« J’aime mieux les interview longues » dira-t-il à la fin. Et effectivement, on sent chez Dominique A un vrai plaisir de communiquer, de parler, d’expliquer un nouvel album, Auguri, un brin déceptif, que le chanteur a peut-être besoin de défendre… En attendant, on ne boude pas notre plaisir, et on écoute.

Chronic’art : En écoutant ce nouvel album, j’ai eu l’impression que tes textes étaient plus directs, plus littéraux, moins abstraits que ce que tu a pu faire par le passé.

Dominique A : Oui, c’est plus cru, plus sexuel aussi. Mais j’ai tendance à faire deux types de chansons : celles comme Pour la peau, qui sont des chansons de fiction, avec des personnages et une narration, et par ailleurs, des chansons comme Le Commerce de l’eau, dont le sujet est très vague. Pour le vocabulaire, j’ai essayé d’aller vers des choses plus simples, et une découpe des phrases plus claires.

Il y a quelques années tu disais avoir envie de t’attaquer à la sexualité en chansons. Tu as l’impression d’avoir réussi dans cette ambition ?

Oui, pour l’instant, ça va. En tout cas, j’arrive à chanter ça sans me planquer ou sans le surjouer, sans utiliser de vocabulaire spécialement cru. C’est ma façon à moi d’en parler. Peut-être que dans deux ans je reviendrais là-dessus en me disant que ce n’est pas convaincant ou que c’est impossible à faire. Berroyer a dit un jour que pour lui c’était aussi aberrant de chanter la sexualité que la cuisine. Et j’avais tendance à penser la même chose. Je ne sais pas d’où est venu ce désir de parler de sexualité, mais ici je pense que c’est très lié à la chanson Pour la peau. Et la reprise de Polyphonic Size, Je t’ai toujours aimé, c’est encore autre chose, c’est une chanson qui me poursuit depuis longtemps, que j’avais toujours voulu reprendre, sans jamais réussir à m’éloigner de l’ambiance techno-pop du morceau original

On a l’impression aussi que c’est un disque où tu mets plus encore que d’habitude ton intimité, ta vie privée, en jeu .

Non, pas vraiment. Les gens qui me connaissent un peu vont faire le lien avec des personnes en particulier, mais je ne me suis jamais senti mal à l’aise vis à vis de mes proches ou de moi-même, par rapport à mes chansons. Il y a peut-être de l’impudeur, mais il n’y pas de volonté de ma part de mettre ma vie en avant, ni de malaise pour les gens qui me connaissent, par rapport à des choses, des événements très factuels que je mettrais en chanson tels quels. Ca ne m’est arrivé qu’une fois, avec la chanson Pères, où je me suis senti obligé de dire à mon père que ce n’était pas une chanson qui parlait de lui. Mais non, cet album n’est pas la chronique de ma séparation avec Françoiz Breut. Il n’y a pas de chanson parlant ouvertement de séparation ou de paternité. Ce sont plutôt des chansons qui sont tirées d’expériences, de lectures : Mon Antonia est tiré d’un roman de Willa Sibert Cather, un roman du début du siècle sur les pionniers en provenance d’Europe de l’Est dans les plaines nord-américaines, et Le Commerce de l’eau vient de lectures sur la prostitution à Tokyo. La chanson n’a rien à voir avec la prostitution, mais le « commerce de l’eau » désigne la prostitution au japon. L’image m’a inspiré, et une chanson en a découlé, dont le sens n’est pas très clair, y compris pour moi.
C’est donc souvent une image ou une expression qui provoque le déclic de la composition d’une chanson ?

Oui. Soit c’est un déclic et la chanson est une digression à partir de cette première image, soit l’image d’origine constitue le noyau du morceau. Pour Antonia, j’avais envie de retranscrire en quelques phrases les sensations que m’avaient laissé le livre, au delà de ce qu’il raconte – parce qu’il n’est pas question dans la chanson de pionniers ou d’Amérique. Le morceau Pour la peau s’est construit autour du refrain, « Qu’est ce que tu ne ferais pas pour la peau ». Le texte d’une chanson naît un peu à la manière d’une ligne mélodique, quelque chose qui vient un peu tout seul, et sur lequel s’organise le morceau. Car pour la musique, c’est pareil, ça part d’un événement musical, un tempo, un balancement , comme sur Les Chanteurs sont mes amis, et de la phrase, « les chanteurs sont mes amis », autour de laquelle toute la chanson va se dérouler, sans l’idée de chercher quelque chose de particulier à dire, mais plutôt comme des variations autour d’un thème.

