qu’elle emmène les gens à communiquer… Ma langue (le Provençal), par exemple, n’est pas la langue des flics. Ce n’est pas la langue parlée par la personne chez qui tu vas faire tes papiers. Ce n’est pas la langue du ministre. Donc, si tu veux, quand les types arrivent de l’étranger à Marseille, leur intégration se fait naturellement dans cette culture, qui est une culture -je dirais- sauvage, qui reste à la portée de tout le monde.

Ce n’est pas un hasard si les gens qui ont le plus l’accent marseillais sont les jeunes arabes. C’est parce que -spontanément- tu vas t’intégrer dans le truc qui est ouvert. Tu ne vas pas t’intégrer dans le truc qui est fermé. C’est ce qui fait notre force ensuite. C’est l’identité de cette ville de tous les mélanges, où un Arménien, un Arabe, un Comorien, un Viet-namien se reconnaissent autant qu’à travers leurs terres d’origines. Ce qui est bien d’ailleurs, c’est que cette ville finit par tous les transformer. Ils deviennent Marseillais avant toutes choses. Ils en sont fiers, parce qu’on ne leur pose pas de conditions, c’est-à-dire on ne leur dit pas, vous pouvez être Marseillais… mais il faut que vous oubliez ce que vous étiez avant. Non ! Tu peux être Marseillais et continuer à être ce que tu étais avant. Donc c’est un choix de concept identitaire, c’est-à-dire qu’à la fois, tu as une identité imposée (ta carte d’identité par exemple). Et puis, en parallèle, tu as une identité choisie, c’est-à-dire que tu ne naît pas marseillais. Tu veux être Marseillais. L’identité, elle est dans le vouloir, dans le fait que tu t’investisses, que tu prennes des responsabilités dans la ville. Alors fatalement, tu va être beaucoup plus ouvert que le reste de la France, parce que tu as ce concept d’identité-là. C’est ce qu’on souhaite retrouver dans notre musique.

Votre discours sur la musique parle de communier…

Tout notre truc est porté par le fait que l’on s’est demandé à un moment donné pourquoi nous, petit marseillais, on avait déliré comme ça sur le reggae, ce machin qui vient de super loin, pourquoi on délirait là-dessus. Et nous avons trouvé réponse à la question : parce que c’est un truc folklorique. Et c’est le seul truc qui nous manque. En France, le folklore, ils l’ont éradiqué… complètement. C’est-à-dire que tu te retrouves avec tes parents à table. Le seul truc que tu sais chanter en même temps qu’eux, c’est A la claire fontaine et Il était un petit navire. Tout le reste -des trucs qui sous-tendait la communauté- a disparu. Et voilà que d’un seul coup, on nous balançait des musiques (le reggae en l’occurrence) communautaires qui portait cette énérgie… Quand j’entendais chanter Jamaïca nice et que je dansais là-dessus, il n’y avait aucun risque de s’enfermer, ça voulait dire « si lui fait ça en Jamaïque, et si moi je comprends pourquoi il fait ça, sans même comprendre sa langue, eh bien je peux dire Marseille, c’est la plus belle ville du monde ». Et les gens, ils vont comprendre mon état d’esprit. Et au lieu d’être une fermeture, c’est une belle ouverture. Parce que quand je vais chanter « Marseille, c’est la plus belle ville du monde » à Amiens et à Cambrai… le mec d’Amiens se dira la même chose : « si lui, pauvre conos de Marseille, il arrive à chanter Marseille c’est la plus belle ville du monde, moi je peux faire pareil pour Amiens ». Le reggae a été ce détonateur pour nous.

Une fois qu’on a fait cette démarche-là, on s’est dit ce qu’était un Mc, un DJ. Et on a très vite compris que ce sont des artistes folkloriques, parce qu’ils s’inscrivent dans un ensemble social, qu’ils reflètent à travers la musique et les textes qu’ils écrivent. Notre démarche est là, c’est une espèce de… vouloir être folklorique. Vouloir être chanteur folklorique. Chanter Marseille, c’est vouloir être avec Marseille. Etre avec ceux qui font Marseille et communier ensuite avec le reste du monde, partager. Nous voulons être des chanteurs folkloriques. On ne l’est pas encore. Mais je pense qu’on se dirige par là… c’est-à-dire qu’on sera heureux quand nous chanterons pour les mariages, les baptêmes, les enterrements, les grèves, les manifestations… On nous demandera de faire des chansons… Il s’agit en fait de s’interroger sur la fonctionnalité de l’artiste dans la communauté, sa fonctionnalité dans la société… A quoi il sert ?

Et vous pensez que les gens viennent vous voir pour ce discours, pour ces interrogations-là ou tout simplement parce qu’ils ont envie d’écouter votre musique ?

Je pense que les gens ne vont pas voir Massilia pour écouter uniquement de la bonne musique ou des méchants lyrics… C’est vrai qu’ils viennent tous nous voir pour passer une méchante soirée. Et c’est ce qu’on essaye de leur donner avant tout. Mais pas pour qu’ils s’en rappellent… Non ! Plutôt une méchante soirée où tu vas te faire dix collègues, où tu vas rigoler… On essaye de cultiver ça. On vient faire faire la fête. On vient faire la fête avec les gens. Que ça danse… On leur dit « dansez ! Dansez ! Tournez-nous le dos ! Parlez au mec qui est derrière, passez-vous des bambous, faites ce que vous voulez… mais délirez ! » C’est ça qui est important. Que le mec se rappelle qu’il s’est accroupi, qu’il s’est allongé dans la salle, plutôt qu’il se rappelle de fausses notes et de bonnes notes. On ne fait pas de la musique, on fait des bases pour chatcher. Ce qui est important, c’est le Sound System et l’ambiance qui y règne. Parce que le Sound System, c’est le baletti. Le Sound System en Jamaïque, ce sont les vieilles mamans qui viennent, comme les jeunes rudes boys du quartier. Et les deux sont dans le même endroit.

Nous, on dit baletti en occitan, ça veut dire le bal. Encore une fois un endroit où tout le monde est capable de se rencontrer, où tout le monde est sur un même pied d’égalité, où tout le monde est capable de se trémousser le cul sur de la musique. Parce que lorsuqu’on est en situation d’égalité, c’est-à-dire quand toi et moi on se sent capable du même truc qu’on commence à se parler vraiment. Et c’est de cette espèce de travail sur le folklore dont on parlait. C’est pour ça qu’on veut devenir des chanteurs folkloriques. C’est quelque chose d’essentiel. A Marseille, hormis les lieux de musique, il n’y a qu’un seul endroit qui arrive encore à jouer ce rôle : le stade Vélodrome. C’est un endroit où jeunes et moins jeunes, enfants et adultes, hommes et femmes peuvent se parler, peuvent communier. Au nom du foot. Cela contribue à renforcer les liens sociaux. Après le match, les gens ne veulent pas sortir du vélodrome, parce qu’à l’intérieur, ils chatchent, ils communiquent, ils s’échangent des choses… Voilà ce que c’est le vrai folklore pour nous.

Le dernier album de Massilia : Aïollywood (Mercury/Polygram)