« Il y a trop d’expositions. » La chose est lancée par Yve-Alain Bois, historien de l’art. Effectivement, peu avant cette audacieuse remarque, la sociologue Nathalie Heinich livrait sa comptabilité : entre les institutions, les galeries, les centres culturels, les parcs, etc., environ cinq cents expositions ont lieu en permanence, rien que dans Paris.

Trop d’expositions, donc. Mais comment peut-il y avoir trop de culture, trop de sujets à contemplation, trop de connaissances offertes ? Devenons-nous des bœufs, zappant d’une exposition à l’autre sans même prendre le temps de s’offrir une pause publicitaire ? Peut-être, mais le problème ne réside pas là ; libre à chacun de s’empiffrer d’impressionnisme (il y a toujours une exposition impressionniste -ou assimilée- quelque part), d’art 1900 ou de Rembrandt.

Le problème qui préoccupe tant conservateurs et historiens de l’art, ce sont les œuvres… Imaginez ces petites choses délicates, uniques, souvent très anciennes, obligées de faire des shows aux quatre coins de la planète. Il devient donc impératif de s’entendre sur la nécessité, impérieuse ou non, de présenter une œuvre dans telle ou telle exposition. Temporisons, cependant, en rappelant que ces événements deviennent souvent l’occasion, aussi, de profondes restaurations.

Les toiles de Monet, quant à elles, ont plutôt intérêt à être robustes. Que de fois son nom a été prononcé ! C’est la coqueluche du public et les commissaires d’exposition ont du mal à ne pas répondre à la demande (ainsi Londres et l’Orangerie, à Paris, l’année dernière). Il était d’ailleurs surprenant de constater à quel point « Monet », prononcé avec l’accent anglo-saxon -de Norman Rosenthal de la Royal Academy de Londres et Timothy Potts du Kimbell Art Museum de Fort Worth, près de Dallas- peut ressembler à « money » ! Mais ne soyons pas mauvaise langue, d’autant qu’Irène Bizot, de la Réunion des musées nationaux, a indiqué qu’une exposition moyenne coûte entre cinq et dix millions de francs, cela comprenant les assurances des œuvres, leur transport et leur présentation.

Mais outre ces considérations, les expositions restent avant tout un moyen de montrer des œuvres soit en les sortant des réserves, soit en les décontextualisant. Un tableau vu et revu dans une même salle d’un même musée, accroché là pour son appartenance à une même école que ceux qui l’entourent, verra son approche modifiée s’il est montré dans une exposition thématique, au voisinage d’œuvres nouvelles. Ce regard neuf reste très bénéfique aux œuvres. Tout comme le départ d’une pièce majeure d’un musée peut enfin inciter les visiteurs à se tourner vers d’autres choses ; Norman Rosenthal s’enthousiasmait à l’idée d’un Louvre privé momentanément de sa Joconde. Les expositions temporaires permettent de maintenir une activité toujours nouvelle dans les musées et créent ce sentiment d’urgence chez le public qui manque, bien évidemment, à la collection permanente. Au contraire, Orsay, lui, se sert de l’attrait de sa collection permanente (avec Monet, Manet, Degas, Cézanne, Van Gogh, Gauguin, etc.) pour exposer et faire découvrir des peintres moins connus tel, actuellement, Malczewski.

Si les expositions monographiques conservent la préférence du public français, celles thématiques et pluridisciplinaires, dont Beaubourg s’est fait une spécialité, permettent de concilier des intérêts divers. Jean Clair met cependant en garde : ces expositions ne supportent pas le moindre amateurisme sous peine de devenir des fourre-tout. De tels événements doivent résulter d’une réelle nécessité scientifique et doivent mettre à jour de nouvelles réflexions, des découvertes (on pense notamment aux expositions archéologiques), sans pour autant négliger la scénographie et l’aspect attractif. Au catalogue, ensuite, de pallier les manques de textes. Et ceux-là, tendant à devenir de plus en plus volumineux et réunissant nombre de spécialistes, y arrivent plutôt bien. L’éditeur Anne de Margerie définit ce que l’on attend de ces catalogues « pavés » ainsi qu’elle les nomme : ils doivent séduire le grand public aussi bien que le chercheur mais aussi répondre au simple plaisir que l’on peut espérer d’un beau livre. Les attentes envers les grandes expositions, d’ailleurs, semblent assez similaires.

Finissons avec quelques chiffres, pêle-mêle :

  • Une exposition qui marche bien accueille environ 500 000 visiteurs.
  • Seulement 20 % des Français déclarent avoir visité une exposition dans l’année.
  • Les ventes des petits journaux d’exposition baissent, elles sont passées d’une pour trois visiteurs à une pour huit visiteurs. Les catalogues connaissent la même chute, de un catalogue vendu pour dix visiteurs à un pour trente, aujourd’hui. Mais que l’on se rassure, cette chute provient de la surabondance des livres et magazines d’art et non d’une indifférence de la part du public.
  • 70 % des visiteurs d’Orsay sont étrangers et ont donc toutes les chances de ne visiter ce beau musée qu’une seule fois.
  • Enfin, amis parisiens et amis londoniens, réjouissez-vous puisque ces deux villes remportent la palme du plus grand nombre d’expositions en Europe. Vous pourrez donc allègrement zapper des unes aux autres !

Une journée-débat sur le thème « A quoi servent les expositions » a eu lieu mercredi 22 mars 2000 dans le cadre des cycles « Musée-Musées » organisés par le Louvre. Sont intervenus : Nathalie Heinich, Irène Bizot, Norman Rosenthal, Timothy Potts, Henri Loyrette, Jean Clair, Pietro Giovanni Guzzo, Yve-Alain Bois, Marcel Freydefont, Anne de Margerie, Carlo Pirovano, Pierre Schneider et Pierre Rosenberg. L’enregistrement sonore de cette journée sera consultable à la médiathèque du Louvre