Glamorama atterrit sur le paysage désolé des microcosmes littéraires parisiens. Bret Easton Ellis, son auteur par ailleurs responsable du cultissime « American psycho », nous reçoit à l’hôtel pour nous parler, entre autres, de son nouveau roman…

Paris, mars 2000. Un peu flippé par l’énormité du personnage que l’on rencontre dans quelques instants, Bret Easton Ellis, c’est dans un certain état de fébrilité que l’on arrive dans les salons très kitsch de l’élégant hôtel de l’Abbaye, rue Cassette, où l’écrivain passe les quelques nuits de son séjour promotionnel français pour la sortie de son immense nouveau roman, Glamorama, un chef-d’œuvre de 520 pages que l’on a lu, relu, décortiqué et annoté pour les besoins de cette interview. Il est 11 heures du matin, Ellis descend. On était venu voir un yuppie légendaire sapé de pied en cap chez Prada ou Armani, on découvre un Yankee souriant déguisé en spectateur de Téléfoot (sweat noir élimé, jogging en tergal noir et gris, et un curieux mariage mocassins noirs -chaussettes de sport épaisses). Quoique d’une tranquillité notoire, le rez-de-chaussée est trop bruyant à son goût : Bret Easton Ellis, l’un des plus importants écrivains des vingt dernières années, nous emmène au troisième étage, dans sa propre chambre d’hôtel. Une fois là-haut, il nous prie de bien vouloir lui traduire la posologie du Spasfon dont la plaquette est, de toute façon, déjà sérieusement entamée, se cale dans son fauteuil, et nous tend les bras, prêt à affronter l’avalanche de questions qu’on lui a préparées. Record.

Chronic’art : Dans Glamorama, Victor Ward, le narrateur, et le lecteur aussi d’ailleurs sont sans cesse perdus entre illusion et réalité, deux mots récurrents. La réalité est-elle une illusion ?

Bret Easton Ellis : Eh bien, oui, la réalité est une illusion. La façon dont se déroule ma vie, la manière dont j’ai dû vivre durant ces quinze dernières années, ce n’est pas une vie normale, en particulier quant à la manière dont les gens croient me connaître. Dès lors que vous commencez à être un peu connu, photographié, interviewé dans des magazines, les gens se forment une opinion sur vous, à partir des seules choses qu’ils ont lues ou entendues, uniquement à partir de votre travail ; en fait, vous devenez finalement une personne irréelle. La vie qu’on vous imagine ne correspond en rien à votre vraie vie -voir vos parents, vos amis, avoir des activités normales-, et, en un sens, vous finissez carrément par mourir : c’est l’illusion qui a pris le dessus. Il y a aussi, à mon avis, cette idée que les gens un peu connus doivent sans cesse être en représentation, jouer en permanence un rôle. Vous finissez par avoir toute une panoplie de personnalités et oui, vraiment, la réalité devient illusion.

Ne pouvez-vous pas jouer de cette panoplie, et vivre en même temps une vie normale et cette existence illusoire ?

Non, car ça prend vraiment du temps pour arriver à ignorer complètement cette opinion que les gens se font de vous. Je veux dire, quand vous sortez avec des amis, et qu’un type que vous n’avez jamais vu auparavant se pointe au dîner et vous dit : « Oh, vous avez des amis, moi je vous voyais comme un meurtrier »… Bon, même si ce n’est pas une personne très intelligente, vous devez quand même lui expliquer que non, vous n’êtes pas Patrick Bateman, non, vous ne tuez pas les filles… Les gens ne voient les personnes célèbres qu’au travers des musiques qu’ils ont écoutées, des films qu’ils ont vus, des livres qu’ils ont lus, et ils basent tout sur ça. Ce n’est pas la vraie vie, c’est un truc… étrange…

Au-delà de la différence entre réalité et illusion, quelle est pour vous la différence entre réalité et vérité ?

