Retour sur la 18e édition du festival de courts-métrages « Côté court » qui s’est déroulée à Pantin du 10 au 20 juin 2009 : listing, choses vues, New York, Mekas…

A Pantin, considérer qu’on a du goût, c’est s’aliéner une partie de la programmation (compétition fiction, compétition expérimentale, panorama, florilège du Fresnoy). Les courts-métrages proposés cette année « se veulent le reflet d’un cinéma contemporain vivant, regardant loin devant lui ». Voici quelques films pour lesquels il est à notre avis possible d’exercer son goût.

Montparnasse – Mikhaël Hers : l’hommage de Luc Moullet (lire notre entretien), critique éminent, au précédent film de Michkaël Hers, Primrose hill, pouvait laisser pantois. Moullet dixit : « génie de Hers, fondé sur un rendu nouveau et magistral du temps, qui donne l’impression d’épouser pleinement la réalité, les diverses réalités. De petites touches simples, des actes apparemment banals ou sans intérêt font surgir tout un sens profond à partir du non-dit des paroles et des gestes. Primrose hill, par son rythme particulier, nous invite à une nouvelle approche du monde, dans la lignée d’Eustache et de Cassavetes, qui rend un peu dérisoire tout le reste du cinéma français ». Primrose hill pouvait pourtant donner l’impression de passer en force : répétitivité de la mise en scène, intentionnalité des effets, sinistrose appuyée. Comment deux films réalisés coup sur coup, par le même Hers, peuvent-ils paraître si différents ? Montparnasse, c’est Montparnasse la nuit, quartier hanté par des jeunes filles qui sont mortes ou errantes, et qu’épaulent ou embrassent une sœur, des parents, un ami d’autrefois. Une confidence vient très tôt – ce genre de confidence qu’on craint au cinéma parce qu’elle installe généralement un naturalisme sans intérêt : un « Ca ne va pas bien du tout », livré à coeur ouvert. La confidence est brutale (elle arrive vraiment très tôt) et sans fard (la fille a un problème névrotique), mais Hers la filme avec une délicatesse de touche : mélopée d’un sourire, durée. Tonalité contre psychologie en somme. Ce qui se dit ? Dans Montparnasse, les personnages semblent toujours un peu à côté de leurs dialogues et d’eux-mêmes, déportés. Ce que l’on voit ? Montparnasse est à la fois délibérément informe et stylisé. Le film est un triptyque. Le second épisode donne un temps l’illusion que la première histoire se poursuit, mais non, Montparnasse peuple Montparnasse de figures fragilisées qui se relaient sans autre lien que le quartier et ses fantômes. Le troisième épisode est une coda, longue déambulation avant que le jour se lève. Après ce troisième volet, le film pourrait continuer encore, à perte. Casting, solutions de mise en scène : chaque acteur, chaque plan, chaque durée donnent l’impression d’avoir été filmés après immersion, dans une certaine exhalaison hivernale et nocturne, sans esprit de système, pour une mise en disponibilité générale qui oxygène la tristesse (Primrose hill restait sinistre).

Malika s’est envolée – Jean-Paul Civeyrac : tout à l’inverse. Le film est une commande du théâtre de Gennevilliers, tourné à Gennevilliers même, une sorte d’essai littéraire sur l’Orient mystérieux. Civeyrac transforme de force des êtres quotidiens en figures romanesques grand style. Un glandeur, la petite trentaine ? La figure de l’oisiveté en proie à l’ennui. Une sans-papier ? La figure de l’Orient au regard khôlé. Un squat ? Un pigeonnier désert. Un tel degré d’intentionnalité, de poétisation, d’abstraction sociale et de volontarisme rend le film pénible, mais la transsubstantiation (de la réalité sociale au fantasme romanesque) est, sinon oxygénant, du moins curieux.

But we have the music – Shanti Masud : une succession de portraits entre subjectivité immédiate (filmer les gens qu’on aime) et répertoire objectif (archiver les postures liées au rock). Quand la séduction est trop immédiate (photogénie), il y a le plaisir de la liste. Quand l’objectivité lasse (on est dans le connu), l’émotion vient surprendre.

Te revoilà Vladimir – Anne Benhaïem : l’enchaînement de deux plans – un long plan pendant lequel une actrice blonde ouvre une boîte de cornichons et un court plan où un blouson atterrit sur un canapé – suffit à donner l’image du comique d’Anne Benhaïem. Un comique qui arrive en milieu de plan ou au milieu d’une séquence (il n’y en a que trois) comme volé, ou trouvé – jamais provoqué. L’histoire – une histoire de deux filles et d’un garçon, petite intrigue semi-romanesque et bavarde dans un petit milieu parisien – n’a pas grand intérêt et est à prendre comme telle, comme une sorte de rohmérianisme : une variation maniériste à partir de Rohmer. Dès les premiers plans de Te revoilà Vladimir, il y a quelque chose de tatami : les actrices sont allongées par terre. Dès qu’elles bougent (se lèvent, s’accoudent), cela leur est difficile. De ce type d’inspiration ultra prosaïque, qui joue sur l’ingrat – placements, accessoires, décors – naît le comique – qui coule de source. Ici, les queues de plan ne sont pas coupées. Là, la porte d’un immeuble parisien prend un je ne sais quoi d’aberrant – sans qu’on puisse en déduire quoi que ce soit. Te revoilà Vladimir est à l’image de l’acteur : d’un abord joli-poli a priori sans intérêt, mais parfaitement drolatique, qui avise, le moment venu. A quand un long-métrage d’Anne Benhaïem ?

