La Normandie, ses paysages chatoyants, ses fromages dégoulinants, son festival bigarré. Nous y voilà, gourmands et prêts à tout dévorer. Reportage sur deux jours de grande chaleur et de bonheur dans le pré aux Rock Dans Tous Ses Etats, à Evreux (26 / 27 juin 2010).

Vendredi 26 juin 2010

Le Rock Dans Tous Ses Etats, Ohio. Pas de pull marine, un tee-shirt à rayures fait l’affaire. Et aussi des verres fumés pour montrer tout ce que je veux cacher. Je n’arrive pas à me sortir cette chanson de la tête pendant qu’on fait des tours et des détours pour trouver une place où poser la caisse car, évidemment il n’y a pas de places… (peut-être parce qu’il n’y a pas de parking… hihi).

La décision est prise : on se gare dans un virage en côte en espérant que les soulards du coin resteront cuver dans le champ et ne prendront pas le volant cette nuit. On se dirige nonchalamment vers le site. Les filles marchent devant. Elles papotent des groupes à voir, à ne pas voir, de la chaleur et de la soif qui commencent à poindre. Je les écoute, l’oreille distraite ; je regarde la nature, les arbres, les cailloux. Je pense à Francis Cabrel en me demandant si les femmes qui composent son public sont plutôt vaginales ou clitoridiennes. Je fredonne encore en arrivant devant l’entrée. On croyait savoir tout sur l’amour depuis toujours. Nos corps par cœur et nos cœurs au chaud dans le velours. Vaginal. Des gens souriants et transpirants dans une caravane me tendent mon pass. J’arrive dans l’espace Presse, il y a du sable par terre. Je me laisse duper, j’ai l’impression d’être en vacances. Seul sur le sable les yeux dans l’eau, mon rêve était trop beau. L’été qui s’achève tu partiras à cent mille lieux de moi. Rock Voisine, clitoridienne. J’adore ce jeu. Le trajet m’a affamé, on me conseille les merguez du stand Rugby. Je paie un sandwich avec des jetons roses. Je pourrais certainement faire un tour d’auto-tamponneuses avec. Cette perspective m’enchante plus que d’aller voir les Tambours du Bronx mais vu le nombre de gens agglutinés devant je dois être la seule. Pendant qu’ils tapent fort sur leurs fûts, une bagarre éclate aux abords de la scène B. Les deux types se foutent sévèrement sur la gueule, sûrement une histoire de vol de poules ou de poulettes entre voisins. Il n’est même pas 21h00, que la fête commence. On les sépare difficilement avant l’arrivé sur scène des de Black Box Revelation, copycat d’autres groupes en Black comme les Black Keys, Black Angels ou Black Rebel Motorcycle Club… Le duo belge a tout l’attirail qui va bien : la mèche au vent et le débardeur en sueur. Je me concentre, je tape du pied, je m’ambiance. Je m’ennuie. Je file voir Bang Bang Eche sur la GonzoMobile. Ces kids néo-zélandais n’ont pas vraiment voulu choisir : ça gueule comme du Hadouken, ça electro-pop comme du Fischerspooner et consorts, ça braille brutal-métal un octave plus bas. Leur musique est aussi indéterminée, électrique et intrigante que la coupe du chanteur (parfois long, parfois court et rasé) ou l’identité sexuelle du clavier (un mec, non une fille, ah non un mec, mince on dirait que c’est une fille). J’aurais adoré qu’ils viennent jouer pour mes 16 ans dans le garage de mes parents partis en week-end dans les Landes. Il y a peu de monde dans le public, la majorité des festivaliers sont amassés devant la scène principale. On entend d’ici les BabyShambles qui y font leur show. Ah les BabyShambles… Ils me font l’effet chouette cover band jouant plutôt bien à une très grosse fête de la musique (je mesure en kilo et qualité de son). Caricatures d’eux-mêmes, ils se font pantins-pacotilles sur lesquels les gamines projettent leur vision papier glacé-faussé du rock… De ce qu’on appelle le rock, même si on se sait plus vraiment ce que c’est. Le rock, ce mot qu’on écrit en strass sur des tee-shirts, ce concept qu’on n’aura peut-être jamais l’occasion connaître. En attendant « le rock » que je vois est dans un sale état. J’entends un morceau aux accords ska qui doivent donner envie aux amateurs de La Rue Ketanou (ou même des Boeufs Troquistes – groupe normand qui a eu la chance de jouer deux fois / que j’ai eu la chance d’éviter deux fois) de faire des « Preulô Preulô » puis un autre aux notes country. Les Libertines sont loin. Je je suis libertine, je suis une catin. Mylène Farmer. Anal. Là, tout est chanté dans un anglais sans qu’aucune consonne ne soit prononcé (je crois avoir lu un jour sur Doctissimo qu’il est difficile d’articuler correctement quand on prend beaucoup d’héroïne par ce qu’on a tout plein d’organes flingués et qu’on en a aussi absolument plus rien à foutre) et accompagné de danseuses faisant virevolter des drapeaux anglais. Serait-ce donc ça l’entertainment dont on nous parle tant ? Je voulais voir Dan le Sac VS Scroobius Pip, mais je me suis fait encanailler par les gangsters d’Infectious Grooves. Bandanas, shorts de basket et grosses lignes de basse, je suis incapable de m’en sortir. Ça shake son booty par ci, ça pousse des hurlements de loups par là. J’ai l’impression d’un unique morceau, violent et funky, long et saccadé comme l’adolescence. Le champ s’est fait ghetto et je pars me reposer, prendre un verre au calme. J’en oublie Monotonix et déjà Jamaica gratouillent leurs premiers accords. Toujours aussi auto-satisfaits, ils font leur show se prenant pour des rockstars 4real, répétant à chaque concert les mêmes effets scéniques, les mêmes petites moues feintes. L’important c’est d’y croire sans s’en apercevoir. Pascal Obispo. Non pratiquant. Danger arrive sur scène en tenue : bombers et cagoule. Ce type me fascine et je me désole de me faire avoir par son côté arachnéen. Sa première tentative de terrorisme musical fait plus l’effet d’un pétard mouillé que d’un cocktail Molotov. Le son s’éteint brusquement et tarde à revenir. Un mec complètement bourré crie « noob ». Un autre, tout aussi amoché lui répond un peu interrogatif « nul? ». Un dialogue s’installe : « Nan pas nul, noob ! », « Pourquoi noob ? », « C’est ce qui disent les américains dans ces cas là ». Et les deux de crier « noob » et d’inciter les autres à faire de même. Le son reprend. Enfin. Il me tarde car j’adore Danger ca me rappelle plein de bons souvenirs. Mais il a quand même foiré sa montée… Je m’en fous, j’ai toujours aimé Danger. Merde… il cite du Tellier juste pour citer du Tellier et ça ne prend pas… mais j’adore Danger. Rha, il ne vient quand même pas de rater sa transition là, si ? Hum… mais c’est cool, il enchaine sur 11H30, mais, bordel, il me recolle du Tellier dans les oreilles. J’adore Danger mais je me casse.

