Défricheur de talents et producteur de choc, Dj Medhi est un concepteur sonore aux idées extra-larges. Connu jusqu’ici surtout pour ses différents travaux aux côtés de 113, Karlito ou encore Rocé, mais aussi pour ses liens avec la scène electro française, ce jeune homme de 25 ans largue aujourd’hui son premier opus solo, qui vacille magnifiquement entre hip-hop abstrait, electro déviante et soul délicate. Rencontre avec un chef d’orchestre mutant.

Chronic’art : Quelle est la genèse de ton label Espionnage ?

DJ Mehdi : L’histoire d’Espionnage a démarré entre autres grâce à l’impulsion de Manu Key du groupe Différent Teep. Manu a toujours eu une tendance à attirer en son sein des jeunes talents, des jeunes rappeurs et producteurs de haut rang. Il a un instinct pour entraîner les jeunes et les faire bouger. Moi je suis intervenu pour monter le label. A l’époque, des gars comme Rocé, Rohff, Karlito ou le 113 avaient un potentiel énorme mais n’étaient signés nulle part. C’est là que je suis intervenu, on a fondé une association et une société, et on a enchaîné la sortie de plusieurs maxis comme Truc de fou des 113, Pour l’horizon et Ricochet de Rocé, Kiff kiff mec de Karlito. Voilà comment tout a commencé.

Es-tu satisfait de l’évolution de ces jeunes groupes ?

Chacun a trouvé sa voix à sa façon et c’est parfait pour moi, rien ne pouvait me faire plus plaisir. Ils ont évolué en passant d’une énergie brute -véhiculée par Espionnage- à leurs travaux respectifs, et possèdent maintenant chacun un style singulier. Je suis super fier que des gars comme Rocé, Rohff, 113 ou Karlito aient sorti leurs premières galettes sur Espionnage.

On parle beaucoup de tes accointances avec Zdar, Daft Punk et la scène house française. L’avenir de Medhi sera encore plus electro ?

Je suis effectivement ami avec pas mal de gens qui gravitent autour de la house et la scène dite French Touch. Mais je connaissais ces gens-là avant de faire de la musique avec eux. J’ai un projet d’album avec Zdar et Boom Bass depuis pas mal de temps. C’est en gestation. On a fait beaucoup de morceaux. Je sais pas ce que je ferais l’année prochaine… Peut-être un album à tendance house ou un album de rap caillera, je voudrais aussi faire un nouvel album avec Karlito et un nouvel album d’Espion. J’ai pas vraiment fait de planning, je me laisserais porter par l’inspiration…

Comment vois-tu la scène electro française et la musique instrumentale en général ?

Je ne suis pas un gros fan de musique électronique. Je suis intéressé par l’idée que certaines personnes arrivent à faire danser la planète entière et qu’ils habitent en face de chez moi, alors que « nous » on a du mal à faire danser les mecs de Marseille. J’adore le fait que la musique instrumentale puisse se suffire à elle-même. Une musique dont les producteurs sont devenus les artistes et vice-versa, sans aucune voix ou très peu, pas de physique, pas de message « parlé ». Ca m’inspire énormément. J’ai envie d’explorer à fond cet aspect-là.
Ne trouves-tu pas que, contrairement à d’autres mouvements musicaux, le hip-hop est un univers cloisonné ?

Carrément. Ca marche comme une famille. A Paris c’est un peu différent car tous les mecs vont acheter leurs galettes dans les mêmes boutiques et se croisent dans les maisons de disques… Donc ça le devient un peu moins, autrement c’est clair que c’est ultra cloisonné. Pour ma part, ça m’est arrivé de faire des instrus pour des artistes que je connaissais pas à la base, mais dont j’ai aimé le travail, le style, etc. Pour Rocé ca s’est passé comme ça.

Que s’est-il passé pour le titre Aneis ? Sur l’album le morceau est très court alors que le clip dure 4 minutes… C’est ton premier single ?

Non c’est pas mon premier single. Le clip que l’on voit en ce moment à la télé, c’est une pub Nike qui devait être diffusée en promo sur les terrains de basket et les terrains de foot. Et la pub est tombée sur un bureau chez M6… J’ai donné mon accord pour la diffusion. J’ai rallongé le morceau. Je suis content que le clip soit diffusé, mais c’est pas le truc qui me représente le mieux. J’aurais jamais choisi un morceau qui sonne autant electro comme premier single. Mais j’ai pas trop à me plaindre. Il n’y a pas vraiment de single en fait pour l’instant, on travaille beaucoup sur les morceaux They know about me et le clip de Northstar. Le vrai premier single devrait être Breakaway. C’est un peu compliqué comme stratégie…

En tant que Dj, es-tu fan de la scène turntablism, des gens comme Invisibl Skratch Piklz…

Je suis grave admiratif de tous ces Djs hip-hop qui réussissent à faire bouger les foules. C’est une démarche qui est à mon sens très proche du jazz. Ce sont un peu des « guitar heroes » qui ont troqué leurs instruments contres des platines. Pour ma part, j’aurais jamais pu porter cet art-là à un tel paroxysme. J’ai assisté à une multitude de concerts de scratcheurs. Après je pense que sur une heure ça peut être quelquefois soûlant. Certains privilégient trop le côté technique de leur art et passe outre le côté « show case » de leur personnalité. Mais bon je suis super fan des ISP, de Q-Bert et compagnie, des X-Executioners, des Beat Junkies… Récemment j’ai vu un concert des Scratch Action Heroes, c’était vraiment bon.

Et Dj Medhi en live ça donne quoi ?

On est en pleine répétition ! La formation se compose de trois personnes : une chanteuse qui joue de la basse, un guitariste et moi. On jouera live au Printemps de Bourges… La chanteuse c’est Janice, une choriste de Matt. Elle chante les titres du disque et on réinterprète les morceaux de l’album à nous trois, entre la MPC, les percussions, les claviers et la guitare. Je joue un peu de guitare et je suis aussi derrière les platines.

L’album est dans les bacs. Ca fait quel effet après toutes ces années de boulot au sein du label Espionnage ?

J’ai rien de particulier à dire si ce n’est que j’ai envie que les gens l’entendent, et surtout qu’ils l’écoutent. Pareil pour le disque du 113 qui sort dans la foulée. Je suis très fier parce que j’aime mon disque… Ensuite, il faut qu’il trouve son public. Ca veut pas dire qu’il faut que j’en vende 100 000 pour être satisfait. J’aimerais arriver à toucher les gens, qu’ils captent mon son. Je ne voudrais pas prêcher dans le désert… Avoir une démarche alternative uniquement pour l’expérimentation, c’est un truc qui ne m’intéresse pas dans l’absolu. Je suis conscient d’avoir une démarche alternative par rapport aux disques de rap qui sortent tous les jours. Ne serait-ce que 1 000 personnes qui kiffent grave, est-ce que ça serait pas mieux que 100 000 personnes qui aiment bien le single et qui vont jeter l’album après ?

Propos recueillis par

Lire notre chronique de (The Story of) Espion