Entre auberge espagnole poly-instrumentale et retour sur soi dans le creux de la langue, Tout sera comme avant commence par intriguer et finit par convaincre. Dominique A rallonge ses journées promo pour prendre le temps de discussions. Qu’on lui souhaitent constructives.

Chronic’art : On a l’impression que ton nouvel album tourne autour de l’idée de « renaissance ». Revenir au monde, l’enfance, le retour…

Dominique A : Peut-être, oui. Il y a une idée de « place » en tout cas, comme quelqu’un me le faisait remarquer récemment, de chercher sa place, et de la trouver dans ce disque peut-être. En même temps, à chaque disque on cherche sa place, pas tant en continuant quelque chose qu’en faisant autre chose, même si on avance de 20 centimètres en pensant avancer d’un kilomètre. Revenir au monde, des chansons comme celle là, tournent toujours un peu autour des mêmes thèmes, de la mémoire, hier, aujourd’hui, demain, tout ça… Je ne crois pas que ce soit très nouveau : La Mémoire neuve, Tout sera comme avant… En même temps, je n’ai jamais la volonté, en composant, de parler de quelque chose précisément, je découvre les thématiques de mes albums a posteriori quand on me les fait remarquer. Mais je marche un peu toujours sur les mêmes plates-bandes, vers lesquelles j’essaie d’amener d’autres figures, d’autres images.

Des figures, des images, c’est une langue quasiment littéraire que tu emploies là. Est-ce que tes chansons relèvent de fictions, et les narrateurs de personnages ?

J’ai tenté de me mettre dans des situations. J’essaie, sans être un autre, de me mettre dans la situation où je passerais tous les matins, dans un café, face à une fille qui parle toute seule. C’est le cas par exemple pour la chanson Elle parle à des gens qui ne sont pas là. Mais c’est toujours moi qui parle. En même temps j’écris ces chansons un peu comme des nouvelles. Mais ce n’est que la première partie de la chanson : le travail sur le texte est préliminaire, mais pas prédominant.

Pour cet album, tu as fait intervenir des écrivains (Chloé Delaume, Arnaud Cathrine, Richard Morgiève notamment), qui ont écrit des nouvelles à partir des titres de tes chansons. Ca donne un peu l’impression que tu as toi-même envie de t’y mettre, à l’écriture ?

Oui, on m’a dit ça. En plus j’ai moi-même écrit un texte dans ce recueil, pour pallier à l’absence d’un écrivain qui s’était défaussé. Mais loin de moi l’idée de cultiver cette idée de « chanteur littéraire ». Je ne veux pas m’interdire des choses dont j’ai envie, mais je n’ai pas la « Lou Reedite » non plus… Ca prend de l’importance et c’est sans doute pour ça que j’ai fait appel à d’autres gens pour la musique, pour apporter quelque chose de neuf de ce côté-là, dont je n’ai pas besoin pour les paroles, où pour le coup, je poursuis un travail.

En même temps, on peut aujourd’hui être musicien et écrivain sans être forcément étiqueté « écrivain rock ». Les fonctions et les rôles me semblent moins compartimentés que par le passé. Des gens comme Katerine peuvent faire du cinéma par exemple, et toi tu pourrais très bien écrire. Tu parles dans ton blog de « génération grise » à laquelle tu fais partie : on le voit bien dans l’utilisation d’une chanson de La Fossette dans le film Les Mains vides de Marc Richard récemment…

Oui, les gens sont beaucoup moins frileux par rapport à l’idée de mélange des genres et ça se fait assez naturellement. C’est une question de génération : les différents arts aujourd’hui se mélangent et se nourrissent respectivement, et on a un accès à la culture bien plus facile qu’auparavant aussi…
Pour ce nouvel album, tu as ressenti le besoin de travailler avec d’autres gens ?

J’ai d’abord voulu me couper de ma culture musicale, de rock indé. J’avais l’impression en maquettant ces nouvelles chansons que le résultat allait beaucoup ressembler à Auguri, l’album précédent, et je voulais aller sur d’autres terrains, vers une approche plus musicienne, moins frileuse. Arrêter de confondre une approche musicale avec une approche démonstrative : en France, si tu travailles hors du rock indé et des guitares, on a vite l’impression que tu travailles avec des requins de studio, ce qui n’est pas forcément le cas, ce qui ne porte pas forcément atteinte à ce « bon goût » indé. Donc, je voulais travailler avec des gens plus âgés, d’une autre culture, et surtout d’abord, avec Jean Lamoot, qui a été mon moteur premier. Parce que L’Imprudence de Bashung est un album phare pour moi. C’est un album qui me semblait redistribuer les cartes en France. C’est Gérard Manset qui disait pendant les années 90, à propos de la nouvelle génération de chanteurs francais : « J’ai l’impression que ces gens-là n’ont personne à qui se mesurer. Moi j’avais Léo Ferré. Et j’ai écrit Orion pour me mesurer à Ferré ». Pour moi L’Imprudence est de cet ordre, quelque chose auquel je peux me mesurer, et une base de travail : c’est spécifiquement français sans être franchouillard, à la jonction entre culture anglo-saxonne, chanson française statufiée et la musique classique du début du siècle, Debussy, Ravel, etc. Je me suis penché sur cette musique grâce à L’Imprudence. Et puis j’aime bien me confronter à un disque qui m’a marqué : quand j’ai découvert Cheyenne autumn de Murat, ça m’a donné envie de chanter différemment, quand le premier Miossec ou Diabologum sont sortis, j’ai eu envie de choses plus dures. Aujourd’hui, L’Imprudence m’a donné envie de choses orchestrées. Et autant c’est facile et naturel de me positionner face à la culture anglo-saxonne, autant mes choix artistiques les plus déterminants sont faits en me confrontant à des artistes français. Question de langage, sans doute.