La vérité, pour moi, est seulement dans l’art, dans la création, l’écriture ; ça, c’est la vérité absolue : écrire, par moi-même. Tout le reste est trickier, rusé, détourné, épineux. Il est très difficile de trouver la vérité en dehors de ça, dans la vie, car la plupart des gens se cachent derrière l’apparence -en général parce que ça leur permet d’obtenir ce qu’ils veulent. Il est vraiment difficile de savoir ce qui est vrai. La vérité, si vous voulez, c’est quand je prends un crayon, un bloc-notes, ou que je m’assieds devant mon ordinateur, pour créer quelque chose. Hors de ça… je ne sais pas. En fait, est-ce que vous pouvez vraiment croire du fond du cœur des personnes même très proches de vous, votre mère, votre père, frère, sœur, amis… Je ne sais pas ! Enfin, voilà, c’est ma définition de la vérité. En même temps, c’est une définition dont je ne suis pas certain ; c’est une image assez déprimante, cette idée qu’on ne peut croire personne : ce qui se passe, c’est que les gens s’y adaptent. Quel est le but de la vie si la vie est une illusion ? Le truc, c’est qu’on s’adapte à cette idée que la vie est une illusion, que la vérité est rare, et on vit avec. Mais continuons… (Il plonge le doigt dans un pot de crème hydratante et se le passe sur les lèvres en rigolant : « Je suis en train de ruiner complètement la réponse profonde que je viens tout juste de donner ! »)

Vous considérez-vous comme un moraliste ?

Je me considère d’abord comme un satiriste, et à travers ça il y a une moralité. D’une certaine façon, quand vous êtes satiriste, vous êtes aussi moraliste, et même si vous regardez les choses un peu plus largement, il y a une certaine morale dans votre façon d’agir. Si vous créez quelque chose… Je pense qu’il y a quelque chose de moral dans le geste de créer, dans la création d’une œuvre. Je pense que, du fait du contenu de plusieurs de mes livres, les gens me voient comme quelqu’un d’amoral -c’est sans doute pourquoi vous me posez cette question. A d’autres, qui écrivent des livres apparemment plus moraux, on ne la pose jamais. Je suis embarrassé quand les gens ne comprennent pas mes livres ; souvent, au contraire, il y a beaucoup de livres qui sont trop moralistes… Quand mes personnages se conduisent mal, je pense même qu’ils sont trop punis ! Pour Victor Ward, dans Glamorama, il y a une punition : celle de vouloir à tout prix être célèbre et beau. Je déteste ce genre de types, cette génération qui ne croit qu’en la célébrité, qui pense que la seule façon de donner un sens à la vie, c’est d’être célèbre, et beau, et jeune. La société qui encourage tout ça m’exaspère. Pour moi, Victor est soumis à ça ; en même temps, est-ce qu’il mérite d’être tué ? Je ne pouvais pas me résoudre à le tuer, mais il est probable que quelques pages après la fin… il sera tué. Ou alors, c’est parce qu’il est le narrateur, et qu’il est difficile de se débarrasser du narrateur, mais c’est une autre histoire…

A un moment, un livre de Guy Debord dépasse d’un sac Hermès…

Aaaah, je savais bien qu’on allait me poser une question à propos de ça !

Vous savez, en France, une sorte de légende se construit autour de lui…

Une légende ? Vous savez… J’ai écrit ça il y a longtemps. Si quelqu’un veut établir la connexion entre Guy Debord et Bobby Hugues, ses idées, sa conception de la Révolution… Peut-être, mais ça n’est jamais dit expressément par Victor, qui est le narrateur du roman. Victor ne comprend pas pourquoi Bobby fait ce qu’il fait ; il n’a aucune idée de ce qu’il accomplit. Et c’est à travers les yeux de Victor qu’on lit le livre… Ce livre de Debord, ça peut être un indice pour quelqu’un qui lit le livre ; cependant je n’ai pas vraiment lu d’articles ou quoi que ce soit sur lui… Non, c’est juste un indice.

Le traducteur le cite dans son petit texte sur la quatrième de couverture : « Par quel miracle trouve-t-on un livre de Guy Debord au fond d’un sac Hermès ? » La même légende existe-t-elle aux Etats-Unis ?

Non, on ne peut pas dire qu’il soit vraiment très connu là bas. Mais il y a vraiment un culte, en France ?

Oui !

Intéressant… Et l’attitude inverse ? Des arguments pour et contre, d’un côté les pro-Guy Debord, de l’autre les « No Guy Debord » ?

