Dans « Le Dandysme, dernier éclat d’héroïsme », le philosophe Daniel Salvatore Schiffer retrace l’histoire du dandysme. Il se demande aussi ce que devient et représente, dans notre monde moderne, « ce dernier éclat d’héroïsme dans les décadences », comme le caractérisait Baudelaire.

Chronic’art : Le dandysme est-il aujourd’hui redevenu à la mode ?

Daniel Salvatore Schiffer : Oui. Dans le monde contemporain qui est à la fois très plat et consensuel, mais où l’on observe aussi des nouvelles formes de barbaries, de violences, de terrorismes qui affleurent ça et là, le dandysme apparaît comme une bouffée d’air frais, comme un espoir. C’est une révolte par l’élégance, une alternative intellectuelle, artistique et esthétique et, dans ce contexte, il n’a jamais été aussi populaire puisque les jeunes se reconnaissent dans cette liberté fondamentale qu’il représente, sans jugement de valeurs, sans jugement moral. Le dandysme est à la fois libre, libertaire et libertin.

Qu’est-ce qui distingue le dandy d’hier et le dandy de 2010 ?

Le dandy classique, tel qu’il est né au XIXe siècle, reposait surtout sur une posture esthétique, mais aussi une notion de révolte contre l’ordre moral – comme Oscar Wilde à l’époque victorienne. Aujourd’hui, l’ordre moral a pris une autre forme, il est bien là mais caché et dispersé à travers ce conformisme ambiant et toutes ces censures invisibles. Dans ces conditions, le dandy ne peut plus se définir en terme purement esthétique ; nous sommes sortis du classicisme, où l’on mettait en avant l’élégance, la beauté. On voit désormais émerger des dandys de toutes sortes – et dans tous les domaines (philosophie, littérature, art, cinéma, photo, musique, mode, etc.), notamment dans des registres plus trash. Dans le monde du rock, Bertrand Cantat illustre à mon sens parfaitement cela, pour la déchéance, jusqu’au meurtre même – que Wilde élevait au rang des beaux-arts. Dans la littérature japonaise, aussi, Yukio Mishima et son ascèse stoïcienne, proche de l’esprit des samouraïs. On peut aussi citer My Brightest Diamond, Anthony And The Johnston, Fat Gadget, Front 242, Sisters Of Mercy ou encore Malcom McLaren, qui vient de nous quitter. Tous ces groupes, toutes ces personnalités sont les dignes successeurs d’Andy Warhol ou du Velvet Underground. On les trouve beaucoup dans les mouvements post-punks et post-gothiques.

C’est large : on peut aller jusqu’à Lady Gaga ?

Je ne pense pas que Lady Gaga, ni Britney Spears, ni même Madonna, ne soient dans le dandysme. Ce sont plutôt des contre-exemples dans le sens où elles représentent une forme de vulgarité totalement antinomique au dandysme. On ne peut pas faire tout et n’importe quoi… A la limite les Pussycat Dolls. Mais dans le mainstream, le plus beau spécimen de dandy reste Michael Jackson (le dernier dandy pop ?), pour sa façon d’avoir voulu transformer son corps, de porter le masque et puis également, bien sûr, pour sa disparition prématurée. Parmi les femmes, puisqu’elles existent ici, je citerais Mylène Farmer, Sonia Rykiel, Kate Moss ou encore Lydia Lunch.

Vous concluez votre essai par un manifeste, dit du « prismatisme », à l’attention des générations futures. De quoi s’agit-il ?

Le dandy est un être protéiforme, multiple. Baudelaire employait d’ailleurs le mot « kaléidoscope ». Le dandysme est à la fois quelque chose de très pointu mais avec des facettes réfléchissantes. C’est vraiment la complexité, la figure géométrique du prisme, qui le caractérise ; à la manière de Tristan Tzara pour le dadaïsme et André Breton pour le surréalisme, je propose donc un manifeste pour le dandysme en inventant ce terme de « prismatique ». Ce n’est pas un manifeste qui sert à codifier, mais qui donne des recettes pour justement échapper aux étiquettes. En ce sens, il est parfaitement contemporain puisque correspondant à notre société électronique et aux identités multiples qui s’en dégagent.

Propos recueillis par

Le Dandysme, dernier éclat d’héroïsme, de Daniel Salvatore Schiffer
(Puf)

Jeudi 27 mai 2010, rejoignez-nous à partir de 19h30 La Machine du Moulin Rouge (Paris) pour poursuivre le débat avec Daniel Salvatore Schiffer + live & Dj sets en deuxième partie de soirée (plus d’infos ici).