Reprise du débat lancé en février 2007 (Au-delà d’Angoulême… le manga rend-il chauve ?), avec la parution de « Bobobo-bo Bo-bobo », un manga qui fait l’apologie du poil pour de rire. Où quand l’on atteint le summum du tiré par les cheveux…

Souvenez-vous : il y a quelques mois, suite à la découverte, en plein festival d’Angoulême 2007, de la récurrence du motif « tête pelée » arboré par les amateurs de BD japonaise, on s’interrogeait sur le pourquoi d’un tel épile-phénomène (voir Au-delà d’Angoulême… le manga rend-il chauve ?). Voilà aujourd’hui matière à enrichir la réflexion grâce la publication d’un manga pro-capillaire, intitulé Bobobo-bo Bo-bobo, de Yoshio Sawai (Casterman). Il semblerait que, loin de chez nous, la chute du poil crânien préoccupe aussi le peuple japonais, ou du moins les auteurs de bande dessinée nippons (sont-ils davantage frappés par la chose que leurs compatriotes? à voir…), au point d’en faire le sujet d’une oeuvre romanesque destinée aux adolescents. En effet, Bobobo-bo Bo-bobo est paru dans Shonen Jump, magazine de prépublication aux tirages pharaoniques destiné au lectorat masculin à peine pubère, donc à tout futur candidat potentiel à la calvitie fatale. C’est bien connu, plus on s’y prend tôt, mieux c’est. Le pitch est le suivant : en l’an 300X, l’empire Chauvekipeut domine la planète, avec à sa tête l’Empereur Crâne d’œuf quatrième du nom, qui mène une chasse aux poils acharnée pour rendre tout le monde lisse du caillou. Mais sur sa route se dresse Bobobo-bo Bo-bobo, sorte de Jamie Foxx bodybuildé à la crinière afro blond platine, qui joue de ses poils de nez ou d’aisselles pour vaincre, entre autres ennemis, les brigades tracto-capillaires qui arrachent les tifs rétifs. Un argument iconoclaste, donc, qui séduit par son audacieuse débilité, et qui donne envie de creuser la chose. Le récit part vite dans tous les sens, et passée la surprise de l’idée de départ, on adhère ou on laisse tomber. 21 volumes annoncés de grand n’importe quoi, ça fait peur, mais ça suscite aussi l’admiration.

Or, comme on s’en doutait, le vrai sujet de Bobobo-bo Bo-bobo apparaît clairement éloigné des préoccupations capillaires. Ceux qui attendent de cette lecture un empathique réconfort, y trouveront au mieux un défouloir, au pire se sentiront lésés par l’utilisation abusivement détournée d’une cause sérieuse. En effet, il s’agit ici davantage de parodier les shonen manga – mangas pour garçons – à succès, que de lutter activement contre le poil mou du genou. Le chaland décati se trouve donc coincé avec un manga qui ne s’adresse pas nécessairement à lui, à moins qu’il ait gardé de ses années Récrée A2 et cie la nostalgie des jeunes héros prêts à se fritter avec le moindre méchant qui voudra pourrir sa planète. Aussi, s’interroge-t-on sur le public visé par cette oeuvre aussi référencée que possible : la baguette de la « magical girl » ou le clin d’oeil à Ken « Au couteau » le Survivant sont parmi les plus facilement identifiables des innombrables private jokes qui constituent la charpente même d’une histoire dépourvue d’intrigue digne de ce nom – reconnaissons au passage les efforts du traducteur pour rendre déchiffrables lesdites références et autres jeux de mots. Du coup, on passe parfois, ou souvent – la compréhension dépend du degré de culture japanime / manga du lecteur – à côté de la dérision potache destinée (en France) :
1. aux fans absolus de manga et d’anime
2. aux représentants de la génération Club Dorothée qui ne dédaignent pas voir un petit Naruto de temps en temps
3. aux enfants de moins de 12 ans qui saisiront sans peine l’humour crotte-de-nez.

Soit, tout de même, pas mal de monde. Les autres resteront de marbre, ou friseront l’accablement. Il est cependant permis de lire cette curiosité avec modération, chapitre par chapitre – un petit résumé en ouverture remet toujours le lecteur dans le bain – afin d’éviter l’overdose de blagounettes scato-délirantes. Saluons tout de même ce côté si sympathique, chez nos amis nippons, d’oser ainsi le néant pour de rire absolu, et de réussir à muer le bébête le plus bas de plafond en sublime. A ce titre, disons que Bobobo-bo Bo-bobo, oeuvre post-moderne s’il en est, fait déborder le manga du champ de la BD vers celui de l’Art contemporain.

(Re)lire la première partie du débat, Au-delà d’Angoulême… le manga rend-il chauve ?