Le oui l’emporte de très loin ! Mais continuons. Au début de Glamorama, il y a deux exergues : une phrase de Krishna, la seconde de Hitler…

Oui, en fait je vois le livre de deux manières, une claire, l’autre obscure : la première partie est claire, la deuxième obscure. Quand j’écris un roman, habituellement, je garde un petit carnet où je note un tas d’extraits, de citations, vers de poèmes, etc., dont je pense que je pourrais peut-être me servir. Et à la fin, une fois que j’ai terminé d’écrire le roman, j’ai éliminé une bonne partie de tout ça. En général, à la fin, il m’en reste une, deux, peut-être trois : pour Glamorama, c’était deux. C’est assez intéressant : j’aime bien la façon dont la citation de Krishna correspond à la première partie, la lumière, et celle de Hitler représente bien la deuxième, cette espèce d’immense démon abstrait, le côté sombre de la deuxième partie. Les deux citations collent bien au roman, à mon avis. Elles sont aussi significatives dans la mesure où, à mon avis, le terrorisme n’a pas qu’un aspect politique. Ce serait une erreur de lire le livre en se disant qu’il est politiquement orienté ; c’est plutôt un livre sur tous ces gens qui tentent de répandre le chaos. Pour moi, le terrorisme est une chose abstraite, je ne suis pas certain de ce qu’y gagnent exactement ceux qui le pratiquent. Ce sont des agents du chaos. J’aime l’équilibre entre ces deux aspects, au fond. Les thèmes de mon livre sont universels et intemporels : les hommes, l’humanité, la façon dont ils se comportent. La citation de Krishna est un indice que ce qui se passe dans le livre, c’est-à-dire dans les années contemporaines, les années 90, dans des endroits très spécifiques, existe en fait depuis toujours.

D’où vient cette idée de transformer des gens riches et connus, des top-models, en terroristes ?

D’une manière générale, j’ai écrit des livres qui parlent de gens riches qui se conduisent mal : c’est un résumé de ce qui se passe aux Etats-Unis. Pour moi, c’est ça l’Amérique : des riches qui se conduisent mal et exploitent les autres, contrôlant la société, le monde. Leur comportement est souvent excusé à cause de l’argent qu’ils possèdent : l’idée que l’argent vous permet d’aller où vous voulez, d’obtenir ce que vous voulez, est pour moi effrayante. Dans les années 80, quand j’ai commencé à écrire le livre, je me suis rendu compte que quelque chose avait en fait plus de pouvoir que l’argent : la célébrité. Une fois célèbre, tout est à votre portée. Si vous êtes meurtrier mais célèbre, vous vous en sortez ; on pardonne toujours une célébrité. C’est une partie de ce que je dis dans le livre ; et puis il y a aussi l’idée, sur laquelle j’ai voulu réfléchir, que les terroristes se demandent derrière quel masque se cacher pour ne pas être découverts. Ce masque, ici, c’est la célébrité. Jamais personne n’ira penser qu’une célébrité, un top-model, est capable d’être un meurtrier, capable de violence. Les terroristes, ici, utilisent tout ça comme écran.

Pourquoi avoir décidé de faire exploser le Café de Flore ?

Ah… Ce sont mes premiers jours à Paris, vous êtes mon deuxième entretien ; je devrais m’être préparé pour les questions sur Guy Debord et sur le Café de Flore ! (Rires) Je devrais avoir des réponses… mais je n’en ai pas ! Mardi, je les aurai sans doute, mais maintenant, non… (Son séjour parisien se terminait le mardi 14 mars) Pourquoi je le fais exploser ? C’est un grand café, un des plus connus en Europe… Qu’est-ce que ça signifie, pourquoi pas Les Deux Magots ? Que symbolise-t-il, au juste, en France ?

Eh bien, Saint-Germain-des-Prés, le repaire de Sartre, l’establishment littéraire parisien, tout ça…

Oui, j’y pensais quand j’ai décidé de le faire exploser. Je ne veux pas dire que ce n’est pas un bon café, mais en tant qu’écrivain, quand on commence à écrire un aussi gros roman, on a cette urgence, ce désir de détruire un héritage littéraire, quelque chose qui était là avant vous… C’est quelque chose d’un peu terrible à dire… Ce n’est pas que je n’aime pas ce qui était là avant, mais comme écrivain j’ai besoin de détruire toutes les idées de la génération précédente, de commencer sur une surface propre. C’est dans ce sens que j’ai pensé à ça.

Victor Ward fait tout pour être au casting de Flatliners II. Le premier était très… « moraliste » ! Vous pensez que cette suite sera un chef-d’œuvre ?