C’est étonnant de te voir te positionner comme ça par rapport à d’autres. Parce qu’on a l’impression que c’est aussi quelque chose qui revient dans tes chansons : Les gens qui ne sont pas là, Le fils d’un enfant ou Mira parlent de l’absence à soi-même, une sorte d’expropriation. Et ton nom de scène, Dominique A, est très neutre lui-même. On peut l’imaginer se constituer, depuis un silence, à partir de projections, d’identifications…

Oui, je suis d’accord globalement. L’idée de la « place », du positionnement me semble la plus juste pour parler de ça. Mais je ne pense pas trop à ça en général. J’essaie de mener des histoires à leurs termes, d’être dans l’énergie de l’écriture.

Dans la biographie de la maison de disques, on décrit ton disque comme ton « premier disque d’homme ». Qu’en penses-tu ?

Je ne sais pas. Il faudra demander à la personne qui l’a écrite ce qu’il a voulu dire par là. Sans doute qu’il y a une nouvelle maturité… Mais c’est tellement galvaudé comme terme. L’album est au contraire plutôt tourné vers l’enfance, vers la remémoration. L’idée du disque, c’est : que sont nos rêves devenus ? Une question qu’on ne posera jamais assez. Après, j’ai une sensation physique très forte et très agréable quand je chante des chansons qui évoquent l’enfance. J’espère que ce n’est pas juste de l’ordre du constat. Je crée des situations. Reste à les développer…

Musicalement, le disque explore de nouvelles voies, pas forcément évidentes. Où sont les lions ou L’Inuktikut rappellent les travaux des Residents (l’album Eskimo). Il y a des influences exotiques, très riches, très musicales.

Là, c’est très lié au travail des arrangeurs, Jean Lamoot, Jean-Louis Solans, Arnaud Devos. Mon rôle là-dedans a juste été de les orienter vers une musique qui soit la plus illustrative. Pas décorative, mais qui illustre les textes. Sur Inuktitut, les éléments sonores imagent les textes, l’arrangement est une extension du texte.
Sauf pour Où sont les lions, où c’est moi qui ai souhaité cette pulsation un peu afro-beat, ce sont eux qui ont orienté l’album entièrement. Je me suis vraiment effacé derrière leurs idées, en leur demandant de ne jamais se freiner par rapport aux dissonances ou aux ruptures. Ils sont très forts pour ça. Quand je les ai rencontré, ils m’ont fait écouter, sans doute pour me tester, le morceau de Juliette Greco Même, très heurté, très beau, qui rejoint les terres brûlés de L’Imprudence. Et c’était ce que je voulais par rapport à mes compositions très classiques : qu’elles soient déstructurées, travaillées, que l’écriture soit très musicale. Parce qu’ils maîtrisent musicalement et techniquement plus de choses, ont plus de matériaux, de possibilité, que moi ou que tous les musiciens avec qui j’ai travaillé auparavant. Ce qui n’enlève rien au talent de ces derniers non plus. C’est une approche différente, c’est tout.

Tu cites Greco, et effectivement, La Retraite à Miami, ou L’Inuktitut font penser à de vieilles chansons françaises, un peu de cet ordre. De la même manière que tu avais repris Les Enfants du Pirée sur ton album précédent.

Oui, La Retraite à Miami est ouvertement un pastiche des années 30 et l’Inuktitut est plutôt une sorte de reggae macédonien. Mais il y a cette idée d’aération, d’harmonies en majeur.

Le track-listing semble avoir été beaucoup réfléchi. Les passages entre les morceaux font sens ?

Le track-listing a, en effet, été mûrement et longtemps réfléchi. L’album était long, et je ne voulais pas tailler dedans, je voulais que ça rebondisse, tout en essayant d’éviter le côté « auberge espagnole » de le plupart de mes disques, même si on passe du coq à l’âne. Donc, j’ai ménagé sinon des thématiques au moins des points de jonctions plus ou moins évidents entre les morceaux.

Ca donne l’impression d’un album complet, cohérent de bout en bout.

Il y a une façon très simple de définir cette impression, qui fait un peu cliché : c’est que c’est un voyage. Une copine m’a dit ça : « On a l’impression de faire un voyage », ce qui me semble très juste. Ca m’a fait plaisir, tant j’ai l’impression avec mes disques en général, de produire des choses douloureuses, de pointer le doigt là où ça fait mal, ce qui n’est pas forcément ma volonté, mais ce qui est perçu généralement. Donc, là, il y a cette idée de souplesse, de mouvement, dans le voyage, qui me fait plaisir.

Il y a un morceau caché à la fin du disque, un très long instrumental. Quel est sa fonction ?

Pour te dire franchement, on a fait ça pour remplir le disque et éviter le copy-control. C’est une méthode. On aurait pu mettre des plages DVD, mais on avait cette version live d’un morceau qu’on n’a pas gardé, qu’on a décidé de mettre à la fin du disque, pour trouver une parade. La raison première, c’est que je trouve le logo atroce (rires). C’est une marque d’infamie et je pense que dans quelques années on considérera ça avec dégoût, les disques seront stigmatisés. Et je ne peux pas adhérer au principe. Je ne serai pas heureux si un jour mon disque se trouve tiré à un exemplaire et copié par tout le monde, mais je ne crois pas que cette répression soit la bonne méthode. Il s’agit simplement d’une marque d’impuissance de la part des maisons de disques, avec la complicité des artistes. La copie est le fruit de toutes les opérations commerciales éhontées menées depuis l’avènement du CD. Ce n’est pas un hasard si ce genre de méthode arrive à une époque comme la nôtre. On a l’impression que c’est le ministère de la justice qui a pris cette mesure…

Propos recueillis par

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