Juillet. La chasse au festival est ouverte. Dès à présent et jusqu’en septembre, le jazz se vend entre plage et montagne, avec décor, merguez et bouées. N’oubliez pas le T-shirt avant de partir. Derrière cette apparente opulence de l’offre, le grand marché des conformismes. On prend le Top 50, et chacun confectionne son collier de perles. Fausses. Chronic’art a tracé pour vous plusieurs itinéraires Bison Futé.

La France en 12 étapes

1. En se glissant dans la fête en cours, se rendre d’abord aux environs de Besançon. Jazz en Franche-Comté (15/06 au 7/07) a essaimé sur trois départements et en douze dates, une jolie troupe de musiciens qui dresse un état du jazz d’aujourd’hui, de l’ARFI à Lazro, de Han Bennink à Willem Breuker, des choix judicieux, un bel échantillon de Français non alignés.

2. On repique au Centre : Orléans’ Jazz ( (26 juin-1er juillet) a joué avec bonheur la carte de l’équilibre. Tous les soirs un plateau riche et équilibré. La seule apparition européenne de Sonny Rollins, Ahmad Jamal et Steve Coleman, mais aussi Umberto Petrin, Joëlle Léandre/Christophe Marguet Quartet avec Mat Maneri, Edelin ou Di Donato. De Cuba au Japon, de Little Italy à la grande, un carrefour qui réussit ce que les « grands festivals » ratent depuis toujours.

3. et 4. Cap au Sud (-Ouest). Les Pyrénées vous accueillent avec leurs festivals intelligemment jumelés : on passera de Jazz à Oloron (28 juin-4 juillet), ses petits concerts de grande musique sous le signe des cordes (Paul Rogers en solo, Amsterdam String Trio, Didier Petit, Puschnig/Feldman, les Arpenteurs de Denis Colin et Pablo Cueco en post-scriptum) dans de petits lieux délicieux, à Jazz à Luz (5-8 juillet) qui prend le relais dans un esprit voisin : le jazz contemporain en accès libre. L’extraordinaire et rare Four Walls (Luc Ex, Phil Minton, Michael Vatcher, et Veryan Weston), improvisation libre à l’anglaise, Ramon Lopez et ses Songs of the Spanish Civil War, Claude Barthélémy, Wodraska, Transes Européennes Orchestra : tout le monde à la montagne, et le cirque de Gavarnie à portée de main. Deux festivals qui montrent que tout est encore possible, même le voisinage dans la solidarité.

5. Pendant ce temps-là Paris a son Banlieues Bleues d’été : Villette Jazz Festival (29 juin-8 juillet) Même principe, même directeur : Jacques Pornon. Gros cocktail où tout le monde doit trouver son compte. On y trouvera François Merville Quintet et Bill Frisell (6 juillet), Bojan Z (7 juillet), Shirley Horn (le 8 juillet), mais aussi le World Saxophone Quartet dans un hommage à Julius Hemphill (7 juillet) et des centaines de musiciens : déjà l’overdose… Mais cela dispense d’aller à Nice, Antibes-Juan-les-Pins et autres Jazz à Toulon cette désastreuse vitrine de quartier chaud du jazz maquetté-marketisé -martyrisé.
6. Jazz à Vienne (29 juin-13 juillet) sauverait un peu la mise de ce Sud (-Est) affairiste -les « affaires » du jazz ! Sinistre. A peine. Nous avons parlé ici même de tous ceux-là : Brad Mehldau, Philippe Catherine, François et Louis Moutin Eddie Louiss, Esbjörn Svensson, Chris Potter, Paco de Lucia (avec Jorge Pardo) et Carlos Maza -tous talentueux milieux de terrain. Mais on cherchera en vain à Vienne la trace d’un seul aventurier. L’an dernier Braxton y faisait une de ses deux apparitions européennes…

7. Allons plutôt prendre le frais à Partenay (Deux-Sèvres) : Jazz au fil de l’eau (3-14 juillet) mise sur la création à la française. Michel Edelin, Vincent Courtois (10), François Raulin, Yves Robert (11), Feldman/Courvoisier (12), Sylvain Kassap, Sophie Agnel/Phil Minton (13), et… Quelques fiers Mongols (14) : une ou deux générations bien résumées mais sans surprises. Bugge Wesseltoft (10), Didier Lockwood (12) et Richard Galliano (13) apporteront leur caution grand public. Soit.

8. A Itxassou-Urdoze (Pyrénées Atlantiques), c’est une autre histoire. Errobiko Festibala (18-21 juillet) est dirigé par Beñat Achiary. C’est un peu l’Uzeste basque. On y joue en descendant de la montagne, dans la brume, on y parle, la poésie a droit de cité -Serge Pey (le18), André Velter (le 21)- Beñat Achiary s’y met en scène sous tous les angles, ce dont personne ne se plaindra. Tout peut y arriver : Portal n’a pas pu éviter d’y entendre un autre Michel : Doneda. Son ego s’en est trouvé un peu froissé. Un lieu d’expérience donc, l’un des plus précieux de l’été.

9. Jazz à Junas (Gard,19-21 juillet) repose sur une équipe, un lieu -des carrières pittoresques- et une idée : inviter chaque année des musiciens d’un pays ou d’un région d’Europe : cette fois, l’Arménie. Découverte assurée avec Levon Minassian, Armen Donelian (beau pianiste, américain depuis longtemps, et qui fut l’accompagnateur de Billy Harper entre autres) et Arto Tuncboyacyan. Solal sera là aussi avec son trio « américain ».

