S’il y avait une rencontre à faire, c’était celle-là, avec les auteurs de Solo tu. Parce que c’est un film libre, qui n’appuie pas de discours et qui prend le temps d’entendre et de regarder. Ce genre de cinéma est-il si courant ? Pourtant, à croire Arnaud Dommerc et Anne Benhaïem, à croire aussi nos sentiments quant à Solo tu, il se pourrait que ce film soit le seul en cette rentrée qui soit proprement cinématographique. Plusieurs explications.


Chronic’art : A l’origine, le film durait 1h20. A sa sortie, il ne dure que 56 mn. Pourquoi ?

Anne Benhaïem : On a enlevé des séquences, mais aussi un peu raboté. En fait, c’est la première partie qu’on a le plus retouché, parce qu’il y avait d’autres personnages, pas inscrits maintenant du tout. Au départ, il y avait beaucoup de personnages, même si dans le premier montage on en avait déjà supprimé -des gens qui se connaissaient un peu, qui se croisaient sans que ça crée aucune histoire. C’était pour le plaisir de montrer le mileu dont sont issus les personnages principaux, et puis, plus ça allait, plus on se rendait compte que ça empêchait… que ce n’était pas la peine de garder. Ça empêchait l’histoire de décoller, parce que c’était trop contemplatif, trop… complaisant. On s’est aperçu que plus on en enlevait, plus ce qui restait était bien, prenait de la valeur. C’est difficile, c’est une affaire de sens et de rythme.

Souvent, dans votre film, il se prépare quelque chose et puis vous décidez de stopper net. Dans le plan où Anne chantonne près de la fenêtre, où elle conclut : « C’est pas drôle », est-ce que ça donne plus de valeur à ce qui suit, ou moins.

AB : Je comprends la critique, mais c’est un goût qu’on avait tous les deux de laisser les choses se terminer. Et moi, c’est un goût que j’ai aussi, quelque chose que j’ai remarqué mais qui n’est pas une théorie posée d’emblée, c’est que j’aime bien quand le plan, l’action, la scène se terminent par une légère retombée. Eventuellement, ça redémarre et pouf ! on coupe. C’est le prix à payer -enfin, s’il faut payer, pas trop cher non plus- pour avoir ce rythme. L’éventualité d’écourter les scènes, les plans, de faire que tout se passe plus vers les sommets ne correspond pas à ce qui se passe dans les plans, dans l’histoire… J’ai l’impression que ce serait impossible. Pour ce plan-même, je suppose qu’on était aussi intéressé par le sens, tout bêtement, de la réplique. Par le fait qu’elle rigole, qu’elle fasse la-la-la-la, et puis qu’elle dise que c’est pas drôle, par le contraste entre les deux…

Arnaud Dommerc : La durée est là. Supporter le ridicule de ça, par la drôlerie.

AB : Au montage, à chaque fois qu’on coupait un bout de plan, on se revoyait tout. Tout le temps. Pour avoir le rythme du film. Le film est une espèce de ligne.

Mais ce n’est pas tant comment vous coupez, que : comment vous terminez le plan. Par exemple, Anne dit : »C’est pas drôle », elle aurait pu dire : « Est-ce que c’est drôle ? » ou « C’est drôle ! » et vous avez choisi : « C’est pas drôle ».

AB : Ah mais j’ai jamais dit : « C’est drôle  » ou « Est-ce que c’est drôle ? » (rires). Après, on fait avec ce qu’on a.

AD : Il y a des fois, tu l’as même dit « C’est pas drôle », tu n’as rien dit.

Et vous avez choisi celui-là.

AB : Oui.

Vous avez donc du plaisir à retourner le plan.

AD : Oui. Ah oui.

AB : Pour moi, il ne se retourne pas vraiment, il change. Ce n’est pas une retombée dans l’ennui, sinon on couperait. Peut-être que ça produit ça, mais pour nous non. C’est une modification.

Le film fait penser à Voyage en Italie de Rossellini, la séquence de la mine.

AD : Non.

AB : Moi, j’y ai pensé, oui.

Donc si le film m’a fait penser à Voyage en Italie, j’ai alors pensé au Mépris de Godard, et donc j’ai comparé. Le premier se termine par un miracle, le second par une tragédie (l’accident de Bardot), et Solo tu ne se termine pas (rires).

AB : Voilà, dans Solo tu, il n’y a ni miracle, ni tragédie.

Mais alors l’histoire du cinéma a un sens. (rires). Si Godard ne fait plus de miracles, et vous plus de tragédie… C’est aussi pour ça que vous terminez les plans de cette manière.

AB : Je crois qu’à l’inverse de Rossellini et de Godard qui avaient certaines choses précises à dire et montrer… (même si c’est trop compliqué, parce qu’à la fin de Voyage en Italie, le miracle n’est pas clair, à chaque fois j’y vois quelque chose de différent), en faisant ce film, on ne partait pas avec une thématique, avec une idée de la façon dont ça va se finir… On ne savait pas. C’est-à-dire qu’il y a plus d’attention sur ce qui se passe que sur un sens à donner. Donc Solo tu n’a rien à voir avec les films cités. Si, avec Voyage en Italie, parce que quand on voit un couple qui fait la gueule dans la caillasse… (rires), que ça se passe dans un château puis dans une mine… Il n’y a pas plus de lien que ça (…)
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