Les Chanteurs sont mes amis est une chanson assez humoristique.

Ouais… mais aussi tristounette à la fin, parce qu’elle part ensuite sur autre chose. Comme sur Pour la peau où il y a deux couplets pour deux histoires. Mais Les Chanteurs sont mes amis a pour vocation de faire rigoler un peu en effet. J’essaie d’être plus léger. Plus léger que dans Remué, c’est sûr. Ce disque, c’est une mine pour moi. Mais c’était un disque important, qu’il était temps de faire. C’est un peu le versant noir de La Fossette : la même méthode de travail, aussi aléatoire, mais avec un côté noir, sans aucun trait d’humour. Le ton est tellement plombé que quand j’essaye de montrer à des gens les touches d’humour de Remué, de moi-même je rends les armes, la cause est perdu (rires). Il était temps pour moi de revenir à des choses plus légères. L’intention de départ d’Auguri était d’être plus léger, plus pop, plus accessible, si tant est que ça veuille dire quelque chose. Mais peu à peu, je suis revenu à des choses plus sombres. Il y a trois morceaux qu’on n’a pas enregistré : Auguri, qui était très lumineuse, Connu, avec un riff un peu beatlesien, et Le Dernier coucher. Ce n’est pas perdu, je les garde, mais j’ai préféré revenir à des choses plus noires, plus dramatiques, plus chargées musicalement d’accords mineurs, comme Nous reviendrons, Le Commerce de l’eau, Les Hommes entre eux. J’avais peur de faire un disque dont je me désolidarise très vite, donc je suis revenu à ces morceaux plus sombres.

Tu es globalement satisfait de ce nouvel album ?

A l’heure actuelle, oui. Le contraire serait un peu inquiétant… Mais de tous les disques que j’ai enregistré, il n’y a guère que le deuxième que je trouve raté, par rapport à ce que je voulais faire. Autrement, j’aime bien tous les autres, pour des raisons différentes, et parce que je n’ai pas d’idée de perfection, plus d’ambition d’album « définitif ». Ce qui m’a permis de reconsidérer certains disques avec plus de sympathie, comme La Mémoire neuve, disque sur lequel j’ai beaucoup craché et que j’écoute aujourd’hui avec… tendresse, parce qu’il contient de bonnes chansons. Sur chaque disque, il y a des motifs de satisfaction. Mais sinon, je travaille, je suis dans le faire, que ce soit la composition, l’enregistrement, les concerts, je suis toujours dans une dynamique de faire les choses. Je ne dis pas que je regarde systématiquement devant, parce que je regarde aussi derrière, mais il n’y a pas de disque qui me dérange vraiment. Celui là moins qu’un autre, parce que c’est tout neuf.
Comment s’est passé l’enregistrement ?

Plus rapide, plus décontracté. Ca s’est fait en deux sessions au Pays de Galles avec John Parish. L’idée initiale était de commencer sans maquettes, avec juste la base acoustique des chansons, pour rester près de cette base, puis de travailler étroitement avec Sacha Toorop à la batterie, avec qui j’ai développé depuis quelques années une relation de travail et humaine très riche. Là, c’était l’occasion de concrétiser cette relation en travaillant face à face, un peu au pied du mur. J’aime bien quand Sacha ne réfléchit pas trop, quand il se laisse aller à sa première interprétation. Donc il n’a rien entendu des morceaux avant d’entrer en studio. On a travaillé dans cette optique de spontanéité par rapport aux chansons, et pas du tout de travail intensif autour de chaque titre. Le premier objectif initial était là : travailler à deux. Ensuite, il y avait John Parish à la production, dont le rôle a été déterminé au fur et à mesure de l’enregistrement. Quand on s’est rencontré, on n’a pas parlé des heures de ce qu’on allait faire, vu qu’il n’y avait aucune trace tangible des chansons. Il avait aimé La Mémoire neuve et Remué, et je lui ai dis en gros qu’on allait faire un disque entre ces deux albums là. Et finalement, le disque ressemble assez à ça, un mélange de chansons assez mélodiques, assez évidentes, assez pop, et des trucs un peu plus torturés. C’est Labels qui a contacté John Parish. Je pensais à lui pour mixer le disque de Françoiz, et lorsqu’on en a parlé à Alain Artaud, le boss de Labels, il nous a dit qu’il avait pensé à lui pour mon prochain disque. Et finalement, je crois qu’il est plus doué pour avoir une vision globale d’un enregistrement, que pour faire du mixage, parce qu’il travaille dès la prise de son, dès l’enregistrement, de manière à être le plus proche possible de ce à quoi va ressembler le disque.

