En 2001, Halo bouleversait le jeu de tir en vue subjective. L’un des aspects de cette révolution a souvent été sous-estimé : l’intégration incroyablement riche et précise des dialogues à l’action.

Fondés sur un système complexe, les dialogues du premier Halo étaient classés en 12 catégories (par exemple, « blesser des gens »), comportant chacune 4 sous-catégories (par exemple, « ennemi touché »), lesquelles contenaient elles-mêmes entre 15 et 20 permutations dépendantes des personnages. Au total, Halo 1 comprenait 5 000 dialogues in-game, Halo 2, 15 000. Halo 3 en inclut 22 000. Une fois encore, ceux-ci colorent les combats de manière amusante, dramatique ou étonnante. « C’est la dernière fois que tu tues un des miens ! », hurle un chef gorille extraterrestre d’une voix profonde. « Je vole ! », crie un nabot de l’espace propulsé par la déflagration d’une grenade. « Ne me tue pas Démon ! Je t’aime bien moi ! », implore un autre en fuyant devant le héros. La traduction, l’adaptation et le doublage français d’un projet de cette ampleur nécessitent, bien sûr, des mois de travail. Pour « Chronic’art », Peter Fitzpartick, responsable chez Microsoft à Dublin, et Philippe Colin, traducteur principal du jeu chez la société parisienne Exequo, racontent ce processus difficile.

Chronic’art : Combien de temps la localisation d’un jeu de ce type exige-t-elle ?

Peter Fitzpartick : Entre 12 et 18 mois. L’équipe de localisation de Microsoft se situe à Dublin et nous nous associons à des compagnies comme Exequo sur nos projets. L’ingénieur software, Mick Ivory, le responsable audio, Jason Shirley, et moi-même, le manager, avons tenu nos premières réunions avec Bungie environ un an avant la sortie de Halo 3. La deuxième série de réunions de préparation a pris place à Paris avec l’équipe d’Exequo, Guillaume Capitan et Nicolas Cassini. Ils avaient déjà travaillé sur de nombreux projets Microsoft, dont les précédentes versions de Halo. Nous avons commencé la phase d’exécution et de production en mars 2007, en même temps que la mise en ligne de la Beta du jeu. Nous l’avons terminée en août 2007.

Comment se déroule votre collaboration avec Bungie ?

Peter Fitzpartick : Notre responsable audio, Jason Shirley, a passé deux mois et demi chez Bungie durant l’été 2007 pour travailler étroitement avec le musicien Marty O’Donnell et le concepteur sonore Jay Weinland sur les étapes finales de la production audio. Marty et Jay ont demandé sa présence et l’ont toujours traité comme un membre de leur équipe.

Comment sélectionnez-vous les acteurs pour les voix ?

Peter Fitzpartick : Le processus de casting commence avec une analyse des personnages et acteurs anglais. Nous réunissons des biographies et des samples audio des personnages concernés et travaillons avec Exequo pour trouver des acteurs qui conviennent au rôle en version française – nous ne voulons pas de simples imitations des acteurs américains. En général, Exequo fournit entre 3 et 5 suggestions d’acteurs pour chaque personnage. Jason en sélectionne ensuite quelques-uns, à qui il demande de lire des dialogues extraits du script du jeu. Il choisit ensuite l’acteur définitif pour le rôle. En ce qui concerne les rôles principaux, cette décision est prise en collaboration avec Bungie qui donne son avis et l’approbation finale.
La version française conserve-t-elle toutes les lignes de dialogue de l’originale ?

Peter Fitzpartick : Oui. Aucune ligne de dialogue, qu’elle soit issue des cinématiques ou des combats, n’est enlevée. Nous pouvons même improviser et adapter le script lorsque c’est possible. C’est une étape importante pour ajouter de l’humour et de la pertinence au doublage.

Quels problèmes posent la traduction et l’adaptation française ?

Philippe Colin : Le plus difficile au cours de la localisation a été d’égaler le travail colossal accompli par Bungie dans les combat dialogs, ces répliques et interjections contextuelles qui fusent au coeur de l’action, lancées par vos alliés comme vos ennemis : il y a plus de 22 000 audios différents ! Vous pouvez rejouer encore et encore, vous découvrirez à chaque partie de nouvelles répliques, certaines destinées à vous immerger plus profondément dans l’ambiance, d’autres plus second degré. Si vous fixez un allié de façon prolongée, il pourra par exemple vous dire : « J’attends vos ordres » ; si vous insistez, il pourrait bien s’imaginer que vous lui faites du gringue – et ne serait-ce que pour ce simple cas de figure, il y a déjà des centaines de phrases différentes.

Avez-vous des exemples d’expressions spécifiques ou références culturelles difficiles à retranscrire en français ? Quelles solutions avez-vous trouvé ?

Philippe Colin : Pour bien des dialogues qui faisaient appel à des références obscures de la pop culture américaine (baseball, publicités célèbres, actualité, etc.), une traduction littérale aurait donné quelque chose de plat, voire d’incompréhensible pour le joueur. Il fallait donc être créatif. Pour cela, nous nous sommes livrés au petit jeu des références, en puisant abondamment dans les citations de séries B et films cultes (dont beaucoup de références à Sylvester Stallone, puisque nous avons eu la chance d’avoir Alain Dorval, la voix de Sly, dans le casting de doublage), mais aussi dans la « culture geek » dans son ensemble : celle des forums, des LAN parties, des MMORPG, etc. Certaines répliques sont d’ailleurs à la limite du politically correct… L’ensemble semble rencontrer un certain succès puisqu’on voit maintenant fleurir sur les forums des sujets s’amusant à répertorier les citations les plus hautes en couleur de Halo 3.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Halo 3.
Lire notre interview de Brian Jarrard, directeur de la franchise et des affaires communautaires chez Bungie