10. Le plus fort de tous cette année comme les autres, celui qu’il faudrait taire de peur que son succès n’amène son créateur Jacques Di Donato à y mettre fin, c’est Fruits de Mhère (2-5 août). Caves, granges, potagers d’un petit village de Bourgogne sont investis par l’improvisation libre, jusque dans les bois. Si l’on veut prendre le pouls le plus battant de la musique d’aujourd’hui, savoir de quoi notre présent est fait, c’est là qu’il faut aller. Un signe : c’est la plus grande concentration d’improvisateurs britanniques de l’été : Rhodri Davies, John Butcher, Mark Wastell, Minton encore, Miachael Vatcher, Phil Durrant, mais aussi Mats Gustafsson, Tony Buck, Barrre Phillips, Bob Ostertag, Gerry Hemingway, Mark Dresser, et encore la jeune garde française, Frédéric Blondy, Martine Altenburger, Isabelle Duthoit, Xavier Charles, et les Suisses Jacques Demierre, Urs Leimgruber, etc. Le chemin de Damas de tout réfractaire au « bel aujourd’hui » qui consentirait à ouvrir enfin sa fenêtre à la lumière du jour. Mhère ou comment sortir de la Caverne.
11. Un détour par Jazz à Cluny (18-26 août) qui n’est pas si loin où l’on retrouvera quelques-uns des Goubert, Edelin, Robert et autres Barthélémy qu’on aurait pu rater ailleurs, mais surtout pour Sophia Domancich (19) ou Steve Lacy en trio avec J.-J. Avenel et John Betsch (24). Une seule concession (on suppose que c’en est une) : Stefano di Battista.

12. Enfin, si Mhère n’a pas pour vous porté tous ses fruits, reste à prendre le chemin de Jazz à Mulhouse (21-25 août) où depuis 20 ans Paul Kanitzer met le feu à l’été finissant : programmation incendiaire où Peter Brötzmann frétille comme un gardon. Il y sera avec son tentet (Ken Vandermak, Mars Williams, Mats Gustafsson entre autres). Allemands et Hollandais s’y coudoieront comme aux beaux jours du tournant des années 60-70 où s’inventait un des axes les plus durs de l’improvisation que l’on dut alors appeler « européenne ». On l’accueillit avec beaucoup d’incrédulité et pas mal de sarcasmes. On pensa bien sûr que ces fous se lasseraient. Trente ans après, ils sont toujours là, plus vivant que jamais, ils ont fait des petits, et le public vient toujours. On sait maintenant qui (se) mentait.

Le chemin des chroniqueurs

De l’automne au printemps, vous avez lu, relu nos comptes rendus, suivi nos choix, réagi, déploré les impasses, découvert des noms : voici venu le temps de vérifier la sagacité de nos chroniqueurs.
Les musiciens évoqués ci-devant ne sont pas les seuls dont nous ayons parlé : vous pourrez retrouver les autres ici ou là, au gré des festivals plus banals, plus routiniers, peu inventifs, voire franchement déplaisants (il y en a) que nous n’avons pas retenu dans cette sélection. Voici un repérage, lacunaire à coup sûr, mais utile, nous l’espérons.

Brad Mehldau : Vienne,11 juillet ; Nice, 21 juillet ; et puis Pori (SF), Victoria Gasteiz (E), Istambul.
Denis Fournier : Puylaurens, 30 juin.
Philippe Catherine : Vienne, 11 juillet; La-Seyne-sur-Mer, 2 août ; Gouvy (B), 3 août.
Laurent de Wilde : Millau, 21 juillet ; Paris, Parc Floral, 28 juillet ; La-Roche-sur-Yon, 1er août; et Pori (SF), 19-20 juillet.
Riccardo del Fra/Michel Graillier : Capbreton, 18 août.
Milford Graves (au sein du New York Art Quartet) : Lisbonne, 1er août.
Louis et François Moutin : Vienne, 2 juillet ; Montpellier, 16 juillet.
Eddie Louiss : Blainville-Crevon, 29 juin ; Paris, La Villette, 30 juin ; Vienne, 2 août ; Sète, 6 juillet.
Hervé Bourde/Karim Touré : Orléans, 28 juin ; Montpellier, 18 juillet.
John Surman : Varna (Bulgarie) : 3 août.
Leo Smith (au sein du Golden Quartet) : Lisbonne, 12 août.
Paul Bley : Paris, La Villette, 1er juillet.
Steve Coleman : Orléans, 27 juin ; Paris La Villette, 30 juin, Vitoria-Gasteiz (E), 17 juillet.
Johnny Griffin/Steve Grossman : Enghien-les-Bains, 28 juin.
Olu Dara : Pori (SF), 20 juillet.
Shirley Horn : Paris, La Villette, 8 juillet.
Mat Maneri (avec Joëlle Léandre/Christophe Marguet Project) : Orléans, 28 juin ; Paris, La Villette, 29 juin.
Steve Lacy : Tomar (P), 21 juillet ; Cluny, 24 août.
Esbjörn Svensson : Vienne, 3 juillet.
Chris Potter : Vienne, 6 juillet ; Sète, 7 juillet.
Mirtha Pozzi (Transes Européennes Orchestra) : Luz-Saint-Sauveur, 7 juillet.
Bojan Zulfikarpasic : Paris, La Villette, 7 juillet. Simon Goubert : Montpellier, 19 juillet ; Cluny, 19 août.
Jorge Pardo (avec Paco de Lucia) : Vienne , 30 juin ; et … Vienne (A), 4 juillet.
Xavier Charles : Jazz en Franche-Comté, 6 juillet ; Mhère, 4 août.
Omar Sosa : Vic-Fezensac, 27 juillet ; Avignon, 3 août.
Bonne route.

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