Graham Masterton, Richard Laymon, Shaun Hutson et, ici, Jack Ketchum… Les classiques de l’horreur anglo-saxonne tendance dure des années 80 sont de retour chez Bragelonne.

Son nom reste encore largement inconnu du public, Jack Ketchum appartient pourtant à cette génération de petits maîtres (petits, mais costauds, les Ray Garton, Richard Laymon, Shaun Hutson…) apparus dans la foulée des principaux dauphins du King (Stephen) : Barker, Masterton, Straub et consorts… Initialement publié dans la fameuse collection « Gore » du Fleuve Noir, ses premiers romans avaient été pas mal rabotés aux entournures pour rentrer dans le format hyper short de la maison, sans même parler des traductions à la hache, inhérentes à ce type de publication. Difficile dans ces conditions d’y voir la marque d’un authentique écrivain, fut-il d’horreur.

Il ne recourt pratiquement jamais au surnaturel, mais son approche viscérale des thèmes classiques du gothique américain est bigrement plus flippante. Son premier roman, Morte saison (Off season), est un survival saignant, dans le genre outrancier de l’époque : des touristes en villégiature dans le Maine dérangent une tribu d’anthropophages libidineux. Qualifié de « roman d’horreur ultime » au moment de sa sortie, en 1981, il a aussi provoqué un joli petit scandale quand le magazine de la gauche intellectuelle Village Voice a réclamé la tête de son auteur et de l’éditeur pour « violent pornography ». On peut s’en offusquer, mais Jack Ketchum, de son vrai nom Dallas Mayr, ancien secrétaire d’Henri Miller, préfère signer ses romans d’horreur du nom d’un hors-la-loi pilleur de train pendu à la fin du XIXe siècle, et a depuis publié onze autres romans, dont Off spring, la suite de Morte saison, que Stephen King présente ainsi : « Lisez-le à Thanksgiving, vous n’en dormirez plus jusqu’à Noël ! ».

Tiré d’un fait divers réel (l’affaire Sylvia Marie Likens, une adolescente du Midwest, torturée à mort par sa tante et les enfants du voisinage, en 1965), Une Fille comme les autres (The Girl next door) commence quasi naturaliste avant de basculer dans l’horreur pure quand la chronique des Happy days vire méchamment Lord of the Flies. Né en 1946, « Ketchup Jack » appartient à cette génération d’auteurs US qui n’ont pas finit de régler tous leurs comptes au fantôme des années Eisenhower : « Si vous avez vécu pendant les années 50, vous en connaissez le coté obscur, tous ces petits bubons secrets et de répression, confortables et doux, noirs et prêts à éclater. Il y avait là une sorte d’isolement parfait et une distribution de personnages que je pouvais transformer en m’inspirant des réels acteurs du crime ». Classique, les deux premiers tiers du roman plantent le décor et posent les personnages. Eté 58, vacances, pêche aux écrevisses et fête foraine sont le quotidien d’une bande de gamins façon Peanuts, mais avec comme des velléités de poil au menton et des poussées d’adrénaline dans le slip en sus. David le narrateur, 12 ans, Donny, Willie et Woofer, les fils de Ruth, la voisine tellement cool avec les mioches du quartier, Eddy le barge, Denise sa sœur, et deux nouvelles venues, Meg et Susan, deux orphelines dont les parents ont péri dans un accident de voiture. Trop jolie, Meg suscite vite haine et jalousie de la part de Ruth bien décidée à lui inculquer ses vues sur l’éducation des jeunes filles et comment se comporter vis-à-vis des hommes, etc.

« J’essaie de ne pas oublier que nous n’étions que des enfants à l’époque de ces évènements, des mômes encore en devenir, à peine sortis de leur panoplie de Davy Crockett, pour l’amour du ciel ! ». Format ramassé (à peine 300 pages, presque trop court), écriture carrée, sans fioriture, calibrée efficace qui s’encombre peu de style, il privilégie toujours la technique sur les effets de manche : « J’ai utilisé la voix à la première personne, avec le fils des voisins comme narrateur. C’est un gosse tourmenté, mais pas insensible, qui hésite entre sa fascination devant la liberté qui lui est donnée, et ce que lui souffle son empathie. Il en voit beaucoup mais il ne voit pas tout ». Accrochez-vous, les 100 dernières pages sont abominables et se lisent d’une travite. Toujours sur la corde raide, Ketchum tient toutes les promesses de son implacable sujet, sans commettre aucune faute de goût (même la crotte de chien), ni verser dans le scabreux (la bouteille de Coca) : « Ça reste assez extrême, avoue l’auteur. Il était impossible de faire autrement, en tout cas je ne voyais pas comment. Le problème était en fait de le maintenir extrême sans exploiter par la même occasion tous ces gosses vivants et bien réels qui sont abusés chaque jour ».

« Dans le monde de Ketchum », a formidablement résumé Stephen King, jamais avare d’une formule sympa pour encenser ses petits camarades, « les nains sont cannibales, les loups ne manquent jamais de souffle et les princesses se retrouvent enfermées dans un abri antiatomique, ligotées à une poutre pendant qu’une folle leur brûle le clitoris avec un fer à repasser ».

Morte saison (réédition uncut) & Une Fille comme les autres (inédit), de Jack Ketchum
(Bragelonne)