Prendre l’air – Nicolas Leclere : un film autoproduit et ahurissant (prix Résidence Côté court – décerné par Grandrieux et Achard, entre autres – une sorte d’équivalent du prix donné à Cannes par Huppert à Resnais ?). Prendre l’air, c’est une manière de styliser une histoire d’amour ratée (une histoire de couple qui a mal tourné, comme tant d’autres, à Paris), un film sans café ni appartement parisiens. On peut intituler les trois épisodes du film (encore trois) : « L’Echappée de Saint Anne », « Le Prémontré sur la colline » et « Le Flûtiste du Beauduc », en référence à un sérial à la Feuillade (on pense au cinéma muet alors qu’il y a beaucoup de dialogues). Le premier épisode est une sorte de road movie semi-policier (une fuite). Dans le second épisode, monologue d’un moine en robe immaculée, on atteint un sommet de stylisation outrancière qui peut provoquer le fou rire. C’est qu’on a perdu l’habitude de ce type de personnage romanesque (s’engager dans les ordres par dépit amoureux), popularisé par les feuilletons au XIXe siècle et qu’on trouvait encore chez Bunuel ou chez Robiolles (Nicolas Leclere pourrait être assimilé à cette lignée surréalisante et parfois fauchée). Le troisième épisode reprend le road movie, mais cette fois mâtiné de science-fiction (il est question de radioactivité et les paysages sont désolés, post-atomiques). Là, un « joueur de flûte de Hamelin » clôt l’histoire d’amour déçu. Parfaitement rocambolesque, sans rhétorique cinématographique (quand Nicolas Leclere filme un trajet, toutes les étapes y sont), Prendre l’air est une bouffée d’air.

Palmarès 2009 :

Le Grand Prix, Prix de la jeunesse et Prix d’interprétation masculine : Nice de Maud Alpi (film présent à la sélection de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes). Le film est chanté à 80%. On a à peine le temps de comprendre le concret d’une situation que les chansons démarrent sur le mode « Si on était resté ensemble », abstractions qui n’évoquent pas du tout Demy mais le réalisme poétique. Sans la photo, délavée et métallique, qui couvre Nice d’un grain clipesque, on aurait peut-être pu avoir du goût pour cette description elliptique et attachante d’un cas social.

Le Prix spécial du jury, Prix de la Presse et Prix du Public : Forbach de Claire Burger. C’est une production Fémis, mise en fiction d’une situation familiale réelle (avec pour personnages une mère et deux fils réels), description maîtrisée, fabriquée, gentillette du populo français.

Le mot de la fin : la programmation New York vs New York, rétrospective de l’underground new-yorkais, de Maya Deren à Shana Moulton en passant par Peter Emmanuel Goldman ou Nam June Paik. Première mondiale de Notes on an american film director at work de Jonas Mekas (2008). Un peu plus d’une heure en immersion sur le tournage de The Departed (2006). Le monteur (Benn Northover, la trentaine) est là pour rappeler une chose invraisemblable : l’amitié Mekas / Scorcese, qui remonte à Knocking at my door (1967), lorsque Mekas, critique à Film critic (et connu aux USA comme critique – pas comme cinéaste), invitait Scorcese à la radio en présence de Shirley Clarke. Scorcese, cinéaste efficace mais cinéphile averti, a invité Mekas, le pape de l’underground, sur son tournage, pour un parangon de making of – un making of, c’est bien pour montrer un cinéaste au travail ? Ce qui est frappant ici, c’est le son : ce qui se dit sur le tournage de The Departed n’est ni perché ni timbré, et cette approximation sonore rend sans aucun doute beaucoup mieux compte d’un tournage de cinéma que n’importe quel making of provoqué. L’approximation est aussi visuelle. Mekas est réputé pour son approche syncopée et sentie de ce qu’il filme. Dans Notes on an american film director at work, quand Mekas parle à quelqu’un, la caméra pique du nez (ça veut dire que Mekas ne cadre plus, qu’il regarde son interlocuteur). A l’ère des techniques-visuelles-d’enregistrement-à-portée-de-tout-le-monde, Mekas reste Mekas, un grand cinéaste qui sait célébrer la vie et l’amitié, mais qui a pour l’occasion laissé de côté son style syncopé et sa voix off nostalgique. La poésie affleure sans cesse (la fumée qui émane du décor, le soleil qui irradie le décor) alors même que les mains de Scorcese s’agitent pour repousser les acteurs ou orienter les mouvements de caméra qu’il voit en direct sur son combo. Le rythme de Mekas est patient, uniforme. Comment Mekas va-t-il finir son film sur un cinéaste ami qui jamais n’a fait des films comme lui ? A la fin du septième décor, le travelling embarqué filmé par Mekas est une image mystérieuse de la grosse machine hollywoodienne et évoque en même temps un corbillard.

Voir le site officiel du festival