Samedi 27 juin 2010

Evreux, 28 degrés à l’ombre. C’est fou, c’est trop. J’éteins ma cigarette, il fait encore plus chaud. Je mange du taboulé en regardant >Caribou>. Cette musique me fait l’effet d’un fruit sauvage.

Sun Sun Sun Sun Sun Sun Sun etc. Et voilà, j’ai une insolation. Je vais voir le type de la Croix Rouge qui me conseille de m’allonger dans un endroit ombragé et silencieux. Si je n’avais pas mal au fond des yeux quand je rigole, je rigolerais. En majuscule même. Je lui dit « LOL ». Premier signe de la fièvre. Comme je vais certainement passer la nuit à avoir mal à la tête et à vomir partout, je me demande si je ne ferais pas mieux de me coller une énorme cuite dès maintenant. Yerk nan #foutlagerbe. Je vais voir Phantom Band, mon petit frisson pur malt. Premier constat : les écossais sont moins bourrés qu’au Transmusicales ; première explication : ils jouent beaucoup plus tôt. Beaucoup TROP tôt à mon goût. Howling est la première carte qu’ils lâchent et je sais qu’ils ont une bonne main. Je frissonne. Ils devraient jouer sous la lune qui bien que pleine se fait encore timide. Je n’arrive pas à accorder le crédit mérité ni à profiter sincèrement d’un concert tant qu’il y a de la lumière naturelle. Les spots sont allumés malgré tout et leur chorégraphie mécanique m’hypnotise un peu. C’est malin, maintenant j’ai des points lumineux partout dans mon champ de vision… Je remarque quand même que le batteur est défoncé (il cherche un peu la mesure hihi) et que le guitariste rigole quand il fait les chœurs (il chante faux hihi). Ils jouent beaucoup TROP tôt. C’est indécent. Au lieu d’une foule compacte et bondissante c’est un public clairsemé qui se trémousse devant les crash-barrières. Nous sommes trop peu à reprendre les paroles de leurs excellents morceaux. Je ferme les yeux : il y a toujours des petits points lumineux qui dansent sous mes paupières mais aussi des écossais prêt à souffler dans une cornemuse ou dans un mélodica. Des gens se sentent mal a cause de la chaleur. Un bénévole prend l’initiative de sortir un jet d’eau et d’arroser la foule. Ce champ est écrasé par ce putain de cagnard : vautours, fétus de paille qui roulent et blessures d’harmonica. Je rentre au Saloon étancher ma soif. Laissez-moi ici Sheriff, je vous promets je foutrai pas le bordel, je suis trop faible pour ça. Laissez-moi m’accouder au bar et cracher par terre. Partez. Partez-tous et abandonnez-moi ici. Je vais vous retarder. Nan, vraiment allez voir Renan Luce sans moi. Sortez les colts et faites-le danser. Pendant qu’il rassemble la France de nos campagnes, je plante les éperons sur le comptoir et je m’attaque aux produits du terroir. Il faut beaucoup boire et prendre le comprimé pendant un repas. Je m’applique. J’ai pourtant l’impression d’être un bilboquet, dont la tête ne se remettra pas en place sur la nuque raide avant quelques douloureux essais. Chokebore joue. Je note dans mon calepin « aurais préféré un éventail plutôt qu’un stylo avec mon pass média ». Je me fous en boule sur un transat, recouverte de linges humides, attendant la douceur de la nuit, écoutant les clameurs de la foule. J’essaie de m’extirper pour voir les types de Jim Jones Revue qui gueulent comme des putois et font danser toutes les générations du bled : des papis fumeurs de pétards aux kids qui ont évité la garderie. La température