Malgré les préventions qui accompagnaient une affiche a priori sans grande originalité, la Route du Rock 2002 restera dans les mémoires comme un grand cru du festival estival de St-Malo. Compte-rendu.
N’en déplaisent aux éléments, contraires, qui se sont abattus avec violence, puis parcimonie, sur le fort de St-Père, les festivaliers malouins sont désormais fidèles à la Route du Rock, même les pieds dans la boue. Ils furent plus de 16 000 à rentabiliser le festival. Et puis, la programmation de cette douzième affiche a finalement réservé son lot de bonnes surprises.
Riders in the storm
Arrivé à St-Malo en Clarks et tee-shirt, je n’en menais pas large, vendredi, sous la pluie bretonne (il faut savoir que « la pluie bretonne » tombe en trombe sans discontinuer pendant plusieurs heures, parfois plusieurs jours, sans jamais offrir d’accalmie… ce vendredi, elle s’est écoulé du midi au lendemain matin). Les organisateurs durent ainsi annuler les festivités en bord de plage, organisées sur le modèle de l’Aquaplanning de Hyères (des siestes musicales, plutôt ambient-electro, « les pieds dans l’eau »), et on craignait pour les installations électriques installées sur le fort. Cependant, aucune électrocution en direct live fut à relever, sinon un sonore « Hello Glastonbury » à l’arrivée de Neil Hannon sur scène, un peu plus tard dans la soirée. Soirée qui débuta avec les sympathiques anglais de The Coral (quand on dit « sympathiques » dans une chronique de rock, c’est toujours avec une bonne dose d’ironie), qui se révélèrent meilleurs sur scène que gravés dans le sillon. Leur pop 60’s matinée de guitares indie-pop a bien trop à voir avec les Seeds ou le Chocolate Watch Band pour être honnête, et on plaint un peu les teenagers qui découvriront dans dix ans les originaux de ces soli de guitares et de ces lignes de basse sur les compiles Nuggets. Et qui comprendront l’arnaque. Cependant, sur certains titres accrocheurs (notamment Shadows) on n’a pas boudé notre plaisir nostalgique, tout en maugréant pour la forme. Jean Vic et Mathieu, qui campaient avec moi, ne tarissaient pas d’éloges, devant leur steack-frites dans le restaurant VIP (hé oui), pour ce qu’ils annonçaient déjà comme le meilleur concert du festival.
Cette parenthèse steack-frites eut lieu pendant le concert de Departure Lounge, dont on ne dira rien, donc. Suivirent les excellents Interpol, groupe new-yorkais inspiré par Joy Division ou The Smiths, qui parlaient récemment dans The Face de leur précédente prestation à St-Malo (l’année dernière), comme de leur meilleur souvenir musical. La chaleur de l’accueil donné à leur concert électrique, sombre et intense, par un public acquis, vit leur batteur, Samuel, se jeter avec enthousiasme dans la foule, qui y gagna, elle, une vieille paire de Converse.
Samuel fêtait son anniversaire ce soir là et le public lui chanta son affection. Les membres d’Interpol restèrent les trois jours sur le site, extrêmement gentils, entamant la discussion avec tout le monde, sortant avec des attachées de presse, déambulant en costards noirs dans les rues de St-Malo. Leur album qui sort à la rentrée 2002 est déjà un classique. Le même soir, on regarda backstage le concert de Royksopp devant une télé : ennui ferme. Pendant Divine Comedy, je parlais avec deux jeunes et jolies filles venues abriter leur saucisse-frites sous mon parapluie. Cette Hélène avait un truc très intrigant qui brillait au fond de l’oeil. Mais des babas cools (ils furent légions ces trois jours) qui s’amusaient à faire du foot avec de la boue les mirent en fuite, avant que j’ai pu opérer à l’échange rituel de téléphones portables. Après un titre de Programme, qui semblait annoncer la toute proche fin du monde, pendant que la pluie redoublait de violence devant 200 types bourrés, je décidais de rentrer sous ma tente, à l’intérieur de laquelle il pleuvait. J’eu une sorte de vision de l’enfer tel que dépeint dans La Divine comedie de Dante. N’en déplaise à Programme, l’enfer n’est pas tiède. L’enfer est froid. Et mouillé.
Dans la merde
Le deuxième jour du festival vécut une razzia sur la botte en plastique comme jamais il n’y en eut dans la petite ville fortifiée de St-Malo. Moi-même, j’ai aujourd’hui une paire de bottes bleues Aigle et crottées à revendre. On mangea des moules-frites, on prit nos douches dans la chambre d’hôtel de Sophie Neveu, la plus jolie attachée de presse de Paris, avant de retourner sur le fort découvrir Destroyer, jeune groupe indie-rock dont le leader chante un peu comme Jad Fair, mais en beaucoup moins bien quand même. On but des coups en écoutant Electric Soft Parade faire une longue digression instrumentale autour de ce qui ressemblait furieusement au premier couplet de Made of stone des Stones Roses. On apprécia paresseusement ce psychédélisme Spacemen 3 lancinant, alors que l’air était bon et la bière fraîche. Ce groupe a un bon esprit. « Pas comme tous ces gens corrompus du bar VIP », nous disions-nous en admirant le sac en toile « The Vines » de Jean-Vic, reçu de la maison de disques. Pendant Kid Loco, tout le monde était fin saoul autour de trois cadavres de vin du cru, rigolant comme des baleines en reconnaissant tel plan chipé à U2, tel autre aux Rolling Stones.
