Compte-rendu, au jour le jour, de la 13e édition 2006 du Festival du Film Fantastique qui s’est tenue du 25 au 29 janvier 2006 à Gerardmer.

Mercredi 25 janvier 2006

Panique sur Gerardmer : il fait à peine froid dans les Vosges, tenant d’habitude d’un Alaska français. Devant l’absence de neige et le plein soleil régnant sur les routes menant à la petite ville, les accrédités venus pour faire du ski s’inquiètent : devront-ils laisser dans les valises moonboots et combinaisons fluo pour aller voir les films du festival, histoire de passer le temps ? Présenté en ouverture, Underworld 2 : evolution (lire notre chronique de l’opus 1) les rassure. Len Wiseman et son histoire de lutte ancestrale entre vampires et loups-garous ont oublié qu’il y avait des spectateurs dans la salle. Scénario aussi confus qu’expédié à toute berzingue, mise en scène téléguidée par les effets numériques livrés par tombereaux, acteurs jouant comme dans le pire des soap opera… Underworld 2 est surtout victime du syndrome Matrix reloaded, en insistant sur l’indestructibilité générale de leurs personnages. Difficile dans ce contexte d’installer des enjeux, tout devenant monolithique, autour d’incessantes scènes d’actions aux airs d’interminable démo de jeu vidéo. Qui serait plaisante si Wiseman laissait quelqu’un d’autre que lui y jouer.

Pour se faire une idée de l’ennui général devant cette purge, sachez qu’elle a moins retenu l’attention que les discours d’introduction du festival, chose rare. Derrière un catalogue exhaustif de toutes les vannes possibles autour du chiffre 13 (treizième édition oblige), les représentants de la mairie et de la région se sont livrés à une joute verbale à peine cryptée avec pour enjeu, les subventions allouées par chacun, obole qui fait le fond de caisse du festival. Pour mémoire, des rumeurs de coupures du robinet à pognon face au manque de retour sur investissement (comprendre une baisse croissante de presse sur le festival, donc d’articles sur la ville), courent avec insistance depuis deux, trois ans. La situation étant résumée plus clairement par un des nombreux habitants reconvertis en chauffeurs mis à disposition des festivaliers, qui a sorti à chacun de ses passagers durant quatre jours une bonne blague : « Comment appelle-t-on les habitants de Gérardmer ? Des bénévoles ».

Jeudi 26 janvier 2006

Hideo Nakata, président du jury a dû déglutir de traviole devant The Red shoes. Le film coréen s’empare de tout le folklore récent du cinéma d’horreur japonais, autour d’une paire de chaussures meurtrières. Et plus encore Dark water au gré d’une relation entre une mère fraichement divorcée et névrosée emménageant dans un appart’ flippant avec sa petite fille. Problème : la révélation du secret des pompes tueuses trempe dans un discours anti-nippon aussi primaire qu’édifiant. Un malaise encombrant, surtout au vu d’une poignée de scènes remarquables de tension ou d’une science du frisson qui ont de quoi rendre Nakata jaloux. Dommage que The Red shoes devienne très rapidement casse-pieds, contrairement à Isolation, l’étonnant premier film de Billy O’Brien, qui tient quant à lui droit dans ses bottes campagnardes.
Il s’ouvre pourtant sur une odeur de bouse et un premier plan inédit : le fist-fuck d’une vache servant de cobaye à une expérience génétique ! C’est pour la bonne cause, Isolation invitant Cronenberg et Carpenter à venir projeter de concert Chromosome 3 et The Thing à la ferme. Leur hybridation donne un film de genre neuf : pas de discours sur le sort difficile des exploitants agricoles européens, juste l’envie de foutre une sacrée trouille sur fonds d’OGM, n’en déplaise à José Bové.

Passant derrière cette excellente surprise, Dave et Tina Payne, auteurs de Reeker, se sont lancés dans un speech enthousiaste pour introduire leur film, précisant qu’il s’agissait « d’un vrai film indépendant ». Si ça voulait dire incapable de trouver des bons comédiens ou de tenter d’étirer au maximum l’élasticité autour d’un twist final ridicule, alors oui, Reeker et son scénario d’épisode médiocre des Contes de la crypte est bel et bien un petit film indépendant. Surtout d’idées. Sauf une, grotesque, mais jamais vue : on y apprend que la mort pue, mais qu’elle porte un masque à gaz. Pour se protéger de ses propres effluves ?

Vendredi 27 janvier 2006

Devant l’absence de people (même pas d’Houcine de la Star’Ac, de Miss France ou de Vanessa Demouy en vue), le festival aura fait monté une sauce virtuelle en laissant croire à la possible venue de Quentin Tarantino pour venir soutenir Hostel, le film d’Eli Roth produit par monsieur Kill Bill. S’il était venu, on aurait bien été tenté de lui mettre un coup de boule au vu de la chose. En l’occurrence une bande d’ados ricains en goguette en Europe de l’Est pour se taper de la russian bitch se retrouvant proies d’un réseau de tortures. Roth aura beau vendre son film comme un simple film d’exploitation, Hostel exploite surtout une vision putassière de l’Europe du moment avec un film se rapprochant plus d’un American pie à Guantanamo que d’une série B couillue. Certes, le film est très gore, mais c’est plutôt les idées nauséabondes qu’il développe qui remuent l’estomac. Effet positif, cette séance aura rendu assez sympathique l’énergie potache de Sheitan, projeté ensuite. Non que ce survival caillera tienne sur la longueur, la faute à un dénouement particulièrement peu inspiré, mais contrairement à ce que le CV de Kim Chapiron (les insupportables films autoproduits au sein de Kourtrajmé) laissait presager, Sheitan tente de se faire une petite place entre l’hystérie de Jan Kounen et la provoc’ de Gaspar Noé. Ça fonctionne souvent -jolie montée en puissance du climat anxiogène, acteurs débutants plutôt bons-, mais pas assez pour convaincre, Chapiron restant toujours dans un périmètre de sécurité, à montrer les crocs mais surtout à tenir la laisse qui empêche Sheitan d’être le grand film malade annoncé. Sauf peut-être pour la prestation de Vincent Cassel, aussi tordant qu’inquiétant en berger sataniste aviné.