ambiante descend à mesure que la nuit s’installe, mais pas la mienne. Fiévreuse, je trace vers les Black Keys en me doutant bien que Carney et Auerbach ne vont pas me tiédir. La foule se presse, se compresse, se donne toute entière et ondule en reprenant aguicheuse « I wanted love, I needed love ». Le concert se fait suave feulement. Serre-moi fort. Oui comme ça. Loneliness is over. Let me be your ever lasting light. Notre affaire se termine à peine que bourrée d’hormones et d’amour comme si j’avais léché un buvard, je cours à la GonzoMobile voir quelques morceaux d’Invasion60’s soul, 70’s psychedelia, 80’s trash, 90’s doom : c’est comme ça que se définit ce trio anglais fusionnant psyché et métal. Je reste fascinée par leur live alors que je pense que j’aurais cassé le CD si je l’avais reçu. La chanteuse dirige la messe noire avec sa bure psychédélique et ses déhanchés démentiels. Pendant que le bassiste se ré-accorde, la batteuse porte une bouteille d’eau à ses lèvres, se ravise en se la reversant sur la gueule puis envisage une solution plus concrète : enlever son tee-shirt. Bras levées, baguettes croisées au dessus de sa tête elle prend la pose le temps que l’on puisse apprécier le pentacle et l’inscription indélébiles qui ornent ses biceps. Encore quelques instants pour que l’on reluque ce qui se trouve dans ce soutif un peu dégueulasse en satin rouge et dentelle noire – c’est cheapos, elle aurait pu faire un effort si elle savait qu’elle finirait à moitié à poil – et c’est reparti. Elle colle une sacrée branlée à sa batterie, je me dissimule à sa colère, à ce putain de vortex d’énergie et de mauvais goût. La tête de mort des pirates de Suicidal Tendencies est hissée sur la scène B. En parlant de ça, petit message pour les techos de la scène A : « La B t’encule ». J’ai découvert que les techos affiliés aux deux scènes se font la guerre comme des ménagères. Comment est-ce possible ? En accrochant des pinces à linges à l’encolure de qui-est-là-qui-veut-bien pour faire circuler ces mots doux. Les bandanas resurgissent et c’est de nouveau un joyeux bordel. Pas d’imitation de Michael Jackson cette fois, mais ils remettent le couvert et nous filent du rab’. Miam. Je me lèche les babines, bibine et me retrouve devant FM Belfast. Bien naïve, je croyais qu’ils se présenteraient en collants rouges, comme la dernière fois que je les ai vus, or ils sont habillés convenablement. Ils ont peut-être grandi, accepté le système, banni le funny. Leur pays est dans une merde noire alors il faut penser à ramener du blé au lieu de jouer aux débiles. J’ai à peine eu le temps de penser qu’ils font des gros doigts d’honneur à la foule et enlèvent leur pantalon. Pfiouuuu. Deux ou trois types virent aussi leur froc, pendant Lotus, leur reprise de Killing in the name of. Tout le monde adore évidemment : il y a un paquet de bpm au compteur, des millions de citations de morceaux écoutés en boucle à l’âge ingrat et de litres d’alcool ingurgités. Le set se termine sur Par Avion. J’ai envie de prolonger mes vacances dans les caraïbes. Il est 2h30. Je rêvasse à l’Islande, ses fjords, ses fêtes en cruisant du côté du Vip. Les lumières y sont éteintes et son accès extrêmement restreint. Oui, quand c’est fini, c’est fini. On déconne pas à Évreux. Allez, dégagez, y a plus rien à voir.

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