(Rires) Je ne pense vraiment pas qu’il y aura un deuxième Flatliners… Donc non ! Ce qui est d’ailleurs triste pour Victor. Le premier, oui, était très moraliste, comme vous dites, mais une moralité idiote, ennuyeuse. C’est très hollywoodien, une morale inintéressante, très simple, où chaque chose est à sa place. J’aimais bien l’idée stupide du premier, notamment le fait que les gens se tuent pour faire l’expérience de la vie… Pas étonnant que Victor s’y intéresse et qu’il veuille se retrouver dans ce genre de film.

A propos de cinéma, American psycho a été adapté à l’écran.

Oui, vous savez, je pensais vraiment ne pas en parler. Mais bon, puisque vous me posez la question… J’ai vu ce film… Eeeh, vous avez d’autres questions à propos de ça ? (Rires) Des questions auxquelles je puisse répondre par « oui » ou « non » seulement ?

Bien. Vous avez donc vu ce film ?

Oui.

L’avez-vous aimé ?

Oui.

Vous êtes sûr ?

… Non.

Récemment c’était le « super tuesday ». George W. Bush ou Al Gore ?

Vous savez, je dois dire que je suis complètement dégoûté par la politique américaine aujourd’hui. Je n’aime aucun des candidats à la présidence, et quiconque s’y présente doit être fou, sociopathe : seul un dingue peut vouloir se transformer à ce point pour arriver au pouvoir. Ces gens sont malades, et je ne supporte pas la politique américaine. Je suis les élections comme une sorte de blague, je lis des articles de journaux sur les candidats, je regarde les débats télévisés, mais ça me désole. Pour moi, il n’y a que peu de différences entre les candidats, et le public vote sur la base de ses petites fictions personnelles : les coupes de cheveux, les costumes, les femmes… Tout ça est encore une illusion. Bon, si je devais choisir entre Gore et Bush, je choisirais Gore, parce que Bush est un peu trop conservateur pour moi.

J’ai relevé cette phrase frappante et récurrente dans Glamorama : « We’ll slide down the surface of the things. »

Oui, c’est une ligne d’une chanson de U2, Even better than the real thing, dans l’album « Achtung Baby » : elle colle bien au livre. Quand j’ai commencé à écrire ce roman, j’écoutais cette chanson, et la phrase s’y applique tout à fait bien, c’est une image frappante. C’est devenu une sorte d’obsession, de mantra. J’aime bien me faire reluire, mais là je dois le faire pour U2, pour cette phrase.

Une autre est assez amusante : « On se fout de ce que pense Cindy Crawford en ce moment ! »

Comme écrivain, j’ai un problème avec ce monde qui s’intéresse à ce que dit Cindy Crawford. En Europe, je ne sais pas, mais aux Etats-Unis, ce qu’elle raconte prend plus de poids que ce que disent Norman Mailer, Don DeLillo, des penseurs brillants. Vraiment, les bons conseils de Cindy sur les enfants, la conduite, qui font la couverture des magazines… Personne ne s’en plaint, ne dit quoi que ce soit sur cette société…

Le vocabulaire est parfois assez étonnant : que signifie exactement « Elle est très Uma » ?

(Rires) J’ai entendu quelqu’un dire ça, et ça m’a hanté…

Vous vous servez souvent de choses entendues dans des conversations ?

Beaucoup de gens n’ont aucune conversation. J’espère avoir écrit dans le livre des conversations réellement aussi ridicules que celles que j’entends ! J’essaye de ne pas en avoir des comme ça moi-même, sauf avec les journalistes américains… Dans le livre, beaucoup de détails comme celui-là sont tirés de ce que je vois ou de ce que j’entends.

Un des personnages fascine dans Glamorama : Fred F. Palakon. Qu’est-il au juste : un fantasme, un symbole… ?

