Le 1er avril 2000, le groupe allemand -connu pour ses concerts incluant marteaux piqueurs et bétonneuses- a fêté 20 ans de recherches sonores lors d’un concert événement. Après le boucan des précédents albums, Silence is sexy invite à découvrir la tension du calme…


Chronic’art : Ce nouvel album semble amorcer un changement de direction.

Blixa Bargeld : Je ne crois pas. Quand nous avons enregistré le disque précédent, Mark Chunk, notre bassiste depuis plus de dix ans, a démissionné par manque de temps. Il est devenu vice-président de Sony Europe et je pense que ça l’occupe. Plus tard, Mufti est parti. Après ces changements, nous n’étions plus que trois : Unruh, Alex et moi, comme en 1981. Pour des raisons économiques, nous avons sorti l’album. J’ai alors réalisé que ce groupe était devenu le centre de ma vie, que le départ de Mark et Mufti étaient nécessaires. Notre façon de fonctionner était trop fixe. Leur départ nous a fait tout remettre en cause, nous avons recruté de nouveaux musiciens. Après 75 concerts, Jochen et Rudi ont appris ce langage particulier qu’utilise Neubauten : l’approche est différente, l’instrumentation aussi et à chaque fois qu’on joue, tout doit changer encore, car on ne s’autorise pas à procéder de façon prévisible. Nous avons ainsi mué en une nouvelle version de Neubauten. Nos rôles ont été redistribués. Alex est passé de la guitare à la basse. Rudi, le nouveau percussionniste, n’a pas la force que Mufti avait. Du coup, on entend bien mieux Unruh. Et moi, je n’ai plus besoin de me battre pour me faire entendre, je module ma voix, je ne crie plus. Hier, un journaliste m’a dit que le groupe s’était retourné sur lui-même.

Silence is sexy est en réaction à la civilisation du bruit ?

La chanson qui porte ce titre est contradictoire. Dans le développement de ma pensée, je commence par dire que le silence est sexy, mais après la première longue pause, je trouve qu’il ne l’est pas. Je me contredis de nouveau, puis je conclus par le contraire.

En débutant, vous ne pensiez pas être là 20 ans après ?

Je ne savais pas si on jouerait un deuxième concert : on s’était fondés pour un seul ! Mais en signant notre contrat, j’ai dû m’habituer à la réalité, qui était de continuer au sein d’un groupe appelé Einstürzende Neubauten. J’ai 41 ans, j’y ai passé presque la moitié de ma vie. Chaque disque englobe un moment particulier de cette existence. Je n’ai pas le recul pour les écouter, comme des gens extérieurs le feraient, mais ma carrière artistique est principalement là-dedans. J’ai passé 17 ans avec Nick Cave, également. Je suis Capricorne, j’ai cette aptitude à la continuité. Dans 20 ans, j’y serai encore.

Rendez-vous dans 20 ans. J’ai bien peur que nous soyons un peu défraîchis !

Non, je suis Capricorne. Dans 20 ans, je serai toujours sublime. Et je m’imagine très bien avec des cheveux blancs. Ne me prenez pas trop au sérieux ! En tout cas, ce disque est très saturnien, l’un de ses traits dominants étant la mélancolie.

Comment obtient-on le son Neubauten ?

Déjà, l’ingénieur du son est très jeune et c’est son premier disque. On l’a découvert en enregistrant Tabula rasa à Hansa, il y a des années. Il avait un boulot subalterne, mais montrait tant d’enthousiasme que nous l’avons embarqué avec nous. Nous travaillions en général dans des espaces loués, et il s’occupait d’installer notre matériel. Maintenant, et c’est aussi important pour ce disque, nous avons un endroit où répéter et travailler, dans lequel certains morceaux ont été enregistrés. Je dirai qu’en termes de relation, il est un peu le sixième membre du groupe. Il est toujours là, depuis le processus de composition, jusqu’aux étapes suivantes. Il n’arrive pas uniquement à la fin pour presser le bouton d’enregistrement de la console.

Revenons aux instruments…

Ils sont détaillés dans ce merveilleux livret inclus avec le disque (rires). Il y a une partie d’instruments conventionnels et le reste vient de nos bricolages. Il n’y a rien de neuf, juste nos bons vieux trucs efficaces. Bien sûr, à chaque chanson, nous essayons un effet nouveau. Le plus remarquable est l’installation de Pelikanol. Je suis allé chez le ferrailleur, comme avant chaque disque, et j’ai trouvé ces morceaux résultant de la production de feuilles d’aluminium : on avait coupé l’extrémité de ces énormes rouleaux d’alu. Je les ai récupérées et nous avons suspendu ces bandes au plafond du studio, à des longueurs différentes, avant de fixer un moteur avec une barre métallique sur une colonne. A chaque fois que la barre frappait une bande, nous tentions de jouer au fil de ce rythme, mais nous avons abandonné et laissé la machine seule.

C’est le genre d’installation liée à la musique contemporaine.

Avant ça, c’était associé à l’art, marquant un contraste net entre les choses qu’on dirige et celles qui jouent d’elles-mêmes. Mais ça n’a rien à voir avec l’électronique, moins surprenant. Ceci dit, je n’ai rien contre : on se servait d’un sampler avant que cette machine ne s’appelle comme ça. On y entrait des chansons en boucles et on les repassait à l’envers. Mais à la fin du précédent album, tout le monde s’est mis à rejeter l’utilisation de la programmation. A un moment donné, une seule personne bossait, face à l’écran, et tout le monde partait boire une bière. Cette fois, pratiquement tout a été enregistré en direct. Même les voix, ce qui est très difficile en termes de place dans le studio : il n’y a pas assez de prises pour les casques ou pas assez de micros. On passait une journée à tout installer pour un morceau bien particulier, qu’on jouait jusqu’à ce que le résultat nous convienne.

D’où viennent vos idées ?

C’est simple : j’ai cessé d’écouter de la musique il y a 10 ans. Ce n’est pas vrai pour le reste du groupe, mais j’ignore tout de ce qui se passe actuellement. Je vois ce disque comme étant, en surface, plus accessible que les précédents. Ses inspirations sont disparates, mais il conserve les mêmes motifs, la même atmosphère, les thèmes de la beauté, du souvenir et en opposition ceux de la perte et de l’absence. En y regardant de plus près, on découvre un système hermétique de références croisées, qui ne pointent jamais en une autre direction que celle de Neubauten. Je crois que la meilleure façon de conserver l’inspiration est d’écrire tous les jours. C’est ma discipline.

Que vous a apporté votre présence au sein des Bad Seeds ?

Ce que j’ai appris au sein de Neubauten, personne ne pouvait me l’enseigner. Avec les Bad Seeds, c’est bien plus classique. Ils appartiennent à cette tradition de groupes de lycée, qui font des reprises et démontent une chanson afin de voir comment elle se construit. Tous les Australiens avec lesquels j’ai collaboré comprenaient ce mécanisme. Avant, je n’avais aucune idée de ce fonctionnement, ce n’était pas ma façon de faire.

Ce n’est pas trop difficile de ne pas diriger ?

Absolument pas. C’est même très rafraîchissant pour moi de ne pas avoir de responsabilités. Cet emploi représente un challenge. Je déteste la guitare. Et avec Nick Cave, je suis obligé d’en jouer. J’essaie de ne pas y mettre les connotations habituelles d’une guitare rock. En fait ce que je déteste le plus, ce sont les solos. Le New York Time a dit un jour que je jouais de la guitare comme si j’attendais le bus. J’ai pris ça comme un compliment.

Propos recueillis par

Lire notre critique de Silence is sexy de Einstürzende Neubauten
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