Il participera à la tournée ?

Non, j’avais un rapport très courtois, assez amical avec lui, mais il y a une petite barrière de pudeur qui fait que je ne le verrais pas participer aux tournées, que j’ai l’habitude de faire avec des gens que je connais, des copains en fait. J’ai une distance trop respectueuse à son égard pour supporter l’idée de le voir quotidiennement dans le groupe. Et puis, je vais commencer par faire une tournée tout seul, dans des petites salles. C’est un truc qui me tenait à coeur. J’espère être ainsi plus proche des chansons, même des vieilles chansons, en essayant de maintenir les gens en haleine, seul sur scène, ce qui est toujours un travail d’équilibriste. Mais j’aime la liberté qu’apportent les concerts en solo, où tu échappes à la pesanteur des set-lists millimétrés. La set-list de Remué était très précise, et immuable, équilibrée de façon à ne pas trop rebuter les spectateurs. C’est cette rigidité qui m’a donné envie de tourner seul. Là, ce sera guitare-voix, même si je vais essayer de bricoler un peu… J’aimerais bien que les gens me demandent des morceaux…
Il y a toujours eu une sorte de tension, de violence sourde, dans tes albums. Est-ce que tu pourrais céder à la tentation un jour de faire des choses explicitement violentes ? Crier par exemple ?

Non, je préfère que ça reste latent, ou alors, si c’est explicite, que ça reste un peu cul-serré… Les titres les plus violents que je puisse imaginer seraient Comment certains vivent, ou Pour la peau. Mais je ne peux pas m’imaginer donner de la voix plus que ça. Toutes mes tentatives dans ce sens ont été infructueuses et ce n’est pas un truc que je sens en moi fondamentalement. Je n’ai pas ce besoin de libération. Hier, un journaliste me disait, à propos de cette génération de musicien français de ces dernières années, qu’on était la première génération autant pétrie de musique rock que de culture rock, celle des rock-critics. Je me reconnais bien dans ce portrait : j’ai une conscience du ridicule assez forte par rapport à ce que je fais. Il y a toujours une petite distance. Quand je dois pousser un peu vocalement, je me dis toujours « Bon. Je vais le faire », ce n’est pas un truc naturel, mais fait un peu à contrecœur. Je préfère susurrer dans le micro, parce que je trouve ça plus flatteur et souvent plus convaincant, par rapport à mes bases musicales à moi. Mais en même temps, ça peut être un systématisme aussi.

Et que penses-tu de ton statut de « parrain » de la pop française de ces dernières années ? De précurseur ?

(rires) Hé bien, je suis content. Quand je suis arrivé, les gens me parlaient de Barbara tout le temps. Ce qui n’arrive plus. Je crois que c’est de la paresse journalistique, et les musiciens arrivés après qui ont été assimilés à moi, c’est sans doute aussi à cause de cette paresse journalistique. Moi, je n’ai plus ce problème là, et ça me fait assez plaisir d’être assimilé à ce rôle de papy… Ca me fait plaisir surtout parce que ça sous-entend que certaines chansons tiennent encore le coup après dix ans, et ça garantit que les disque sont toujours disponibles. Après, qu’on dise que j’étais précurseur… Katerine faisait les mêmes trucs que moi en même temps, on était dans un mouchoir de poche au niveau des intentions. Même si on a évolué différement. A mon époque, le papy c’était Murat, mais maintenant, les figures prédominantes sont plus nombreuses, avec Miossec, Katerine… Christophe, c’est encore autre chose, j’ai toujours eu un peu de mal avec les arrangements, les trucs un peu techno italienne, limite ringard, même si c’est quelqu’un d’important, dans les petits maîtres. Il y a une ambiance de fou dans ses disques, il y a toujours deux trois berlingots magnifiques, ses chansons un peu romantiques, en fait, que j’apprécie toujours.

Et que penses-tu de la nouvelle génération, Encre, Anne Laplantine, qui ont vécu la comparaison avec ton travail ?

J’aime bien Encre, surtout pour les arrangements, la musique, mais la voix me gonfle un peu, à cause du systématisme parlé-chanté un peu noir, un peu rentré, tendu. J’aime bien Nordheim de Anne Laplantine, mais sans en faire un foin, c’est attachant. On a comparé son disque à La Fossette, mais La Fossette n’avait rien inventé, c’était très inspiré des Young Marble Giants ou de Polyphonic Size, Taxi Girl, avec un chant en français de facture un peu plus vieillotte.

Propos recueillis par

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