Kid Loco est un faussaire, qui le sait. Plus tard, titillé par une conversation entendue dans le bar VIP (« Murat a mis des bottes, c’est normal, il en porte toute l’année, c’est un bouseux »), j’assistais par solidarité au set de Jean-Louis Murat, lui aussi visiblement rond comme une boule de flipper, tantôt hululant, tantôt mâchonnant ses mots avec une déréliction toute alcoolisée. Accompagné par un bassiste et un batteur qui débitent les phrases rythmiques avec la vélocité d’un groupe de bal, Jean-Louis fit des solos de guitares fous, hantés par le désir d’en finir au plus vite. C’était parfois beau. Parfois triste. Plus beau en tout cas que le concert prog-rock d’Archive, dont on essayait de fuir les assauts étourdissants à l’autre bout du fort. En vain. Ceci nous donna à tous très mal au crâne, et l’envie de nous coucher, là, tout de suite. Ce que l’on fit. Mes amis dans leurs tentes, moi emmitouflé dans une couverture, par terre dans une chambre d’hôtel, aux pieds de deux jeunes filles très gentilles qui m’y avait invité pour la nuit. On ratait la tête d’affiche, Trash Palace, mais on y gagnait au change, en se disant que ce groupe était de toute façon tellement attendu, qu’il allait forcément être décevant.
L’ombre du soleil
Le lendemain, tout le monde rigolait en évoquant le concert de Trash Palace. Après le teasing forcené qui accompagnait la venue du side-project de Brian Molko (Asia Argento avait du annuler, mais on attendait Jarvis Cocker, en vacances à Dinard), la réalité s’était avérée plus pathétique encore que sa montée en sauce. Selon les rapports officiels, ce fut le concert le plus ridicule de toute l’histoire de la Route du rock : des mannequins en plastoc sur un brouet electro, ratant tout et faisant n’importe quoi (une reprise indus de Can’t get you out of my head), des quolibets cruels (« Hey Zizou ! ») accompagnant le début de calvitie de Brian Molko, un Jean-Louis Murat complètement torché haranguant le public à la manière Rancheros (« Allez les malouins, allez les malouines, vous aimez le mucus ? Allez niquer ! Allez niquer ! »), le tout suivi d’un grand éclat de rire général… « La déroute du rock », selon le bon mot plein d’aigreur des journalistes de Magic (qui n’était pas partenaire, pour la première fois de son histoire, avec le festival).
Ces anecdotes croustillantes nous firent gaiement patienter jusqu’à l’arrivée sur scène de The Bees, concomitante à celle du soleil. Ce qui n’est que justice, puisque les Bees font ce qu’on peut appeler de « la musique du soleil » : rock steady, dub, bossa, funk, afro, leur danse solaire fonctionna à plein, quoique ennuyant la majorité du public malouins, qui n’aime rien tant que les bonnes guitares de bruit blanc (sauf baba cool, fumeur de ganja devant l’éternel). Plus tôt dans la journée, on avait assisté à la conférence de presse du leader de The Notwist, le groupe allemand qui fait de la « lap-pop » mieux que personne, et malgré les attaques de grande bêtise de son intervieweur (qui sévit depuis plusieurs années à coups d’ego surdimensionné, approximations linguistiques et ignorance musicale crasse), on avait très envie de retrouver sur scène ce personnage humble, limite autiste, visiblement entièrement dévoué à sa musique (Neon golden a pris quinze mois pour être enregistré). Et ce fut un des meilleurs concerts du festival, alternant phrases electronica minimalistes, guitares saturées enlevées, cuivres soyeux et chant tout en douceur (quel plaisir d’entendre quelqu’un chanter doucement sur ce festival), au service d’une série de tubes underground fins, faisant enfin appel à l’intelligence de l’auditeur, au lieu de bêtement le rudoyer. Ce que firent les Black Rebel Moteorcycle Club, puis Brett Anderson et Suede, un peu plus tard : rudoyer, crier, gonfler les pectoraux, grimper sur les amplis, faire claquer les cordes, marteler les fûts en cadence, haranguer la foule comme un troupeau de bétail. On s’en fout, on est parti boire des coups avec des petits gars sympa qui prennent des ecstas et qui ont de la conversation. Ca nous a mis en forme pour assister au dernier concert du festival, le divin Dj Shadow, qui fait de très belles choses avec pas grand-chose : quelques disques, quelques platines, une table de mixage, et on a assisté au concert le plus captivant de ces trois jours : très proche des morceaux originaux, mais y glissant de petites modifications (un scratch par ci, un silence par là) qui firent de ce set atmosphérique et groovy un pur moment de plénitude musical. Dj Shadow, au sommet de son art, clôturait cette douzième édition.
Chaque année, on se promet de ne pas y revenir, et chaque année, on est content d’y être allé. A l’année prochaine…