Autre hype du jour, Wolf creek, film de serial killer australien. Mais là, on n’allait pas nous la faire deux fois : depuis sa présentation à Cannes l’an dernier, on savait que ce remix de Blair Witch project sauce Crocodile Dundee est une sérieuse intox. Au moins autant que les terribles conditions de projection de trois des segments de Masters of horror, série du câble américain réalisés par les cadors du cinéma fantastique. On aurait juré des Divx de cinquième génération. Pas bien grave pour Dance of the dead, le volet de Tobe Hooper qui confirme son abyssale dégringolade vers l’enfer des cinéastes ringards. Plus gênant pour Cigarette burns, celui signé John Carpenter, qui excuse son aspect d’auto-remake de L’Antre de folie par la scène la plus démente vue depuis longtemps : Udo Kier en collectionneur de films maudits se payant le trip ultime de tout cinéphile : mettre litéralement ses tripes dans un appareil de projection. Le grand gagnant du tiercé est Joe Dante avec l’exceptionnel Homecoming, brulôt où les G.I. morts en Irak reviennent à la vie pour aller voter contre Bush. Pour voir les films correctement, prière d’attendre la sortie, d’ici la fin du printemps, de la série en DVD.
Samedi 28 janvier 2006

Dans les bonus du DVD de Darkness, son précédent film, Jaume Balaguero explique qu’au départ il voulait raconter une histoire de fantômes dans un hôpital d’enfants. Il a bien fait d’attendre. Quoiqu’un un peu trop classique, Fragile, est sans conteste son meilleur film, même si l’Espagnol sacrifie ici ce qui faisait la force de son cinéma, cette noirceur sans appel virant cette fois au happy-end en demi-teinte. Fragile renoue avec le contes de fées gothique, c’est un film plus émouvant qu’effrayant, il devrait faire de Balaguero le successeur d’Amenabar, désormais recyclé dans le mélo pour mémères.

Grand classique du festival de Gérardmer, le mea culpa tardif de cette année (après Bubba ho-tep en 2005) a rendu les honneurs à Schizophrenia. Vingt ans après sa réalisation, ce portrait d’un tueur en série, peut-être le plus pertinent avec Henry portrait of a serial killer, reste traumatisant. Les effets de réalisation sont toujours aussi estomaquants, Zbigniew Rybczynski, assistant sur le film de Gerard Kargl, explorant avant tout le monde les possibilités de la steadycam. Au point d’avoir retourné les appétits fragiles partis voir la chose à un horaire (9h00 du matin) médicalement peu prudent… Facétie des programmateurs, c’est à l’heure du dîner que les mêmes ont pu découvrir Nouvelle cuisine, sarcastique version du Portrait de Dorian Gray remise au goût du jour par Fruit Chan. Sa farce cruelle -à base d’embryons servis en raviolis par une avorteuse- écorche l’actuelle fascination pour la beauté éternelle, le croustillant de la chose étant laissé à Bai Ling, actrice brûlante qui a donné des vapeurs à la plupart des spectateurs…

Dimanche 29 janvier 2006

Pendant qu’au café du coin les commerçants restent sidérés de l’absence (très palpable) de vedettes (entendu de la bouche d’un restaurateur : « Vous vous rendez compte, même celui qui joue le commissaire dans les Taxis n’est pas venu cette année. Ni Smaïn…On n’a même pas de photo à rajouter sur le mur dans l’entrée. Moi qui avait acheté un nouvel appareil numérique… »), la révolution vient du service d’ordre qui régule l’entrée aux séances.

Un vigile a décidé d’abolir les privilèges de la presse, généralement prioritaire, en laissant pour une fois entrer le public à la séance des courts-métrages en compétition. Beau geste, qui aura néanmoins privé les envoyés des magazines et émissions spécialisés dans le genre du programme. Aucun problème en revanche d’accès aux séances des inédits vidéos. Certains auraient gagné à justement n’être que des courts-métrages (Dead and breakfast, Mosquito man…), mais un triple programme annonce la tendance d’un grand retour du cinoche façon années 80 : cheap, mais truffé d’idées et de mauvais esprit, comme ce Satan’s little helper, revisite d’Halloween au joli potentiel dans la franchise du croque-mitaine type Freddy Kruger. Le palmarès aura lui plutôt ressuscité le bon goût, après des années de prix hasardeux (cf. Troubles, le gagnant de l’an dernier, impayable nanar). Si Isolation repart avec le trophée suprême -en forme de cendrier kingsize en céramique-, Fragile décroche une grosse timbale avec quatre prix (Public, Critique, Jury jeunes, Prix du Jury). Jaume Balaguero est aux anges, les envoyés de Studio Canal -co-producteur du film qui l’avait déjà relégué aux oubliettes en en programmant une diffusion sur Canal Plus dès le mois prochain-, beaucoup moins… Les bénévoles eux soufflent enfin, ils vont pouvoir redevenir des Géromois (oui, c’est bien comme ça qu’on appelle les habitants de Gérardmer).

Voir le site officiel du festival