Lorsqu’il veut bien délaisser ses puissantes réflexions sur la post-humanité, le pays du soleil levant est aussi capable de produire des animes de pur divertissement sur lesquels il serait regrettable de ne pas se pencher. C’est le cas notamment de la formidable série « Cowboy bebop ».

A l’opposé des animes touffus, complexes et philosophiques qu’on a pu voir et apprécier jusqu’à présent, Cowboy bebop est ce qu’on pourrait appeler une « série B », dans la lignée de Lupin III de Miyazaki, ou de City hunter (plus connue chez les Dorothée-maniaques sous le titre de Nicky Larson). A quelques exceptions près, chaque épisode est autonome et possède son intrigue propre, au cours de laquelle les deux chasseurs de primes plutôt miteux, Spike Spiegel et Jet Black, vont essayer de capturer un malfaiteur lambda et le plus souvent échouer lamentablement. Une trame qui pourrait faire passer Cowboy bebop pour une sorte de Mystères de l’Ouest dans l’espace. Or, contrairement à ce que pourrait laisser penser son titre, la série ne se limite pas à un banal western-space-opéra, mais part plutôt du principe -pertinent- que les mythologies américaines, déjà bien ancrées dans la culture internationale contemporaine, perdureront bien après que la colonisation de l’espace se sera achevée. Cowboy bebop assimile donc les genres du serial US, du western au thriller, pour les intégrer dans un univers de science-fiction typiquement japonais. Que ce soit à travers le remarquable habillage musical de Yohko Kanno (déjà responsable de la musique d’Escaflowne) aux accents jazzy, ou son formidable générique, très sixties-like, la série parvient à rassembler tous les clichés ou plutôt les idées reçues que peuvent se faire les Japonais sur la culture bis américaine tout en gardant son âme spécifiquement nippone.

Mais si Cowboy bebop n’était que ça, on ne prendrait peut-être pas la peine d’en parler. Une série qui se contente de se reposer sur concept, aussi bon soit-il, finit forcément par tomber dans le systématisme. Les quatre premiers épisodes sont d’ailleurs un peu décevants. Beaucoup moins comique que ce qu’on aurait pu prévoir, et plutôt violente, la série prend ses aises pour installer les quatre premiers protagonistes : Spike et Jet, mais aussi Faye Valentine, une joueuse-arnaqueuse à la plastique affolante, prototype même de la garce incarnée, et Ein, un toutou à l’intelligence surdimensionnée. Rien de bien marquant jusque-là, mais comme tout bon anime qui se respecte, Cowboy bebop finit par pervertir ses propres fondations. A ce titre, c’est à partir du cinquième épisode, Ballad of fallen angels, que Cowboy bebop touche au sublime, en fouillant le passé de Spike, le héros jusque-là plutôt transparent de la série, ancien membre de la triade des Dragons Rouges, et en lui opposant une nemesis récurrente, un frère ennemi : le « bad guy dans toute sa splendeur » Vicious.
Le duel dans la cathédrale qui clôt cet épisode est par ailleurs un prodige de mise en scène. Quant à la chute de Spike à travers un vitrail, rythmé par une comptine enfantine et construite comme Les Choses de la vie de Sautet, elle restera sans aucun doute dans les annales.

A partir de cet épisode-pivot, la série n’a de cesse d’explorer les recoins les plus sombres et les plus surprenants de son univers, mais aussi du passé de ses personnages, beaucoup plus riches qu’il n’y paraît au premier abord. On retiendra plus particulièrement Sympathy for the devil, qui puise son inspiration chez Katsuhiro Otomo, et plus particulièrement dans Akira. Ou bien encore Jamming with Edward, qui introduit le cinquième protagoniste, une adolescente délurée, spécialiste du hacking, et étrangement androgyne -« elle » s’appelle Edward : pas banal, convenez-en. Le summum est sans doute atteint avec Jupiter Jazz, épisode franchement dérangeant qui se déroule dans une planète habitée par des travestis patibulaires, des invertis par nécessité -pas de femmes sur cette planète. Et surtout par un personnage troublant d’hermaphrodite qui ne trouve rien de mieux que de faire du business avec le dangereux Vicious et de séduire l’opulente Faye Valentine.

On ne saurait dire pour le moment si Cowboy bebop accédera au statut tellement envié d' »anime culte ». Attendons de voir le reste de la série pour en juger, d’autant qu’il se murmure ici et là qu’une seconde saison devrait voir le jour… Dans l’état actuel des choses, Cowboy bebop dépasse largement le cadre de l’honnête série B dans lequel on aurait pu la classer. Parfois inégale -c’est le lot de toutes les séries à grande échelle-, mais souvent terriblement imaginative, techniquement irréprochable -une parfaite exploitation du mélange entre les computer graphics et le dessin sur cellulo-, Cowboy bebop ne se contente pas de tracer sa voie sur des rails pépères. A grands coups d’épisodes « malades », elle prend souvent le risque d’étonner et de surprendre. Elle confirme la forme olympique de l’animation japonaise de masse, et sa supériorité sur sa concurrente américaine. Avouons franchement que ça n’était plus vraiment la peine de le prouver.

Cowboy bebop est édité en 9 cassettes VHS (dont 5 restent à venir) par Dynamic Visions
Pour la petite histoire, le personnage de Faye Valentine est doublé par Megumi Hayashibara, l’illustre voix d’Ayanami Rei de Neon Genesis Evangelion