Je ne sais pas… Si vous voulez lire le livre d’un point de vue un peu autobiographique, Fred F. Palakon est en réalité une anagramme du nom de mon éditeur aux Etats-Unis ! Quand j’ai commencé à écrire Glamorama, il y avait de fortes controverses à propos d’American psycho… J’étais entre deux éditeurs en guerre pour m’avoir, et un jour, assis à mon bureau, incapable d’écrire, je pensais à ça et à cet éditeur… Du coup, j’en ai fait un des personnages du livre. Vous savez, un lecteur interprète le roman comme il le veut, toutes les interprétations sont bonnes. Vous êtes seul face au livre, vous vous faites votre image des personnages, des pièces, de ce que ça signifie… Tout dépend d’où vous venez. Vous créez vraiment le monde du livre, et quand vous me posez cette question sur Fred F. Palakon, toutes les interprétations sont bonnes, surtout dans un livre comme celui-là, volontairement confus, ambigu. American psycho ou Glamorama sont des livres ouverts à des centaines d’interprétations. Ce n’est pas forcément ce que je cherche en écrivant mais je m’en rends compte tout à la fin, en relisant. En tant qu’auteur, j’en apprends souvent beaucoup sur mes livres en discutant avec des lecteurs ; ils me disent ce qu’ils y ont vu, c’est très intéressant. Un journaliste m’a aussi posé des questions sur les confettis, pourquoi, d’où ils viennent… Je n’en ai aucune idée ! Ils viennent de nulle part ; je me suis dit des confettis, oui, des confettis, je vais en mettre plus, je ne sais plus… Inconsciemment, émotionnellement, ça me semblait bien… Quelqu’un, dans une librairie, m’a demandé à quoi ils servent. (Silence) Je n’en sais rien ! Et alors il m’a fait toute une théorie, très brillante, sur pourquoi ils existent dans ce contexte-là, dans tel autre… Après ça, j’ai donné cette excellente réponse aux journalistes, je me suis bien fait reluire ! Faites attention à ce que vous dites, donc, car je peux vous le prendre…

Très bien. Alors, pourquoi ces confettis ?

Je ne me rappelle plus vraiment la réponse, mais c’était futé et intelligent (rires) !

Quelle est votre drogue favorite ?

Ma drogue favorite ? (Silence) Je peux en parler ?

Sans problèmes…

En Amérique, quand vous en parlez, il y a tout de suite quelqu’un pour vous dire non, non, pas ces questions-là… J’ai eu des problèmes avec mon éditeur car, une fois, j’ai rencontré un reporter de Rolling Stone, un type très cool, qui a fait un reportage sur moi, sur tous les aspects de ma vie -il avait 25 heures de bande… Un moment je lui ai dit que j’avais pris de l’héroïne pendant trois semaines : trois semaines ! Et c’est devenu la première partie du reportage, ce qui a entraîné pas mal de controverses ensuite. Mon éditeur était très en colère, pensant que ce serait préjudiciable pour le livre. C’est comme ça que ça marche, aux Etats-Unis, mais bon, ça ne répond pas à votre question… OK, mes drogues favorites ? Ces derniers temps, je dirais plutôt les produits de pharmacie. Je viens d’une génération où la cocaïne était prise de façon complètement nonchalante, à la légère ; je suis de cette génération de gens, si je vois de la cocaïne sur la table, je la prends, et s’il y a une pipe et de la cocaïne, je prends la coke -non, la coke d’abord et la pipe ensuite… D’une façon générale, la drogue m’intéresse de moins en moins. Peut-être parce que mon corps ne la supporte plus comme avant… Comme la plupart des gens de ma génération, je la vois comme un don de la vie, naturel, pas un truc que tu obtiens par des voies compliquées. Expérimenter les drogues, c’est comme l’expérience de grandir. C’est un énorme mensonge de dire que les gens en prennent parce qu’ils sont tristes et que la vie est horrible : les gens tristes que je connais vont à l’hôpital ou boivent, ils ne se droguent pas ! Mais il y a une raison pour laquelle j’ai arrêté l’héroïne au bout de trois semaines : c’est effrayant et plaisant en même temps, et le côté plaisant est effrayant… Je ne le referai pas.

Drogue, littérature : la littérature est-elle un effet spécial ?

Le mot « littérature » me gêne, je ne sais pas en français mais, aux Etats-Unis, on l’utilise avec une connotation grandiose, intemporelle… Oui, dans la mesure où je pense que tout art est un effet spécial.

Pour finir, un magazine français a dit que vous étiez le plus grand auteur de la fin du XXe siècle, mais que votre livre sort au XXIe…

(Rires) Oui, c’est amusant ! C’est triste, d’une certaine manière, j’arrive trop tard pour faire le coup du « culte » pour le XXe… Bon, je vous signe vos livres ?

Volontiers…

Comment vous faites en France ? Vous mettez le nom ?

Propos recueillis par
(Remerciements à Blandine Pinard pour la traduction)

Lire notre critique de Glamorama de Bret Easton Ellis