Karyn Kusama est en train d’effectuer un parcours de rêve. Ancienne assistante du cinéaste John Sayles, elle vient de réaliser Girlfight. Un premier film qui croule sous les récompenses : deux prix au Festival de Sundance (Meilleure mise en scène et Prix du jury), un Grand Prix du cinéma indépendant au dernier Festival de Deauville, etc. Un palmarès impressionnant. Mais Karyn Kusama garde la tête froide et n’oublie jamais que son désir premier est de continuer à faire du cinéma en toute indépendance.


Chronic’art : Presque dix ans se sont écoulés entre vos études à la New York University’s Tisch School of the Arts, en section cinéma, et Girlfight, votre premier film. Qu’avez-vous fait durant ce laps de temps ?

Karyn Kusama : J’ai travaillé sur des documentaires pour un distributeur indépendant, et puis j’ai rencontré le cinéaste John Sayles, dont j’ai été l’assistante pendant trois ans C’est en grande partie grâce à lui que je suis ici aujourd’hui. Non seulement il m’a toujours beaucoup soutenue dans mon travail -il m’a poussée à écrire et a toujours montré de l’intérêt pour le scénario de Girlfight– mais surtout, c’est grâce à lui que le film a enfin pu être tourné, car il l’a financé en partie.

En dehors du financement, John Sayles est-il intervenu dans d’autres domaines ?

Non, pas vraiment. Quelques personnes de son équipe ont travaillé sur mon film, notamment les productrices Sarah Green, Maggie Renzi ainsi que Martha Griffin, qui a également été son assistante. Il a lu les différentes versions du scénario et m’a donné de très bons conseils surtout en ce qui concerne la structure de l’histoire. Mais sa collaboration s’arrête là.

La boxe est un thème fréquemment abordé par le cinéma. Avant de réaliser votre film avez-vous vu ou revu les grands classiques tels que Raging bull, Muhammad Ali the greatest ou même Rocky ?

Oui, enfin Rocky ne compte pas vraiment car je ne l’ai jamais vu jusqu’au bout. Raging bull est évidemment un très grand film, mais je ne m’aventurerais pas à l’imiter. Le film qui, je crois, m’a le plus influencé est Fat city de John Huston. A cette liste, il faudrait également ajouter Sur les quais d’Elia Kazan pour tout ce qui concerne la psychologie des boxeurs. Il faut cependant savoir prendre du recul par rapport à toutes ces œuvres, les voir, mais ensuite trouver son propre langage visuel, sa propre manière de filmer la boxe. Mon objectif était tout même de faire quelque chose de différent, d’avoir une approche plus naturaliste, réaliste et surtout de parler d’un monde un peu à part, celui de la boxe amateur.

Vous semblez très bien connaître le monde de la boxe, ses codes, ses secrets. Avez-vous enquêté dans ce milieu avant de faire votre film ?

En fait, j’ai moi-même pratiqué la boxe. C’est un sport avec lequel j’ai beaucoup d’affinités. Je n’ai pas à proprement parler procédé à des investigations, c’est plutôt en discutant avec des gens qui fréquentent ce milieu, ou à travers des liens personnels que j’ai approché ce monde.
Comment avez-vous rencontré Michelle Rodriguez, l’interprète principale de votre film ?

Nous avons organisé un casting extrêmement ouvert et elle s’est présentée. Pour dire les choses rapidement, elle vient de la rue. Elle n’avait aucune expérience en tant qu’actrice et n’avait jamais boxé. Elle m’a tout de suite impressionnée par son charisme, sa présence, mais je n’étais pas sûre qu’elle puisse supporter la très forte discipline, tant mentale que physique, qu’exigeait le rôle. Elle m’a largement prouvé le contraire. C’est une actrice née et une athlète très douée. Je pense que si elle choisit bien ses rôles, elle peut devenir une très grande commedienne.

La boxe a bien évidemment son importance mais le sujet principal du film n’est-il pas la métamorphose d’une jeune adolescente ?

Tout à fait. Le thème central du film est la transformation, le fait que celle-ci est possible même si c’est au prix de nombreux efforts. Je voulais faire un film sur ce sujet, sur le processus qui aboutit au changement. Diana (Michelle Rodriguez) « grandit » durant le film, elle fait des choix qui enrichissent, compliquent sa vie. J’espère que les gens voient le film de ce point de vue.

En même temps c’est grâce à la boxe que Diana peut enfin s’exprimer, exister…

Diana est indubitablement un personnage qui se bat pour vivre et vit pour se battre. Son accomplissement personnel se fait à travers le combat, que ce soit sur le ring ou en dehors du ring. L’avantage du ring c’est qu’il y a des gens qui la guident, des juges, un public qui regarde, c’est un monde contrôlé, avec des règles strictes. Diana est une personne en guerre constante avec elle-même et les autres. Mais en même temps, c’est ce combat constant qui lui donne cette énergie, cette vitalité.

Diana refuse qu’on la considère comme différente, elle veut boxer d’égal à égal avec un homme. Pourquoi une telle revendication, ce désir d’égalité d’absolue ? La seule différence entre les deux sexes ne se situe-t-elle pas justement sur le plan physique ?

Oui, c’est un point de vue intéressant, mais, pour moi, le ring est comme un théâtre, une scène qui permet de montrer la relation amoureuse qui existe entre Diana et Adrian. C’est un lieu où ils s’affrontent mais c’est également un lieu où ils font preuve de tendresse l’un envers l’autre. Je comprends très bien que pour certaines personnes le fait qu’un homme et une femme boxent l’un contre l’autre soit totalement irréaliste, bien que ce type de combat ait déjà eu lieu avec le plus souvent des résultats désastreux. Pas étonnant. Mais le fait que ce soit un homme et une femme permet d’introduire des sentiments, de l’amour au cœur même du combat. D’une certaine façon, ça reflète le sport en général, où l’on n’est rien sans son adversaire. La question centrale est comment toucher l’autre, au propre comme au figuré, comment l’atteindre. Le combat de boxe est avant tout métaphorique, il doit être vu comme une métaphore de la relation amoureuse.

Le fait que votre film ait été récompensé par deux prix (le Prix de la mise en scène et le Grand Prix du jury) au Festival de Sundance a-t-il une importance pour vous ?

Il faut savoir remettre les choses à leur place. La reconnaissance a son importance mais ce qui compte c’est le film avant tout : le fait que Girlfight soit vu. Ces récompenses ont permis au film d’être distribué un peu partout aux Etats-Unis et même dans le monde entier. En ce sens, c’est très excitant. Cependant, le fait que des agents ou des producteurs commencent à vous contacter à cause de ces prix n’a pas vraiment d’intérêt. Aucun d’eux ne peut m’offrir ce dont j’ai réellement besoin : la liberté, l’indépendance, le contrôle absolu sur mon travail.

Propos recueillis par

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